[Par Carole Attioumou-Serikpa]
Après les massacres de Guitrozon en 2005 et de Duékoué Carrefour en 2011, le massacre du camp de réfugiés de Nahibly, en 2012, est celui qui a suscité la plus vive indignation des organisations internationales des Droits de l’Homme. Jusqu’à ce jour les enquêtes, quand elles ont été ouvertes, n’ont rien donné. Ce massacre, commis dans un camp de réfugiés situé pourtant à quelques pas seulement de la base de l’Organisation des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), a fait près de 300 morts et de nombreux disparus.
Ces tueries sont survenues après la décision du gouvernement ivoirien de fermer le camp. Le préfet militaire de Duékoué, le lieutenant Koné Daouda, dit Konda, pour aller dans la direction de ses dirigeants, avait en effet déclaré : «Nous n’allons pas rester les bras croisés pendant longtemps. Il faut que le site soit fermé pour éviter qu’il ne devienne le nid de malfaiteurs».
Les occupants de ce camp sont d’ethnie Guéré, donc taxés pro-Gbagbo. Le principal témoin, un rescapé, qui a conduit les chaînes de télé et les différentes organisations des Droits de l’Homme à la découverte de certains corps, Alex Saint-Joël Gnonsian, 25 ans, a, lui, été assassiné dans la nuit du 30 au 31 décembre 2013.
Voici son témoignage lors de la découverte des puits: «Nous avons été transportés jusqu’à l’usine de traitement des eaux de la SODECI (Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire) par les gardes du corps du commandant des FRCI (Forces Républicaine de Côte d’Ivoire) de Konda. Il s’agit alors du caporal et chef de sécurité de Konda, du caporal Ben qui est maintenant au CCDO (Centre de Coordination des Décisions Opérations), du caporal « Tout petit ». Arrivés sur place, les militaires ont demandé aux Dozos de leur montrer un puits perdu. Un Dozo a montré le puits perdu. Nous avons été alignés sur les bords. Nous étions 7. Ils ont ouvert le feu et je me suis jeté dans le puits en faisant le mort. Quand ils sont partis, je suis sorti du puits pour me cacher dans la brousse. De là, je voyais les allées et venues des hommes de Konda; lui-même est venu à bord de sa voiture. Plusieurs corps ont été jetés dans les puits environnants. 10 puits ont été répertoriés. L’ONUCI garde l’endroit depuis octobre 2012. Je souhaite que justice se fasse, c’est pourquoi j’ai décidé de montrer ces puits où mes amis d’infortune de Nahibly sont enterrés». La mort de ce dernier qui aurait dû être sous la protection des organisations des Droits de l’Homme, est restée tout aussi impunie que les autres.
À l’occasion du premier anniversaire du massacre, le rapport d’Amnesty International, daté du 29 juillet 2013, déclarait en substance ceci: «…Face à ce climat d’impunité profondément ancrée, Amnesty International a appelé, dans un document publié en février 2013, à l’établissement d’une commission internationale d’enquête sur les violations et atteintes aux droits humains commises à Nahibly. Les autorités ivoiriennes ont rejeté cette recommandation affirmant que la justice nationale avait la capacité et la volonté de faire la lumière sur ces événements et de fournir une réparation aux victimes. Cependant, force est de constater que, cinq mois plus tard, aucun signe tangible ne vient indiquer que cela est le cas». Elle invitait, toujours dans ce même document qui marquait le premier anniversaire de l’attaque contre le camp de Nahibly «…le président Alassane Ouattara à tenir ses promesses faites, à plusieurs reprises, de lutter contre l’impunité et d’assurer justice, vérité et réparation à toutes les victimes de la crise post-électorale».
Le rapport est clair. Le gouvernement ivoirien qui a rejeté la compétence d’une commission d’enquête internationale, manquerait jusque-là de volonté pour enquêter sur ces massacres. En attendant les enquêtes sur la rébellion de 2002, sur les différents massacres à l’ouest du pays, sur l’attaque d’Anonkoua-kouté, sur l’assassinat du français Phillipe Rémond lors la progression des FRCI sur Abidjan, les présumés coupables seraient royalement décorés par le pouvoir d’Abidjan. Et dans le même temps, depuis 2011, date de la chute de l’ancien pouvoir, des distinctions seraient opérées entre les victimes et un acharnement judiciaire serait exercé contre les adversaires du camp Ouattara.