Algérie, la présidentielle sous le scalpel à Paris

L’obsession du consensus ferait réélire Bouteflika selon des spécialistes

[Par Larbi GRAÏNE]  

 

Le président algérien  Abdelaziz Bouteflika. AFP PHOTO/FAROUK BATICHE
Le président algérien Abdelaziz Bouteflika. AFP PHOTO/FAROUK BATICHE

 
L’élection présidentielle algérienne du 17 avril a été analysée au scalpel ce mercredi 2 avril à Paris lors d’une conférence-débat organisée par l’iReMMO (Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient)». Les trois co-animateurs de cette conférence sous l’intitulé «  Les enjeux des élections présidentielles algériennes », même s’ils ont divergé sur certains points, se sont toutefois accordés sur le fait que les « résultats du prochain scrutin sont connus d’avance ».
 
Akram Belkaid, journaliste et essayiste, spécialiste du monde arabe, a donné le ton sous sa double casquette de modérateur et de conférencier en avançant l’idée qu’« à priori les jeux sont faits même s’il y a beaucoup de théories qui circulent à Alger » avant de céder la parole à Farida Souiah, chercheuse à Sciences po Paris et chargée de cours à l’Université de Cergy Pontoise.  « Depuis l’annonce faite le 22 février 2014 par le Premier ministre Sellal concernant la candidature de Abdelaziz Bouteflika, l’état de santé de celui-ci a occupé et marqué les débats en Algérie, frappant ainsi de discrédit un système politique qui fonctionne avec un président invalide et inapte à assumer ses fonctions» fait observer d’emblée Farida Souiah. Elle s’est dit frappée en outre par le fait qu’on s’acharne « à faire des élections dont on connait les issues sans se soucier qu’elles soient démocratiques ». D’où son hypothèse fonctionnaliste selon laquelle les élections en Algérie n’ont pas pour vocation  de laisser le peuple disposer de son sort par la voie des urnes.
 
Election consensuelle
 
L’élection du 17 avril prochain explique-t-elle, est consensuelle, elle s’inscrit dans un rapport de continuité avec celles qui les ont précédées ». Souiah a remonté jusqu’à l’époque d’Ahmed Ben Bella, en passant par Houari Boumediene, Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual pour rappeler que toutes les élections qui avaient permis à ces hommes d’arriver au pouvoir, ont été consensuelles, et avaient été assorties de scores très élevés. « En Algérie, le consensus n’est pas une anomalie sociologique » analyse-t-elle.  Et d’ajouter que les scrutins qu’on y organise ne sont pas concurrentiels car les électeurs ne sont pas en mesure d’écarter les dirigeants qui leur sont proposés. « En un mot ce sont des élections dont les résultats sont connus d’avance » tranche-t-elle.  « On est dans un système de parti unique car le multipartisme adopté est un multipartisme « exclusionnaire », qui exclut les partis critiques et qui récupère les partis d’ornementation dans le but de crédibiliser le scrutin ».  Souiah fait remarquer du reste que sous le multipartisme les autres candidats en lice se sont vus attribuer des scores négligeables et que la crainte principale pour le régime reste l’abstention, ce qui le pousse à fournir des chiffres truqués. « Même si Wikileaks nous apprend rien, il a révélé que le taux de participation réel lors de l’élection de 2009 avait oscillé entre 25 et 30 % ». Et de noter  l’adoption de l’abstention comme comportement politique.  Alors quelle est la fonction des élections en Algérie ? Pour  Farida Souiah  « les élections peuvent servir de vanne de sécurité où on laisse s’exprimer l’opposition ainsi que les gens critiques,  mais non dans le but de changer l’ordre des choses ». Et d’ajouter elles peuvent aussi servir pour obtenir la légitimité internationale et la légitimité nationale en adoptant des processus populaires. « Ces élections note-elle nous révèlent le mécanisme de sélection des candidats ». Elle lance catégorique « si Bouteflika ne peut pas faire de discours, c’est que ce n’est pas lui qui gouverne ».
 
Evoquant les mouvements de protestation actuels, elle a laissé entendre qu’ils n’ont pas une grande portée. Pour elle, le mouvement Barakat est apparu dans certaines villes et s’est vu « reprocher de ne pas utiliser l’arabe et l’amazigh dans ses discours ». Le troisième intervenant, Nadji Safir, sociologue et consultant international spécialiste du Maghreb, a voulu se démarquer des analyses qui privilégient la prépondérance des mouvements sociaux sur les individus bien que ce qu’il a développé devait l’amener à une forme de contradiction.  « Ces élections ont un caractère tout à fait exceptionnel, si Bouteflika était en bonne santé, le scrutin aurait été banal, on est en présence d’un scrutin réellement exceptionnel qui fonctionne sur un mode virtuel où le Président candidat n’est pas en mesure de mener sa campagne électorale » a-t-il développé. Selon lui l’histoire n’est pas réductible aux mouvements sociaux, il faut prendre en compte la personnalité de Bouteflika.
 
