[Par Larbi GRAÏNE]
« Où en est la puissance militaire chinoise ? », c’est à cette question inscrite au fronton d’une table-ronde organisée à l’Ecole militaire de Paris le mercredi 19 mars, par l’Association nationale des Auditeurs jeunes de l’IHEDEN, à laquelle a tenté de répondre un panel de spécialistes. Tout d’abord on avait posé sur la table ce chiffre impressionnant, celui du budget de la défense de la Chine : 131 milliards de dollars en 2014, soit une hausse de près de 12 % par rapport à 2013. Ensuite sur le plan numérique, l’armée chinoise est la plus grande du monde. La Chine, à l’occasion de cette table-ronde, a été finement auscultée comme l’aurait été un athlète sur le point d’affronter une redoutable compétition internationale. Les « médecins » se sont penchés sur la part du mental et du physique dans la performance du soldat Mao. Tout le corps a été interrogé, de même donc que la psyché (en remontant l’histoire du pays). Dans un élan prospectif, les différents intervenants, chacun dans son domaine de compétence, ont cerné l’individualité du grand malabar, afin de nous dire de quoi il serait capable dans un proche avenir.
Des conflits régionaux
Denis Lambert, auteur de Géopolitique de la Chine, dans une communication intitulée « Le cadre des ambitions chinoises qui orientent et dimensionnent les transformations », a mis l’accent sur les dissensions internes à l’Empire du Milieu, et sur les conflits qu’il a eu à affronter avec ses voisins. Au niveau interne, il relève que « le Turkestan oriental qui forme le un seizième du territoire avec 1 660 000 km2 se soulève d’une manière récurrente contre le pouvoir central. Il est habité principalement par des Mongols Dzougars convertis à l’islam ». Et d’ajouter « le second grand territoire (1 220 000 km2) qu’administre la Chine est le Tibet (Xizang). Il a le statut d’une région autonome. Pékin l’avait conquis par la force au début des années 50 ». Abordant le niveau externe, Lambert rappelle que la Chine a eu des guerres récurrentes avec la Corée, qu’elle a toujours voulu conquérir. « A l’Inde, a-t-il ajouté, elle a fait une guerre « déclenchée par l’inconscience de Nehru ». « C’est un conflit gelé qui n’est pas guéri, et la frontière entre les deux pays reste « chaude » analyse-t-il. Et d’ajouter « avec les Russes, la Chine est victime de traités inégaux, le tracé des frontières au long du fleuve de l’Amour a été toujours contesté ». Contre les Khmers rouges du Cambodge, la Chine a mené aussi une expédition punitive. D’après Lambert la Chine ne connaitra pas à l’avenir un essor comparable à celui qu’elle a connu ces dernières années car, selon lui, sa population est appelée à vieillir. Il prédit des tensions sur l’eau, notamment sur le toit du monde, à l’Himalaya qui concentre d’énormes ressources hydriques. « Le budget de la Défense de la chine inquiète beaucoup ses voisins. Ils se posent des questions sur cette posture agressive. Pourtant les Chinois se disent toujours pacifiques. Par le passé, ils ont eu Sun Zi qui prône la philosophie du développement harmonieux, et les anciens chinois n’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt pour la carrière militaire» a-t-il souligné.
La Chine 6e pays exportateur d’armement
Pour sa part Patrick Michon, Ingénieur civil spécialiste des questions industrielles de Défense, retraçant « L’histoire du développement de la BITD (base industrielle et technologique de défense) chinoise » a souligné l’importance des inventions chinoises comme les frégates « qu’on a vues patrouiller dans le golfe d’Aden ». Il a toutefois noté que « la montée en puissance de la marine chinoise fait face aux difficultés budgétaires » non sans prédire que les Chinois « auront en 2025 certainement de petits problèmes avec les Indiens » affirmant que ce qui l’incitait à le penser, c’est le fait que « la marine indienne ait fait jusqu’à 2009 des appels d’offres ». « Là où il y a un Indien, il y a un Chinois qui suit » soutient-il, relevant au passage que « la chine commence à embêter l’Inde avec son « collier de perles » au niveau de la frontière ». Et de faire observer la générosité des Chinois, lesquels offrent des chars et des postes radios à certains voisins comme la Birmanie. Michon relève également « l’existence de réserves de gaz prodigieuses au Bengale ». Et d’affirmer « l’industrie chinoise reste comme toute chose un univers bien mal connue. Selon lui « officiellement 1, 75 du PIB sont consacrés à la Défense. Mais la Chine serait désormais le 6° exportateur d’armement quoique ses clients sont principalement des pays asiatiques comme la Thaïlande, le Pakistan, l’Iran, l’Irak du temps de Saddam Hussein et la Birmanie ». Pour Patrick Michon, depuis vingt ans la Chine veut montrer ses muscles ».
