[René DASSIE]
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Lors de sa première sortie officielle samedi 1er mars au siège de Sos Racisme à Paris, Michel Thierry Atangana a fait part de la force de conviction qui lui a permis de survivre dans des conditions extrêmes pendant ses dix-sept ans de prison. Il a aussi insisté sur son innocence et rendu un hommage appuyé à Pius Njawé, l’ancien patron du quotidien Le Messager qui fut le premier journaliste camerounais à s’engager en faveur de sa libération.
« J’ai passé dix-sept ans avec une pointe d’oppression qui s’appellent le silence. Le code de détention qui était le mien m’interdisait de dire un seul mot à l’extérieur, sauf devant les juges. Et j’ai tellement parlé devant les juges et je n’ai pas tellement été entendu. Aujourd’hui je me retrouve avec des juges, mais vraiment de bons juges, ceux qui acceptent de m’entendre et de ne pas m’appliquer la présomption de culpabilité avec laquelle j’ai vécu pendant 17 ans. Dans mon affaire, la présomption d’innocence n’a jamais existé ».
Au siège de Sos Racisme sur la rue de Flandre dans le 19 e arrondissement de paris ce soir du samedi 1er mars , les premiers mots de Michel Thierry Atangana mettent un terme à la joyeuse agitation qui a suivi son arrivée. L’ancien prisonnier veut dire dans quel état d’esprit il a vécu ses dix-sept années de détention, mais surtout rendre hommage à ceux qui l’ont accompagné dans son combat. Avant de prendre le micro devant le logo géant de l’association, la célèbre paume de main jaune portant l’inscription« Touche pas à mon pote », sous le crépitement des appareils photos, M. Atangana a fait le tour de la cinquantaine de personnes, parents, soutiens et associatifs venues l’accueillir. Il a touché et embrasser la plupart de ses hôtes, un peu comme si le contact humain lui permettait de vérifier qu’il ne rêvait pas, qu’il était bien vivant, et libre. Le choix de Sos Racisme comme premier lieu de prise de parole en public depuis son arrivée en France une semaine plus tôt s’est imposé tout seul, eu égard à l’implication de l’association dans sa libération.
Chemise clair et pull noir col en v, Michel parait récupérer rapidement. On reconnait à peine l’homme dont on avait, il y a à peine dix jours, que quelques photos décrivant sa détresse dans une cellule de sous-sol humide et aveugle, si étroite qu’il ne pouvait y étendre les deux bras à l’horizontale. En l’examinant, les médecins militaires se sont d’ailleurs montrés surpris. « A l’hôpital des armées, un médecin s’est tourné vers moi et m’a dit, « dis-moi comment tu as fait pour survivre…. Il faut l’enseigner aux militaires qui demain iront en guerre ! Expliquez-nous comment on peut avoir vécu dans ces conditions et être debout aujourd’hui », rapporte-t-il.
La force de la foi
Michel Thierry Atangana explique qu’il a tiré de sa foi chrétienne le courage nécessaire pour faire face aux épreuves qu’il a subies. Catholique pratiquant, il revenait d’ailleurs de la messe lorsqu’il fût interpellé par la police camerounaise en avril 1997. En prison, il continuera à prier, à se rapprocher de Dieu. Il peut ainsi résister à toutes sortes de tentations, notamment la trahison, lorsqu’on lui proposera de dénoncer , en échange de sa propre liberté, son compagnon d’infortune, l’ancien ministre Titus Edzoa condamné pour les mêmes faits et aux mêmes peines que lui. Il refusera.
Il y a quatre ans, alors qu’il abordait sa treizième année de détention, le journaliste Bosco Tchoubet, patron de la radio TBC à Yaoundé relevait et saluait cette attitude immuable. Michel Thierry Atangana explique d’ailleurs qu’il était prêt à donner sa vie . « Il faut réaliser que la mort est possible pour la défense de ses idées. Quand on a une conviction, il faut accepter de la garder de la préserver, de la nourrir même s’il faut en mourir. J’étais prêt à mourir. Je vous le dis sincèrement », assure-t-il.
Il est alors d’autant plus déterminé, qu’il sait n’avoir rien à se reprocher, en dépit des contre-vérités savamment distillées par les autorités camerounaises sur sa nationalité et sur sa fortune supposée. « Les rumeurs ont couru mais je n’ai jamais triché sur ma nationalité française. Je suis arrivé au Cameroun avec l’intention d’investir et j’ai obtenu pour cela une carte de séjour. Il s’agissait de doter le pays en infrastructures structurelles et de créer des emplois. Le combat que vous avez soutenu, il faut le redire, est un combat noble et juste», lance-t-il à l’endroit de ses soutiens. Et d’ajouter, au sujet de la fortune qu’on lui a prêtée : « J’ai subi sept commissions rogatoires, c’est-à-dire qu’on vérifie ma vie dans le monde entier. Un jour, un militaire m’a dit à la fin d’un long interrogatoire que j’étais selon lui le seul homme apte à exercer la charge d’homme d’Etat, parce que de toutes les personnes qu’il avait interrogées, j’étais le seul propre. Un ministre [camerounais] a écrit dans un journal que j’étais devenu fonctionnaire. Ce n’est pas vrai. Je suis resté dans le cadre de mes activités privées. Je n’ai pas trahi la France. Je n’ai pas trahi mes idéaux, je suis resté fidèle», jure-t-il.
