Par Larbi GRAINE, journaliste algérien.
La notion d’exil est-elle en crise ? Dans un contexte de mondialisation économique et culturelle, caractérisé par la prolifération de diasporas dans des métropoles gigantesques, peut-on être sûrs que les populations de métèques qui y vivent se sentiraient dépaysées et mal dans leur peau et souffriraient du calvaire du « vivre-séparés » ? Les étrangers qui viennent s’installer durablement dans un pays qu’ils ont peu ou prou connu éprouveront-ils le sentiment d’exil de la même façon nonobstant leur différence de race, de culture et de religion ? Peut-on supposer que l’éloignement géographique par rapport au pays d’origine soit à la base du sentiment ineffable d’étrangeté dont souffre l’exilé ?
Originaire d’Algérie, l’auteur de ces lignes, va tenter de répondre à ce pack de questions, tout en interrogeant les migrations contemporaines à partir de sa propre subjectivité (qui soit dit en passant, comme a dit le philosophe) permet de reconnaître les objets. Puisqu’il me faut parler de la France afin de permettre à l’exilé que je suis censé être de scruter les réalités françaises, c’est-à-dire aborder toutes choses qui m’éloigneraient de mon pays, qui m’exileraient encore davantage en me projetant loin de mon territoire habituel, c’est ce qui fait de moi du reste un journaliste d’un pays tiers, un apatride dont on espère qu’il va jeter un regard neuf sur des choses archaïques et peut-être passées de mode. La chose n’est pas sans rappeler l’exotisme qui jadis se pratiquait sur les contrées de l’ailleurs, dans cet orient lumineux que Flaubert avait cru déceler aux portes mêmes de la province. On se délecte bien du français de l’étranger, sa langue est d’autant plus attrayante qu’elle est habitée par des sonorités et des réminiscences de la langue première.Algérien, je vais dire aux Français dont des millions sont d’origine algérienne comment je les perçois. Et d’ailleurs comment prendre le fait que ce plat berbère qu’est le couscous soit devenu celui que préfèrent les Français ? Saviez vous qu’il est plus facile de manger un couscous dans les restaurants de Paris que dans ceux d’Alger ? Saviez-vous que l’exilé, algérien de surcroît, ne peut retenir de la France que ce qu’elle a d’Algérie en elle ? Barbès explose au rythme des victoires de l’équipe d’Algérie, ce qui nous donne parfois l’impression que c’est la France qui s’exile sur ses propres terres. On le constate bien les Algériens installés en France, y compris ceux qui sont en situation irrégulière, s’y comportent comme s’ils étaient chez eux. La même observation vaut pour les ressortissants de l’Afrique subsaharienne, relevant des anciennes colonies françaises. On le voit le poids de l’histoire y est prépondérant. Réfugié à Paris, un confrère syrien qui a fui la guerre civile qui déchire son pays souligne qu’il éprouve un sentiment d’exil encore plus profond que celui que ressentiraient « les Arabes d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie » arguant qu’en France il n’a pas eu le loisir de rencontrer beaucoup d’Arabes du Moyen-Orient.
De tradition arabo-berbère et fortement présents en France, les Maghrébins en général et les Algériens en particulier seraient-ils plus proches des Français ? A vrai dire, les Français ont leurs Arabes depuis longtemps. Dans l’hexagone aujourd’hui on entend parler le kabyle et l’arabe d’Algérie à chaque coin de rue. En plus des places fortes tenues par les Maghrébins, la France abrite une floraison de sociétés diasporiques. L’agglomération parisienne en est la plus parfaite illustration, Italiens, Noirs Africains, Chinois, Turcs, Indiens et j’en oublie se disputent son sol. Mais s’il n’y a point de Syriens à l’horizon, les traces du pays perdu seront plus difficiles à retrouver. L’exilé s’attellera à les chercher, et la vision qu’il aura de son pays d’accueil en sera profondément marquée. A la quête du pays qu’il vient de quitter, il est sans cesse rappelé à la dure réalité de sa condition. Tout aussi exilé qu’il le fut chez lui, il l’est tout autant sur sa terre d’adoption. N’ayant jamais été prophète en son pays, il ne saurait devenir le messie chez les autres. Vivant un double exil, il atterrit (quand il a la chance d ‘appartenir à une forte communauté expatriée), dans une diaspora, substitut de la société d’origine, laquelle va en quelque sorte le travailler au corps, le malaxant ne serait-ce que parce qu’il va pouvoir continuer à faire usage de sa langue maternelle. Certes, la vie en diaspora peut atténuer le sentiment de l’exil mais elle ne peut empêcher le désarroi découlant de la coupure d’avec la terre d’origine – devenant par la force des choses la terre promise.