[Par Déo NAMUJIMBO]
Les guerres, l’insécurité et l’impunité généralisées de ces dix dernières années ont occasionné de nombreuses atrocités à l’est de la République démocratique du Congo : 9 millions de morts répertoriés par les organisations internationales, des centaines de milliers de femmes victimes de violences sexuelles. Organisations locales et internationales, églises, institutions caritatives s’efforcent de leur apporter des soins médicaux et psychologiques pendant qu’assassins et violeurs circulent paisiblement.
Reportage à Bukavu.
Assises sur des nattes en morceaux, couchées ou accroupies au pied de jeunes arbres dans une immense cour ombragée, une cinquantaine de femmes font la vaisselle, recousent des pagnes mille fois rapiécés, s’enlèvent mutuellement des chiques dans les doigts de pieds, se tressent les cheveux ou se cherchent des poux dans la tête. Un peu plus loin, un groupe de vieilles femmes courbées en deux font péniblement les cent pas en s’appuyant sur des bâtons. Encore plus loin, sous le couvert d’un vieux hangar ayant jadis servi de garage, d’autres femmes et quelques jeunes filles font la cuisine sur des braseros bancals dans de vieilles casseroles élimées, assises comme des écoliers sur des bancs alignés.
Toutes paraissent lasses et faméliques, emmitouflées dans de gros tricots de laine ou de crasseuses couvertures. « Nous comptons ce jour 12.335 victimes, explique Bagabo Saleh, le statisticien du Projet Victimes de violences sexuelles (VVS) qui fonctionne au sein de l’hôpital de Panzi à Bukavu. La moyenne est de 250 cas par mois, dont 180 viennent des régions où sévissent les rebelles hutus rwandais ».
« Impossible de citer un chiffre précis car chaque jour de nouveaux cas sont signalés ici et là et de nombreuses victimes n’osent pas se plaindre de crainte d’être rejetées par leurs maris et familles ou pointées du doigt, soupçonnées d’être atteintes du sida », rapporte Christine Schuler-Deschryver, responsable de Vidéo-Congo, une des nombreuses Ong qui prennent en charge ces malheureuses. Selon Magambo Budundwa, le responsable administratif et financier du projet VVS de l’hôpital de Panzi, « le seuil critique a été celui de l’an 2004 où nous recevions en moyenne 4 à 5 VVS par jour, la plupart ayant été victimes d’hommes armés parlant le kinyarwanda et venant de milieux reculés. Bien d’autres ne parviennent pas à Bukavu soit parce qu’elles ont été trop physiquement atteintes, soit encore à cause de la honte qui les empêche de s’exprimer publiquement ». La majorité se plaignent de l’abandon juridique dont elles sont victimes : « Vous ne pouvez imaginer combien cela fait mal de rencontrer chaque jour le type qui vous a fait tant de mal, continue à violer jusqu’à des bébés et qui vous dit qu’il vous violera quand l’envie lui en prendra », se plaint la vieille Ernestine qu’une fistule paralyse depuis deux ans. Me Julien Cigolo, coordinateur de l’Observatoire international sur le viol comme tactique de guerre, lui donne raison : « Chez nous, le viol est un véritable crime de guerre et ne peut s’expliquer autrement lorsque les femmes sont violées par plusieurs hommes qui leur enfoncent ensuite des bâtons dans le vagin, leur inoculent volontairement le sida et les avilissent au plus haut point. Dommage que la Cour pénale internationale ne fasse rien pour les réhabiliter, ainsi que la population tout entière ».
Compassion locale et internationale
Devant l’ampleur de la situation, plusieurs organisations locales et internationales se sont penchées sur la question, appuyées par des bailleurs occidentaux.
Selon le bureau de coordination de la Société civile du Sud-Kivu, pas moins de 387 associations ont été créées ces deux dernières années pour profiter du pactole. « Ils s’achètent des voitures et se construisent des villas, très peu d’argent nous parvient. Ils produisent pour se donner bonne conscience de belles émissions à la radio et de jolis rapports pour distraire les bailleurs et la population », affirme Clémentine. Christine Schuler-Deschryver va plus loin : « En réalité les Bazungu (les Blancs, en swahili) dépensent sur place leur argent en se payant de gros salaires, en organisant séminaires et colloques dans les salles les plus chères et en logeant les participants dans des hôtels de luxe avec des per diem à faire rêver. Combien croyez-vous qu’il reste pour les VVS ? ». Pour Me Julien Cigolo, « la CPI devrait en priorité, à travers son Fonds au profit des victimes, au lieu de jeter l’argent par les fenêtres, appuyer des projets innovants qui impliquent les communautés victimes de ces viols, par exemple au moyen de micro crédits et de mutuelles de santé, en les sécurisant réellement ou pourquoi pas, en érigeant des monuments à la mémoire des victimes …».