[ Propos recueillis par Lisa Viola ROSSI]
Un sourire ensoleillé, trahi par un flux continu de mots vibrants, mélange de souffrance et d’espoir. Roman Khandoker, 35 ans, est un photojournaliste bangladais en exil à Paris. Diplômé en sécurité sociale à l’Ecole Kushtia Zilla, dans sa petite ville, Kushtia, dans l’ouest du pays, il a continué ses études en choisissant de se spécialiser en photojournalisme. Depuis 2001, sa passion pour le reportage social l’a amené à travailler dans différents médias.
« La situation sociale et politique était très difficile, tout comme elle l’est encore aujourd’hui. Corruption, terrorisme et islamisme – cite le journaliste – sont parmi les problèmes les plus graves dans mon pays. A cette époque, je faisais des activités sociales de sensibilisation des femmes au contrôle des naissances, étant donné le problème des familles nombreuses et de la surpopulation bangladaise. Mais il faut savoir que le terrorisme touche chaque sphère de la vie tant publique que privée au Bangladesh. Il est étroitement lié à l’intégrisme religieux, en empêchant les femmes de vivre leur vie librement: sortir seules de la maison ainsi que travailler, sont des activités « interdites » aux femmes. Cela signifie une chose : notre pays a le potentiel pour devenir un pays riche, mais il ne peut se développer à cause des interdictions imposées par les islamistes ».
Mais cela n’était pas la seule activité dans laquelle Roman était engagé. Avec deux amis journalistes, en tant que photographe, il s’est occupé de plusieurs sujets sociaux. « Il faut clarifier une question : au Bangladesh il y a deux types de journalistes. D’un côté, il y a le journaliste très corrompu et d’un autre côté il y a le journaliste libre. La différence entre les deux est bien évidente : le premier est très riche, le deuxième n’a rien. Dans le passé, le journalisme était une mission entreprise par des personnes intègres et respectueuses de la loi ; aujourd’hui le journalisme au Bangladesh est vu malheureusement comme un moyen de devenir riche rapidement. »
Parmi les sujets dont Roman s’est occupé, la drogue. « J’ai voulu faire face à la question de l’immense trafic de drogue de l’Afghanistan, de l’Inde, du Pakistan. La drogue est toute à fait disponible partout et accessible aux adolescents les plus jeunes, même de 12-13 ans. Je me suis donc impliqué dans l’activité de sensibilisation aux dangers de la drogue dans la Caritas jusqu’au jour où la police est venue me chercher. J’ai été arrêté et détenu pendant seize jours, puis j’ai obtenu, grâce aux efforts de mes parents, une autorisation d’absence temporaire pour en sortir. Aujourd’hui, je ne connais pas la raison de mon arrestation. Cinq jours après ma sortie, j’ai reçu la notification de ma condamnation à cinq ans de prison. »
Roman se souvient que c’était une période très difficile pas seulement pour lui, mais aussi pour sa famille : il vivait avec son père, sa mère, son frère et sa sœur. Ils avaient donc convenu de quitter tous ensemble le département où il avait grandi, pour déménager à Dacca, la capitale.
« A cette période, en 2004, il faut rappeler que le terrorisme d’Etat était en train de se répandre partout : on l’appelle Rab, c’est-à-dire Rapid Action Battalion. Amnesty International a écrit plusieurs choses sur les homicides commis par le RAB. On parle de milliers quille, à Dacca. « J’avais trouvé un travail dans le domaine de l’électronique, dans le secteur agricole. En même temps, je ne pouvais que continuer mes activités de photojournaliste… » Des activités qui ont contraint le père de Roman à lui poser une question fatidique. « Il m’a demandé de partir, si possible, car ma famille continuait à avoir des soucis à cause de mon engagement. Mais moi, je ne savais pas comment partir. C’est comme ça qu’un jour mon père m’a donné environ 2 mille dollars pour le voyage. J’ai dû partir : j’ai quitté mon pays et en 2009, je suis arrivé en France. ».
« La photographie, un langage universel : ma passion ». Aujourd’hui Roman continue à publier ses photos, parfois dans des journaux français, ainsi que dans des magazines étrangers. Mais ce n’est pas un travail, c’est juste du bénévolat : en fait il n’a pas encore ses papiers.
« Beaucoup de personnes m’ont dit : « Ce n’est pas possible, il faut que tu abandonnes l’idée de faire ce métier »… En me citant une raison ou une autre. Je le sais bien, c’est difficile : mais c’est ma passion. »
« La photographie – affirme Roman – est un langage universel, que je considère fondamental dans le journalisme. C’est ça que je veux continuer à faire ».
Donc pour le moment il n’a pas de vrai travail. Autrement dit, il donne un coup de main dans un restaurant d’amis, car il ne veut pas demander les aides de l’Etat.
« La langue française est très difficile, j’ai beaucoup d’amis, mais je me sens quand même très seul et je voudrais rentrer au Bangladesh, si le gouvernement changeait. De toute façon, je ne perds pas l’espoir de trouver un travail ici en tant que photojournaliste ».
Mais pour l’instant le problème ce n’est rien moins que son cv : « J’ai des expériences professionnelles importantes, parce que j’ai collaboré avec des magazines comme le National Geographic etc., ainsi que dans la réalisation de vidéo-documentaires, mais… Je ne peux pas proposer mon cv auprès des rédactions. C’est en raison du fait que depuis mon arrivée en France, il y a 5 ans, je n’ai pas reçu mes papiers. Comment ça marche dans les différents processus auprès la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile ? Je ne le sais pas : certains ont la chance d’avoir une réponse très rapidement, lorsque d’autres demandeurs d’asile comme moi doivent attendre des années. Je ne sais pas quoi penser. Chaque fois que je reçois une lettre, je suis très inquiet, c’est terrible… Néanmoins j’ai le support de mes amis journalistes, ainsi que celui de la Maison des journalistes. »
Ce que Roman demande, c’est juste de lui donner une chance de montrer ses compétences. « Je suis en train de vivre une partie de ma vie très dure. C’est comme si j’étais bloqué, comme si ma vie était suspendue. Ma situation me rend très triste, maintenant, après cinq ans, sans ma carrière et loin de ma famille. Donc je n’ai pas de plans pour le futur, je ne peux pas les avoir : bien sûr, j’espère arriver à organiser d’autres expositions, avec quelque clichés de mes reportages, mais j’arrive juste à vivre le présent. Heureusement je suis aidé par des amis qui ont un restaurant de cuisine française traditionnelle …Je me dis parfois que, peut être, je vais devenir un photographe culinaire… »
Crédit photo : Roman Khandoker