Jamais de guerre en Occident
De son côté, Pierre Picquart, Docteur en géopolitique et en géographie humaine a, dans sa communication « La Chine, un acteur militaire qui pèse sur les équilibres mondiaux » noté que « la Chine est la première puissance commerciale depuis 2012 ». D’après lui « ce pays a connu depuis les vingt dernières années une forte croissance, c’est une puissance à la fois développée et en voie de développement ». Et d’ajouter « « la Chine est contributrice à la mission des Casques bleus de l’Onu, elle s’y implique très sérieusement. Mais d’un autre côté on voit le nationalisme monter en Chine ainsi qu’au Japon, et cela suscite des inquiétudes en Europe. Les Américains accusent Pékin de consacrer beaucoup d’argent à la Défense, or c’est ce qu’ils font eux-mêmes en multipliant la mise ». Et de soutenir que « la Chine veut doubler le canal du Panama, ce qui veut dire qu’elle est en train de damer le pion à l’Oncle Sam ». « La Chine connait ses intérêts, elle a réagit face aux menaces d’intervention qui pesaient sur l’Iran en disant que « si vous touchez à ce pays, vous déclencherez la 3° guerre mondiale » a-t-il martelé. Et de rappeler que « la Chine, n’a tout de même jamais mené de guerres en Occident, ni fait partie d’alliances militaires. Sa diplomatie hyperactive est multilatérale et s’adresse à tous les pays de la planète ».
L’opérationnalité, talon d’Achille de l’APL
La dernière intervention celle d’Emmanuel Puig, Senior researcher à Asia centre, Directeur de l’Observatoire stratégique de la Chine a été axée sur l’Armée populaire de libération (APL). Dans sa communication intitulée « Perspectives stratégiques sur les nouvelles missions historiques de l’APL », Emmanuel Puig a retracé les différentes phases qu’a traversées l’armée chinoise pour parvenir à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Après les guerres d’attrition essentiellement terrestres des années 70, ont suivi les conflits locaux sous conditions modernes dans les années 80. Selon Puig « la guerre du Golfe en 1991 a eu un impact sur les Chinois, ils ont pris conscience de leur fragilité et ils ont compris que la guerre ne pouvait être gagnée que par un équipement moderne ». C’est pourquoi a-t-il expliqué « à partir de 1992, les Chinois entreprennent une campagne de modernisation de leur armée. L’attaque de l’ambassade chinoise à Belgrade en 1999 renforce leur conviction quant à la nécessité de sécuriser davantage leur site notamment à l’étranger ». Selon lui « l’APL a rattrapé une décennie de retard en procédant à l’informatisation de son équipement, au développement de ses télécommunications et de son aéronautique. Les Chinois s’inspirent des modèles russes pour fabriquer leurs propres avions comme le J-15 ou le Z –Hi -10 ». Et d’ajouter « une nouvelle hiérarchisation des priorités est apparue au sein de l’APL pour qui le conflit avec Taïwan n’est plus une priorité militaire mais une priorité politique ».
Mais « l’armée souffre d’une série de faiblesses structurelles importantes, il y a une relation évolutive entre l’armée et le Parti, peut-être que cela cause une aversion pour le risque » analyse Puig. Pour lui « les commissaires politiques contrôlent l’APL qui ne manœuvre qu’avec les Russes même si elle a progressé dans la cyberespace en une décennie». «La dernière expérience opérationnelle des Chinois remonte à 1979 » a-t-il indiqué. Et de révéler « les experts chinois pourtant se sont montrés très intéressés par l’opération Serval, ce mot revient sans cesse sur leurs lèvres. Ils sont en train de disséquer comment on l’a fait (Serval, NDLR) ». La Chine serait-elle tentée par une aventure hors de sa région ? Pour Emmanuel Puig, au regard de ce qui a été dit, cela doit « inciter à la prudence la plus extrême ». Et de conclure «nous voulons comprendre les Chinois pour pouvoir en discuter avec eux ».