[Par Sadegh HAMZEH]
Sans la force des médias, seule puissance capable de poser un regard critique sur la société et ses activités, un pays et son peuple ne peuvent pas continuer à avancer sur un chemin stable.
Quand les dictatures et les régimes fondés sur une idéologie s’emparent du pouvoir, ils plantent leurs griffes acérées dans le cœur de la Constitution. Ils font ensuite du peuple les esclaves d’un système rigide dont le principal objectif est de garder le pouvoir politique. Dans ce système, c’est la santé des médias qui est menacée. La préoccupation première des dictateurs et des idéologues étant de censurer et de s’assurer du contrôle des médias afin de les asservir au profit de leur propagande. En Iran, depuis que la République Islamique a pris le pouvoir en 1979, nous avons été les témoins d’un régime qui n’a pu fonctionner et perdurer uniquement par l’arrestation des personnes susceptibles de dénoncer ou de s’opposer au système. En première ligne, de très nombreux journalistes, dont les publications ont été bien entendus interdites, mais également des avocats et des personnes travaillant pour les Droits de l’Homme. Ils ont été condamnés au silence et à l’isolement en prison, jusqu’à la mise à mort de nombreux journalistes. Le dernier d’entre eux qui a succombé en prison s’appelait Hoda Saber (en juin 2011).
Mashallah Shamsolvaezin, journaliste et consultant au Centre d’Etudes du Moyen Orient, fait un parallèle entre les quatre saisons et les quatre piliers de la démocratie : le droit, le parlement, les partis politiques et les médias. Pour lui, dans le cas de l’Iran, la démocratie ne repose que sur trois piliers, le quatrième ayant été confisqué par le pouvoir. Il manque à la démocratie les médias. Lorsqu’un nouveau journal paraît, il lui est difficile de survivre plus d’un jour dès lors que le gouvernement estime qu’un article ne va pas dans le sens de l’idéologie islamique. Tous les domaines, politiques, économiques, ou les questions de société, sont concernés. La durée de vie des médias en Iran est donc toujours très précaire.
Les journalistes et sociologues iraniens s’interrogent constamment sur les raisons d’une telle précarité des médias : qui en est le responsable ? Les journalistes eux-mêmes ou l’Etat iranien ? En fait, les journalistes ont souvent accusé l’Etat iranien d’être le responsable de cette situation car cet acharnement sur les médias n’est pas nouveau. En effet, lorsque la monarchie était encore en place, avant la révolution, le gouvernement avait déjà cette fâcheuse manie de contrôler, censurer et exterminer tout média susceptible de critiquer le gouvernement. Après la révolution, le terrible héritage paranoïaque est tombé entre les mains du nouveau gouvernement islamique, poursuivant ainsi le travail de censure de son prédécesseur.
Depuis le régime du Shah et durant les présidences successives, jusqu’à aujourd’hui avec Hassan Rohani, nombreux ont été les journalistes emprisonnés et les journaux interdits. Au moment où j’écris cet article, 48 journalistes sont toujours détenus en prison. Il y a trois semaines, le corps des Gardiens de la Révolution Islamique (ou Sepah-e Pasdaran,organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution, le chef de l’Etat iranien), a envoyé un groupe armé dans la prison Evin section 350 à Téhéran, prison réservée aux journalistes et aux opposants politiques. Ce groupe, qui figure sur la liste officielle des organisations terroristes des Etats-Unis, a été envoyé pour torturer les journalistes et les politiques contestataires. Ils les ont brutalisés gravement à coup de bâtons, leur ont brisé les mains, la nuque et rasé la tête, car en prison, ils continuaient à communiquer avec l’étranger et faisaient la grève de la faim pour dénoncer l’atrocité de leur détention. Lorsque les familles des victimes ont décidé de manifester auprès du procureur, les services secrets les ont arrêtés à leur tour pour les jeter en prison.
Finalement, nous pouvons dire que la liberté d’expression des journalistes est le fruit défendu des iraniens. Comme Dieu a interdit à Adam de manger la pomme, l’Etat Iranien interdit aux journalistes d’exercer leur métier. Si le journaliste se risque à croquer le fruit défendu, tel Adam chassé du paradis, la patte griffue se pose sur sa proie. Le dénouement est presque toujours le même… réduit au silence.