[Par Larbi GRAÏNE]
Les lampions du 34e salon du livre de Paris se sont éteints le 24 avril dernier à Porte de Versailles, sur une note de satisfaction de ses organisateurs. Et pour cause, le salon a drainé 198 000 visiteurs soit 8000 de plus que l’année dernière. Toujours est-il qu’un salon du livre peut être un baromètre permettant de visualiser l’état des échanges économiques entre la France et les pays participants. L’édition de cette année a choisi comme pays d’honneur l’Argentine et comme ville invitée Shanghaï. A travers ce choix, on peut mesurer du reste l’intérêt des organisateurs pour les pays émergents. La programmation du Brésil comme pays d’honneur pour l’édition de 2015 est là pour attester qu’il s’agit d’une option « lourde » des managers du livre. En termes de poids économique, le livre occupe la première place parmi les biens culturels. Selon le site du SNE, (Syndicat national de l’Edition), le marché du livre en France était en 2006 évalué à 4,1 milliards d’euro surclassant ainsi la vidéo (1, 7 milliards), la musique (1, 3 milliards) et les logiciels de loisirs (1,1 milliards).
Présence de la Chine
Si l’Argentine comme on l’a dit est le pays d’honneur de l’édition de cette année, l’Empire du Milieu, n’en a pas moins pris une place remarquable. Sur 143 activités environ, entre expositions et cycle de conférences, il y en avait dix qui ont été consacrées entièrement ou partiellement à la Chine contre 13 pour l’Argentine. « La Chine achète les droits de 1500 titres pour jeunesse français », souligne Mme Sylvie Gracia, qui participait à une conférence intitulée « La lecture : un perpétuel combat ?», une conférence pourtant centrée sur la France. Il y a des faits qui témoignent d’un réel engouement des Chinois pour la littérature française même si on ne peut mettre d’une manière certaine cet engouement sur le compte des autorités de Pékin. Le désir de traduction des œuvres littéraires de langue française vers le chinois s’est exprimé d’une manière récurrente depuis le XXe siècle comme le rappelle du reste M. Dong Qiang, traducteur, président du jury du Prix Fu Lei et professeur de littérature française à l’université de Pékin. Invité avec M. Pierre Assouline, écrivain et membre de l’Académie Goncourt, à une conférence sur le thème « les prix littéraires s’exportent-ils ? », Dong Qiang, a expliqué que la traduction de la littérature française vers le chinois a son emblème en la personne de Fu Lei (1908-1966). « Fu Lei, a-t-il dit, avait fait des études artistiques en France et traduit vers le chinois les œuvres de Voltaire, Balzac et Romain Rolland. Cet homme, a-t-il ajouté, a eu malheureusement un destin tragique car il s’était suicidé, et sa femme l’avait imité. Ce n’est qu’en 1979 qu’il fut réhabilité par l’Association des écrivains de Chine. À la mémoire du traducteur, un prix Fu Lei fut institué en 2009 par l’ambassade de France en Chine. Depuis nombre d’œuvres de philosophes et d’écrivains français passèrent en Chine comme Montesquieu, Lévi-Strauss, Montaigne, Daniel Pennac, Albert Camus et Simone de Beauvoir pour ne citer que ceux-là.
Atouts non négligeables des Français
Les Français sont des lecteurs appréciables puisque 7 Français sur 10 lisent des livres à en croire une étude réalisée par Livres Hebdo/Ipso auprès de 1013 Français de 15 ans. Cette étude évoquée lors de la conférence sur la lecture, révèle que les jeunes de 15 à 24 ans lisent en moyenne 15 livres par an. Mais les Français connaissent peu de la littérature chinoise. S’il n’y a pas d’études précises là-dessus, il y a en revanche des indices qui permettent de le supposer. Quelque part pour les Français, la Chine incarne ce pays gigantesque de l’Orient travaillé par une culture, qui si elle est en tous points différente, n’en reste pas moins entourée d’un halo de mystère. (Si l’on a lu, par ici, un roman chinois, la mémoire peine à retenir le nom de l’auteur, car peut-être c’est la seule chose qui ne soit pas traduite). Mais la France renommée pour la vitalité de sa littérature, dispose néanmoins d’atouts non négligeables. Ses prix littéraires, à leur tête le Goncourt, constituent un moment attractif et de promotion inégalable pour la cession du livre français à l’étranger. Le mouvement de traduction d’œuvres françaises en Chine est d’ailleurs aiguillonné par l’attribution des différents prix littéraires, insiste M. Dong Qiang. Pourquoi la France se tourne vers les pays émergents ? La crise économique y est-elle pour quelque chose ? Un document du SNE donne la réponse : « Les partenaires « historiques » de la France ne progressent pas (Espagne, Italie, Allemagne, Portugal, Grèce, Pays Bas…) ; les chiffres à la hausse concernent les nouveaux venus, les marchés lointains comme la Chine ». Du reste, les Chinois font acquisition de livres français que l’inverse, et les éditeurs chinois ne cherchent pas à exporter leurs livres mais à en ramener de l’étranger. En 2003 relève la même source, la Chine achetait les droits de traduction de 10 000 titres étrangers. Les ouvrages français traduits en Chine y occupent le 5e rang après ceux des Etats-Unis, Allemagne, Japon et la Grande Bretagne.