En la regardant, cette femme douce et menue, il est difficile de l’imaginer dans une forge entourée d’éclats de feu, parmi des pinces, des marteaux et des enclumes. Et pourtant, la forge est le lieu que Haude Bernabé, sculptrice originaire de Brest, a choisi comme lieu privilégié de son art, dans lequel domine un élément dur et fort comme le fer. « Je ne vois pas le métal comme un matériel dur et froid: quand on le travaille avec le feu ses caractéristiques changent, il devient quelque chose de plus malléable, et pourtant quelque chose qui dure ». Haude Bernabé nous accueille dans son atelier de Montrouge, près de Paris, entourée de silhouettes éthérées et légères, de visages pleins de grâce, interrogatifs et perturbateurs. Puis, elle met ses gants épais, déjà usés, ses lunettes de soudure et allume la flamme.
Comme Héphaïstos dans son enfer de feu, Haude transforme avec la flamme la matière froide, lourde et réfractaire, en figures légères et élégantes. Des visages murmurants, figures anthropomorphes, sont créés avec des matériaux de rebus recueillis et transformés, comme quand enfant, elle fabriquait ses jouets avec ce qu’elle trouvait abandonné par les vagues sur la plage. « Je travaille avec le métal de récupération que je vais chercher chez un ferrailleur de Brest, donc il s’agit de pièces qui viennent des bateaux, de l’arsenal de Brest, un fer qui a déjà vécu, et je tiens compte de la forme qu’il a, que j’y trouve. J’aime quand il y a une certaine patine, quand il y a les marques du temps, quand il y a déjà une histoire. Des fois c’est le fer lui-même qui me donne l’inspiration: des figures se manifestent. En effet, rien n’est jamais fixé, il s’agit d’une interaction ». Fer, donc, mais aussi bois, plastique, tissu, deviennent dans la forge de l’artiste, poésie et matière.
« La sculpture pour moi, c’est une exigence, une nécessité, quelque chose d’un peu inépuisable. J’ai besoin des trois dimensions : pour moi l’expression passe par la matière ». La parole, traitée comme matière à fusionner avec le feu, lui est souvent source d’inspiration, pour créer des sculptures qui ne soient pas seulement des objets mais qui soient aussi pensés, des émotions rendues visibles. Une phrase d’Albert Camus devient titre d’une oeuvre « Nous allumons dans un ciel ivre les soleils que nous voulons ». C’est un tourbillon de petites silhouettes humaines comme celles des festons pour les enfants, qui planent dans le ciel comme tirées par le vent, se transformant sous nos yeux en paroles, en poésie. Ou encore, c’est un grand visage, suspendu parmi les paroles qui murmurent la phrase de Jean Genet « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible ». « La parole, la littérature, la poésie, c’est là où souvent je rebondis, ou plutôt, c’est pour moi une sorte de synesthésie: il y a un mot qui crée une image ou bien un volume, et à partir de là, je travaille ». Un travail tout récent, avoue l’artiste, né de l’envie de « matérialiser les mots ».
Des figures aux profils minces, hommes et femmes fusionnés dans un vortex d’amour, mais aussi des squelettes, des poupées qui évoquent le vaudou ou des caillots de métal d’où sortent des bras et des yeux, habitent l’atelier bondé de Haude. « Je ne sais pas qui sont les figures qui sortent, qui sont dedans, des fois je le sais mais des mois après je l’oublie. Ca n’a pas d’importance, c’est l’être humain que je veux représenter ». Et c’est l’être humain, avec toutes ses contradictions, sa beauté comme son inquiétude et ses peurs, que rencontre le visiteur, submergé par des visions et des émotions contradictoires. « Je trouve que dans la beauté il y a une blessure, il y de l’accidentel. Je ne cherche pas à faire du beau. Je cherche à faire quelque chose qui touche, et pour moi c’est plutôt l’interaction entre la personne et la sculpture qui peut créer la beauté ».
Vidéo réalisée par Pierre TOH – Interview par Djibril DIAW