[Par Raafat Alomar Alghanim]
Traduit de l’arabe par Emmanuelle Ricard
Il y a quelques jours, j’ai appris la mort sous la torture de l’activiste syrien Abd al Hadi Awad, dans une des prisons où se perpètrent les crimes d’al-Assad. Ce nom n’a pas trouvé d’écho dans ma mémoire, peut-être à cause de l’abondance des noms et des évènements que l’on entend, ou parce que je ne l’avais rencontré que rarement. Mais sa photo, lorsque je l’ai vue sur Facebook, à côté de laquelle figurait : « Mort en martyre sous la torture », m’a immédiatement rappelé le visage souriant que j’avais rencontré en 2012 au cours d’un stage organisé par l’institut NDI à Amman, avec un sourire que le coeur syrien ne peut ignorer, un sourire qui inspire l’optimisme et la confiance en soi, un sourire perpétuel comme un secret, d’une présence qui ne s’oublie pas.
Il vous serait douloureux d’apprendre que l’un de vos proches a disparu sans que vous en ayiez été informé. Mais il vous serait plus douloureux encore de trouver sa photo par hasard sur Facebook, en buvant un thé, ou en vous préparant à partir au travail, ou encore en parcourant avant de vous endormir les dernières nouvelles publiées par vos amis. Sa mort me parvient comme une surprise brutale, d’autant plus douloureuse que la torture en est la cause. C’est de cette façon, sans les préliminaires traditionnels de proches ou d’amis, ou même des médecins dans les hôpitaux, lorsqu’ils informent d’un nouveau décès, que m’est parvenue cette nouvelle, plus d’une fois, sur Facebook. Et c’est ce qui se produit régulièrement avec tous les Syriens qui cherchent les dernières nouvelles de leurs amis sur les réseaux sociaux et sont saisis d’apprendre la mort d’un fils de leur village ou d’un membre de sa famille. Le drame électronique des Syriens s’ajoute au drame de leur réalité, et ainsi échangent-ils leurs condoléances sur ces mêmes réseaux dans le temps syrien des condoléances.
Abd al Hadi Awad est mort après quatre mois d’emprisonnement. Originaire de Damas, il documentait les violations des droits des détenus. Ses geôliers lui ont fait goûter les tortures contre lesquelles il s’était élevé de sa plume et de sa voix, cette voix qui est restée libre jusque dans les prisons des tortionnaires alors même qu’il criait de douleur sous la torture. Une voix qui s’ajoute à la liste des crimes perpétrés par le régime d’al-Assad, une voix dont ceux qui s’intéressent à celui qui la porte ne peuvent rester du côté des assassins, un visage dont ceux qui le voient sourire ne peuvent imaginer l’agonie sous la souffrance, sans ressentir un choc envers ces tortionnaires qui vivaient avec lui dans le même pays.
Abd al Hadi a oeuvré loin de la scène médiatique. Il n’était pas célèbre sur les pages de Facebook, même s’il avait de nombreuses connaissances du fait de son infatigable activité. Abd al Hadi Awad était membre de l’Institut Démocratique Syrien, de la Tribune Démocratique et du Mouvement de l’Appel. Ceux qui l’ont rencontré s’accordent sur son amour du travail en toute discrétion à l’écart des médias et sur son activité inlassable, lui, jeune qui avait l’ambition d’une Syrie libre, dont nous serions fiers et qui serait fière de nous, et rêvait non du prestige et des honneurs mais d’une vie simple.
Lorsque j’ai appris la nouvelle et que je n’ai plus pu en douter, j’ai écrit : « ceux qui connaissaient Abd al Hadi Awad savent combien ses assassins méritent la mort ».
Ses amis également, n’ont, au début, pas cru cette nouvelle, et se sont demandé si c’était bien vrai. Voici quelques extraits de ce qu’ils ont écrit sur lui :
« Le bruit court que Abd al Hadi Awad est mort sous la torture. Ceux qui l’ont connu savent combien est grand le crime commis par les mains de ses assassins. Les mots ne suffisent pas », Khalaf Ali al Khalaf.
« Je vais rassembler vos photos et les cacher, je vais remplir les murs de vos photos, j’ai peur de perdre quelqu’un… je ne veux pas y croire… paix à ton âme, à ta belle âme… nous les pourchasserons, et nous arriverons à la Syrie dont nous rêvons », Chadi Abou Karam.
« Honneur à toi, honte à tes assassins qui souillent la Syrie et son peuple. Tu resteras dans nos mémoires l’emblème du Syrien dont la Syrie est fière ! », Bassam ‘Owayl.
« Abd al Hadi Awad était un Syrien, un activiste civil des droits de l’Homme, originaire de Damas. Il a oeuvré loin de toute publicité ces dernières années, inconnu des réseaux sociaux, occupé seulement à travailler » ; « Abd al Hadi, je ne veux pas croire ce que j’entends, que Dieu t’accorde sa miséricorde, bienheureuse est la terre de Damas dans laquelle tu reposes », Sami Choukri.