Logiques rentières
 
Et d’énoncer « mon hypothèse, la voici : on ne peut comprendre ce qui se passe en Algérie si on ne parle pas des deux logiques qui travaillent la société, à savoir la rente historique (ou symbolique) et la rente économique ». « L’Algérie est devenue une économie caricaturale en ce sens que 98 % de ses exportations  proviennent des hydrocarbures. Le combat se déroule autour de la répartition des richesses. On est dans un système de « rentisation », Bouteflika lui-même est un rentier  à la fois historique et économique » décrypte-t-il. Pour lui la candidature de ce dernier « est le reflet d’un consensus rentier ».  «  Le comportement des hommes politiques a-t-il ajouté trahit leur inclination à la rente. Il a cité l’exemple de  Benflis, présenté comme principal rival du chef de l’Etat sortant, et qui, pendant la campagne électorale, aurait incité son public à ne pas croire les gens qui lui ont attribué l’intention, s’il venait à être élu président de la République, de faire rembourser  aux jeunes les prêts que leur a consenti l’Etat dans le cadre de l’ANSEJ.  Et Safir de relever qu’il y a en Algérie près de 10 000 émeutes par an, soit une émeute par heure non sans  mentionner que ces émeutes dans la majorité des cas n’appellent pas les dirigeants à rendre le tablier mais à respecter « le pacte rentier ». C’est-à-dire à fournir des logements, des routes, de l’électricité, etc.  Se référant à une étude internationale, qui établissait le baromètre des sociétés civiles, l’Algérie a-t-il dit s’était classée la dernière. Pour lui « les jeunes arrivent à vivre grâce à la solidarité familiale et à l’économie informelle. Selon son « estimation personnelle » il y aurait en Algérie, 5 millions de jeunes précarisés par rapport à l’emploi.  Toutefois il note « d’énormes transferts sociaux qui représentent 30 % du PIB ».
 
Faiblesse des mouvements sociaux
 
Revenant sur les protestations contre le 4e mandat de Bouteflika, Safir estime que les mouvements sociaux qui les portent n’ont pas d’ancrage « réel ». Pour lui « Barakat n’a pas réuni beaucoup de monde ». Néanmoins  il a estimé que les deux rentes (historique et économique) sont en train de s’épuiser. Dans le débat une voix s’est élevée « Qu’est ce que vous entendez par élection dont les résultats sont connus d’avance ? Est-ce que vous faites allusion à la victoire de Bouteflika ou de Benflis ? ». Akram Belkaid répond tout de go « le clan d’Ali Benflis est convaincu que l’élection est ouverte » Et d’enchainer « je crois que « Bouteflika n’accepterait jamais  de participer à une présidentielle dont il estime qu’il sortira le perdant ». Belkaid cite au passage, de l’air de dire qu’il n’y croyait pas trop, la thèse avancée par le sociologue Lahouari Addi, selon laquelle Bouteflika jouerait le rôle de lièvre lors de la prochaine joute.  Au monsieur qui demandait « qui gouverne l’Algérie ? », Nadji Safir a rétorqué mystérieusement en citant les paroles qu’aurait dites le Général de Gaule, à une personne « dont je préfère taire la question » : « vaste programme mon ami ! ».  Parlant de l’armée, Safir trouve qu’elle se caractérise par « une logique de corps ». Les retraités a-t-il dit gardent des liens très forts avec leurs camarades encore en fonction. Parfois ce sont les retraités qui s’expriment. Le Général Benhadid a pris la parole dans les médias au nom de ses camarades a-t-il rappelé.
 
L’autre question posée est celle se rapportant au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), parti qui vient d’opter pour le séparatisme après avoir revendiqué l’autonomie. Safir estime que « le MAK ne changera pas fondamentalement la donne ». Pour sa part, Akram Belkaid, trouve la revendication du MAK « choquante » tout en concédant qu’il peut « être entendu dans un contexte démocratique ». Il n’a pas caché sa crainte de voir  le pouvoir utiliser cette affaire  comme une carte de pression sur la société afin de se maintenir en place.  A la fin Safir, complétant sa thèse des deux logiques rentières, reconnait que le traumatisme laissé par la guerre civile des années 90 est un autre facteur démobilisant, qui empêche les mouvements sociaux à prendre pied.

 

 

 

Larbi Graine

Larbi GRAÏNE est un journaliste algérien qui a exercé dans plusieurs titres de la presse écrite en Algérie. Il est titulaire d’un DEA en littératures francophones et d’une maîtrise en Histoire et Sciences Sociales.

En 2010, Larbi GRAÏNE a publié chez l’Harmattan un livre sur le syndicalisme autonome en Algérie, intitulé "Naufrage de la fonction publique et défi syndical". Accueilli par la Maison des Journalistes en 2014, il vit depuis en France.

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