Le soutien inattendu de Pius Njawé
On lit dans la Bible qu’avec la foi, on peut soulever des montagnes. Le Ciel semble avoir fini par entendre les prières de M. Atangana et à provoquer un renversement de situation en sa faveur. Plusieurs personnalités vont travailler bénévolement pour lui. Elles créeront une synergie qui conduira à sa libération.
Parmi elles, Pius Njawé, le défunt patron du quotidien camerounais Le Messager. Chrétien lui aussi, il publie, dans les dernières années de sa vie, des maximes religieuses en première page de son journal. Mais surtout, c’est un homme qui a voué sa vie au combat contre l’injustice. M. Njawé qui comme tout Camerounais n’a pas échappé à la propagande officielle qui a rendu illisible l’affaire Atangana décide de voir clair dans son dossier. Après un long travail d’investigation, sa conclusion est sans appel : « Michel Thierry Atangana est victime d’un règlement de comptes politiques. Son cas démontre à suffire, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir en place », déclare-t-il à ses confères. Il fait de la libération de M. Atangana une priorité. Pour rencontrer celui-ci à qui la presse n’a pratiquement pas accès, M. Njawé fera usage d’une fausse identité, pour déjouer l’attention des gendarmes qui le gardent. «Quand Pius décide de débarquer au SED avec sa casquette, tournant le dos aux militaires, il s’assied à côté de moi et m’écoute, après avoir été abreuvé de mensonges pendant tant d’années, sachant aussi que tous les journalistes m’avaient tourné le dos, parce que pendant 28 mois je ne sortais de ma cellule qu’une heure par jour, j’étais enfermé 23 heures sur 24 », se rappelle ému, Michel Thierry Atangana. « Si je souhaite laisser une trace sur terre, c’est d’avoir participé à la libération d’un innocent », lui promet le patron du Messager.
Pius Njawé met en place en place au Cameroun le premier comité de soutien au prisonnier, à partir de l’année 2009 et en prend à la direction. Deux fois par semaine, il tient une chronique sur l’affaire dans son journal et entame une tournée de sensibilisation. « C’est lui qui ramène la vérité dans cette affaire », reconnait aujourd’hui Marc Ndzouba, l’actuel président du comité camerounais de soutien à Michel Thierry Atangana. En juin 2010, avant de se rendre aux Etats-Unis où il trouvera la mort dans un accident de la circulation, Pius Njawé s’arrête à Paris, le temps d’une conférence de presse consacrée à l’affaire Atangana, au Centre d’accueil de la presse étrangère de Radio France. « Il s’est battu pour moi. [Grâce à lui], une génération de lycéens camerounais et africains a commencé à s’intéresser à mon affaire. J’ai aussi commencé à voir des foules s’organiser pour venir à mon procès », témoigne M. Atangana. Après le décès de Pius Njawé, un autre journaliste du Messager, le pasteur Robert Ngono Ebodé prendra le relai au comité de soutien. Il décèdera huit mois plus tard, d’une crise cardiaque.
Comité français de soutien
De plus en plus sensibilisée, la France s’implique peu à peu dans la libération du prisonnier. Ce mouvement prend de l’ampleur après l’élection présidentielle de 2012 et l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Fortement ému par le sort de M. Atangana, le nouveau président, François Hollande s’engage en faveur de sa libération. Un comité de soutien voit le jour à Paris, piloté par Dominique Sopo, l’ancien président de SOS Racisme et Ibrahim Boubakar Keita, vice-président de cette association et président de BDM TV. La famille française de M. Atangana n’est pas en reste. C’est non sans appréhension que Michel Thierry Atangana du fond de sa cellule, découvre ses deux enfants dans les médias audiovisuels. L’aîné avait cinq ans au moment de leur séparation. Il est désormais un jeune adulte. « Quand je vois ce qu’Éric a fait… Parfois quand il parlait à la radio, je ne voulais pas l’écouter ; j’avais peur de le voir à la télévision. Un jour j’ai eu le courage, il était avec Dominique Sopo chez Paul Amar, j’étais tellement étonné de penser que j’étais son père», avoue-t-il. Et de poursuivre : « C’est terrible de voir son fils et d’être étonné d’en être le père. Éric a entrainé et encouragé Etienne son petit frère, ils ont encouragé leur mère, cela m’a permis d’avoir ce soutien, cette affection, qui n’a pas de prix ».
