[Par Adi MAZEN]
Les réfugies sont en constante augmentation : ils sont actuellement plus de 50 millions, en ne comptant que ceux qui figurent sur les listes de l’organisme spécialisé des Nations Unies. A lui seul, mon pays, la Syrie, compte près de neuf millions de réfugiés, contraints d’abandonner leurs maisons et leur travail.
Six millions d’entre eux sont déplacés à l’intérieur de la Syrie. Les trois millions restant ont été obligés de chercher un asile à l’extérieur, dans les pays environnants et aux quatre coins du monde. Nombre d’entre eux n’ont pas eu d’autre choix que de mettre leur vie en péril, de subir toutes sortes d’exactions, d’accepter de se faire extorquer, de prendre le risque de périr en mer, comme cela s’est passé pour quelques centaines d’entre eux, il y a quelques mois, au large des côtes de l’Italie et de la Grèce.
Pour prendre la mesure et pour traiter comme il convient, dans toutes ses dimensions humaines et économiques, la question des exilés volontaires et des réfugiés sous la contrainte, nous ne devons pas nous dissimuler sa dimension politique. La tyrannie, l’oppression, la discrimination, le déclenchement de guerres injustes, le renoncement de la communauté internationale à ses obligations envers les peuples du monde et à son devoir de protéger les droits fondamentaux qui figurent dans les pactes et chartes internationaux, ont contribué à des désastres humanitaires considérables.
Les journalistes et les artistes réfugiés aspirent à être les ambassadeurs de leurs pays et à exposer au monde les problèmes humains dont ils ont été eux-mêmes les victimes. Des circonstances difficiles les ont arrachés à leur milieu de vie et à leur patrie, et les ont conduits à chercher refuge dans de nouveaux territoires. Certains d’entre eux ont eu la chance d’être accueillis dans des pays démocratiques, respectueux des Droits de l’Homme, comme la France.
J’ai été accueilli à la Maison des Journalistes de Paris, quelques jours après mon arrivée en France, au début de 2012. D’autres journalistes et activistes engagés dans le secteur des médias y avaient été accueillis avant moi, et d’autres m’y ont succédé, Syriens et de différentes nationalités. En dépit de ses moyens limités, cette Maison continue de rendre de très grands services, en particulier au moment où les réfugiés arrivent en France. Nous lui sommes tous profondément reconnaissants.
Dès le début du soulèvement populaire pour la liberté et la dignité en Syrie, en mars 2011, j’ai pris une part active dans la diffusion de l’information et l’animation politique. J’ai répondu aux questions des chaines de télévision et des radios arabes et internationales, pour contribuer à témoigner de la réalité des faits, pour exprimer mon opinion et pour briser l’omerta que le pouvoir dictatorial en place en Syrie entendait imposer à l’information. Je voulais aussi dévoiler les crimes commis par ce pouvoir au détriment des manifestants pacifiques, qu’il tuait ou emprisonnait. J’ai constamment affirmé que la crise politique et nationale provoquée par les méthodes du régime syrien durant les quarante années de « pouvoir assadien », transmis de père en fils, exigeait un traitement politique radical. Cette solution politique radicale devait respecter la volonté du peuple et faire progressivement passer le pays d’un système de pouvoir totalitaire à un système national démocratique, pluraliste, respectueux des libertés publiques, fondé sur le principe de l’Etat civil moderne, attaché aux Droits de l’Homme et aux principes de la justice sociale. Comme d’autres activistes, j’ai de ce fait été soumis à des poursuites. J’ai été arrêté durant cinq mois. Quelques semaines après avoir été libéré, j’ai de nouveau été poursuivi, ce qui m’a obligé à quitter mon pays pour poursuivre, depuis l’extérieur, mon activité militante. Je me suis retrouvé dans une situation que je n’aurais jamais imaginée : celle du réfugié.
Une multitude de facteurs ont contribué à pousser la Syrie dans la voie de la militarisation et de l’internationalisation :
a. l’autisme du « pouvoir assadien », dont le passé fasciste entre 1980 et 1982 est connu de tous ;
b. le soutien inconditionnel dont le régime bénéficie de la part de ses alliés régionaux et internationaux ;
c. sa décision de lancer l’armée et les milices contre des centaines de milliers de manifestants dans la plupart des villes et agglomérations de Syrie ;
d. son recours à une violence effrénée, résumée dans le slogan « Al-Assad ou nous brûlons le pays », face à un mouvement dont Bachar al-Assad a lui-même reconnu qu’il était resté strictement pacifique durant quelque 6 (six) mois, au cours desquels près de 10 000 (dix mille) jeunes gens ont péri ;
e. la lâcheté de la communauté internationale et sa réticence à secourir et protéger la révolution civilisée du peuple syrien confronté à la violence et la tyrannie…
L’intervention en Syrie des milices libanaise (le Hezbollah) et irakienne (Abou al-Fadl al-Abbas), appelées à la rescousse par le « pouvoir assadien » et placées sous l’autorité des Pasdaran iraniens, a compliqué la situation. Elle a favorisé le radicalisme et le fondamentalisme. Le phénomène du djihadisme s’est développé. Nous en voyons les terribles conséquences sur les populations des pays voisines, l’Irak et le Liban. Tout cela, conjugué à d’autres facteurs, a provoqué un surcroit de destruction et l’exode de centaines de milliers de nouveaux réfugiés.
Mais, en dépit de la situation catastrophique face à laquelle il s’est retrouvé, alors qu’il aspirait à la liberté et à l’établissement d’un Etat démocratique, le peuple syrien continue de se battre pour exprimer sa volonté et son refus de tout extrémisme.