[Par Larbi GRAÏNE]
Dans la bonhomie d’une salle archicomble du théâtre de la Madeleine à Paris, François Morel a donné en cette soirée du 23 juin son mirifique spectacle « Le soir, des lions… » au profit de la Maison des journalistes (MDJ). Décliné sous forme d’un concert théâtralisé ou d’un théâtre musicalisé, c’est selon, le spectacle, haut en couleurs et en décibels, a vu la participation exceptionnelle de Juliette qui en est, en fait, la metteur en scène.
En plus d’avoir eu la réplique à cette dernière, Morel, a évolué aux côtés de Lisa Cat-Berro (au saxophone), Muriel Gastebois, (à la batterie) et d’ Antoine Sahler (au piano). La musique est d’Antoine Sahler et de Reinhardt Wagner. Très complice, le public fin connaisseur n’a pas lésiné sur les chaudes ovations, à tel point que les comédiens s’étaient sentis gênés de terminer leur show dans les délais impartis. Il a fallu donc une rallonge pour dompter tous les caprices, ce à quoi les artistes s’y sont volontiers pliés. La scène très « symbolisante » rassemble juste l’essentiel d’un intérieur : un mur, les différents instruments de musique, un banc en bois, un nounours et un poste TSF. François Morel, c’est une certaine idée de la culture, ici française, s’entend. La référence à Apollinaire et à son symbolisme y est outrageusement affirmé. C’est même la transposition des poèmes apolliniens sur l’espace scénique. Il y a des allusions à la modernité et son compagnonnage bigarré formé d’éléments hétéroclites qui peuvent remonter, pour certains, jusqu’à l’âge classique. Comme dans Alcools où la machine à vapeur fait irruption dans un vers ciselé à l’ancienne, Morel évoque à l’ère du numérique, « La fille du GPS ». Il dressera un portait incisif, de cette femme-objet. Et François Morel de chanter « Elle est mon guide, elle est ma nourrice/Ma cicérone et mon mentor/Elle est mon gourou, mon inspiratrice/Ma muse à moi, mon sémaphore/ Et de marteler « La fille du GPS/Est une vraie maîtresse ». Les paroles sont presque des télégrammes, lancés sur une rythmique saccadée…
Objets fétiches
L’univers de Morel est hanté par les objets fétiches, qui sont tellement ressemblants à l’être humain qu’ils en deviennent l’incarnation. Le comédien raille les mœurs bourgeoises en même temps qu’il décrit l’atmosphère fantasque dans laquelle les gestes quotidiens ont été entraînés à l’automatisme dans une relation de maître à esclave. L’ambiguïté du poème morelien tient à l’érotisation de la relation avec le GPS « Je l’imagine au lit/Conduisant mes caresses/Palliant ma gaucherie/Avec délicatesse/J´entends sa voix terrible/Au milieu des ébats/M´enjoignant, inflexible/D´aller au nirvana ». Dans la même veine, Juliette raconte l’histoire de « la robe noire » suspendue dans un placard à coté d’un « costard ». Du reste le récital ou le récit se moque de lui-même. Morel se joue de tout, même de la mise en scène, en laquelle il paraît avoir de bonnes raisons de douter. Au vu de sa pratique du soupçon, le spectateur en vient à avoir l’impression qu’il risque de sortir du récit, c’est-à-dire de délirer ! Morel, tout en fixant le public, fronce parfois les sourcils, on voit ses joues tressaillir, son front s’assombrir, avant de se diluer dans un large sourire. Tout se mêle le grotesque, l’absurde, le comique, le tragique dans une tentative de déconstruction des apparences, le tout dans un décor de salle de music-hall. « Le soir, des lions… », est construit sur un oxymore par omission, comme on dira un mensonge par omission, le soir les hommes sont des lions mais le matin, ils sont des cons (c’est son explication), allusion à un quotidien amer. Sur les SDF il aura une pensée « Il était un petit homme/ Pirouette cacahuète/ Il était un petit homme/ Qui avait un’ drôle de maison/Sa maison est un carton/ Pirouette cacahuète/ Sa maison est un carton/Au-dessus d’un’ bouche d’aération » et plus loin « C’est à cause du baromètre/ Pirouette cacahuète/ C’est à cause du baromètre/ Qu’il est mort un soir de tempête/On l’a mis jusqu’à perpette/ Pirouette cacahuète/ On l’a mis jusqu’à perpette/ Dans une éternelle couchette/Ce qui fait qu’il a moins froid/ Pirouette cacahuète/ Ce qui fait qu’il a moins froid/ Dans son joli cercueil en bois ». Au delà de la mort et de la résurrection, ce fut un concert plaisant, sensationnel, une soirée vibratoire, rythmée par un dialogue entre les mots et la musique, d’où l’on sort totalement grisés.
Salle comble au Théâtre de la Madeleine pour le très beau spectacle de François Morel, le 23 juin 2014. Merci à tous ceux qui se sont mobilisés et déplacés à l’occasion de ce bel évènement, nos partenaires, nos amis, les résidents… Quelques images des échanges qui ont suivis par le photographe Jean-François Deroubaix. (Darline Cothière, Directrice de la Maison des journalistes)