Témoin lui aussi de la ténacité de son client, l’avocat Dominique Tricaud qui défend bénévolement Michel Thierry Atangana depuis des années, multiplie les initiatives. C’est lui qui saisit le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Dans un avis publié en février, cet organisme ajoute la voie des Nations Unies aux demandes de libération du prisonnier qui pleuvent sur le Cameroun. « Me Tricaud a pris des risques, il ne m’a jamais rien demandé. Aucune note de frais. Je voudrais qu’il sache qu’il n’a pas eu tort de me faire confiance. Me Tricaud n’a pas placé sa confiance dans le néant. Sa cause est noble et juste», commente M. Atangana.
Aujourd’hui, Michel Thierry Atangana entend reconstruire sa vie, être utile à son prochain.« J’ai quitté mes enfants, ils étaient enfants. Ils ont perdu un père. A mon retour j’ai trouvé des adultes et ils ont retrouvé un grand-père avec les cheveux blancs. Mais ce qui importe c’est l’amour qui nous lie » « Je suis debout, fier de vivre, j’aime la vie. Je veux vivre. Je n’ai jamais eu l’intention de me suicider. Lorsque j’étais encore en prison, j’avais appris que les lycées se suicidaient. Passez le message, s’il vous plait.Aucune cause ne justifie le suicide. Battons-nous, restons debout, quitte à y laisser nos vie, mais sans nous la retirer nous-mêmes. Les hommes qui s’engagent autour de nous sont des hommes courageux. Soyons dignes de ce courage », lance-t-il à l’endroit des jeunes de France. Un pays duquel, dit-il, il ne faut jamais désespérer.
Réactions
Dominique Sopo président du Comité de soutient
C’est un beau combat qui se finit de façon très heureuse. Le fait que nous ayons pu récupérer Michel est aussi dû à sa force morale et c’est finalement un bel espoir pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans des conditions d’injustice comme il a pu souffrir. Cet exemples de ténacité, d’opiniâtreté, d’envie que justice que soit faite, il faut aussi dire merci à Michel parce que c’est grâce à des exemples comme le sien que d’autres personnes tiennent et ne désespèrent pas. il y a aussi l’avenir. Nous serons toujours là pour faire en sorte que Michel soit innocenté, même si personne aujourd’hui ne doute plus de son innocence après qu’il ait été sali pendant des années, c’est quelque chose de très dur sur le plan moral. On l’a accusé d’avoir voulu faire des coups d’Etat, d’avoir volé de l’argent, je ne sais quoi d’autre. Plus personne aujourd’hui ne peut plus croire à de telles fariboles, mais ce serait bien que ce soit officiel.
Sacha Reingewirtz Président de l’Union des étudiants juifs de France ( UEJF)
« Il y a tellement de joie et d’espoir qui se dégage que j’en perds mes mots…..En tout cas, il y a un proverbe dans la tradition juive qui dit que « qui sauve une vie sauve le monde ». La libération de M. Atangana c’est vraiment un espoir pour les gens qui se battent pour la démocratie et la liberté. Les dirigeants et militants de SOS Racisme qui ont participé ont prouvé toute leur efficacité dans les combats qui sont menés en France, mais aussi de par le monde »
Sonia Aïchi, Présidente Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL)
C’est une énorme fierté, un honneur extrême d’avoir participé à ce combat. Aujourd’hui Michel Atangana c’est pour les lycées, tous les jeunes, le combat à part entière, c’est croire à la liberté, c’est croire en des valeurs que nous portons depuis très très longtemps et on est vraiment content qu’il soit là aujourd’hui.
Marc Nzouba, Comité de soutien, Cameroun
Michel Thierry Atangana a permis que beaucoup de Camerounais soient libres. Des milliers de camerounais. Il a surtout permis de comprendre qu’un homme peut se battre pendant des années et réussir son combat contre un régime, le régime du Cameroun, le régime de Paul Biya qui a fini par plier. Et aujourd’hui, c’est une fierté, c’est également une leçon à la jeunesse : on, peut résister contre l’injustice. C’est d’ailleurs la première partie du combat. Voilà un homme qui débarque en Afrique pour aller développer un pays, celui qui l’a fait naitre. Malheureusement, la machine a failli l’écraser. Il y a laissé dix-sept ans de sa vie et aujourd’hui il est libre. Les jeunes doivent le prendre en exemple. Le combat de SOS racisme a fait naitre une branche de SOS racisme au Cameroun. Il est l’un des promoteurs et le président délégué. Avec son concours, cette entité deviendra comme celle de la France. Elle finira par être une entité africaine.
Ibrahim Boubakar Keita Porte-parole du comité de soutien en France
C’est une fierté extraordinaire pour chaque militant de SOS racisme dont nous célébrons cette année le trentième anniversaire, d’avoir contribué à la libération de Michel. SOS racisme ce n’est pas seulement la lutte contre les discrimination, le combat pour l’égalité, c’est aussi le mieux-vivre ensemble, les droits de l’homme.