1,8 milliard de jeunes dans le monde : potentiel de développement économique ou bombe à retardement ?

[Par Marciano Romaric KENZO CHEMBO]

unfpa
Le rapport annuel du Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) 2014 sur la population mondiale, baptisé « Le pouvoir de 1,8 milliard d’adolescents et de jeunes et la transformation de l’avenir » a été présenté lundi 17 novembre 2014, dans la salle de conférence du ministère français des affaires étrangères et européennes du Quai d’Orsay.

Un document de 128 pages qui trace et oriente les grands axes à suivre et définit la politique à mener par les Etats et gouvernements membres du système de l’Organisation des Nations Unies pour parvenir aux objectifs fixés par l’Organisation et les pays à partir de l’An 2015, date butoir des objectifs du millénaire.

Il ressort de ce document qu’aujourd’hui notre monde compte plus de 1,8 milliard d’adolescents et de jeunes de 10 à 24 ans, un nombre sans précédent, la tranche d’âge la plus importante de l’histoire de l’Humanité et cette année, le FNUAP met l’accent sur la nécessité d’investir sur ce groupe d’âge qui peut être à la fois un potentiel de développement économique durable ou une bombe à retardement pour l’humanité car, des jeunes dépend l’avenir de notre planète puisqu’ils en seront les dirigeants ; ce sont eux qui façonneront le monde. Les adolescents de 10 ans aujourd’hui auront 20 ans en 2024 et en 2034, 30 ans. D’où la nécessité de prendre en compte leurs préoccupations et leurs besoins, de les associer à la prise de décisions et à la réalisation de leurs projets et de les écouter.
Ce qui, hélas n’est pas le cas à l’heure actuelle dans de nombreux pays en voie de développement surtout dans les Etats d’Afrique subsaharienne, dont les préoccupations premières des décideurs politiques sont les adultes, la jeunesse souvent reléguée aux calendes grecques.

Um moment de l'intervention de Mabingué Ngom, Directeur de la Division des Programmes du FNUAP
Um moment de l’intervention de Mabingué Ngom, Directeur de la Division des Programmes du FNUAP

Selon Monsieur Mabingué Ngom, Directeur de la Division des Programmes du FNUAP,

– Il est urgent pour les dirigeants, les Organisations non gouvernementales, les entités privées et les citoyens d’investir efficacement et durablement en matière d’éducation, de formation professionnelle, de création d’emplois productifs, de santé, de programmes de planification afin de garantir à la jeunesse un bien-être et un mieux-vivre, gage d’un avenir meilleur et serein de notre planète. Car une jeunesse instruite, saine et occupée par des emplois stables et satisfaisants est plus responsable et constitue un capital humain générateur de ressources et non une proie au banditisme, terrorisme, rébellion…

– L’accent doit être également mis sur le respect des droits fondamentaux des adolescents et des jeunes, tel le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, le droit à la santé, à l’éducation, à l’information, à la liberté d’expression, à la liberté d’association et de la non-discrimination, et le droit d’être à l’abri de la torture et d’autres traitements cruels inhumains dégradants y compris la violence sexuelle et les mariages précoces que continuent de subir plus de 600 millions d’adolescentes dans les pays pauvres, dont « chaque jour 39000 deviennent des épouses enfants », soit environ 140.000.000/décennie (ndlr Rapport FNUAP 2014);

Réduire l’écart d’inégalité relative au genre qui défavorise les filles et les jeunes femmes; inégalité due à la culture, au poids des us et coutumes dans de nombreux pays du Sud qui attribuent des rôles sociaux et économiques très distincts aux jeunes hommes et jeunes femmes, et qui souvent a des effets néfastes pour les filles et les jeunes femmes en particulier. Ces inégalités, liées au genre, traduisent le manque de scolarisation des jeunes femmes, le manque d’accès à l’éducation sexuelle en matière de contraception, de procréation et de la protection contre les maladies sexuellement transmissibles V.I.H/SIDA, et les abus sexuels dont elles sont victimes ; ce qui ferme le monde aux filles tandis que l’horizon des garçons s’ouvre.

– Il faut associer les jeunes aux processus décisionnels sur les questions qui engagent leur vie, leurs besoins, tels les plans de réduction de la pauvreté, les plans nationaux de développement dont ils sont au cœur.

Mettre les parents en confiance, en améliorant la santé de leurs enfants, ce qui réduirait le taux de mortalité infantile, d’où l’accroissement de l’espérance de vie qui entraînerait une hausse de productivité.

 

Élèves d’un programme de formation technique et professionnelle, dirigé par l’UNFPA, en train de discuter de ce que pourrait être dans l’idéal un centre de développement pour jeunes. © UNFPA/Dustin Barter
Élèves d’un programme de formation technique et professionnelle,
dirigé par l’UNFPA, en train de discuter de ce que pourrait être
dans l’idéal un centre de développement pour jeunes.
© UNFPA/Dustin Barter

Pour transformer ce capital humain en capital économique, il faut impérativement investir dans l’éducation, la santé. Et pour cela, mobiliser la communauté internationale, les bailleurs de fonds traditionnels, mais aussi le secteur privé pour dégager les ressources nécessaires, car nombreux aujourd’hui sont les Etats qui ne peuvent disposer de capitaux indispensables pour assurer leur transition démographique qui conduirait à une hausse de productivité ,et cela à cause de l’insuffisance de leurs ressources fiscales comme au Sénégal, au Niger, au Congo Kinshasa…et bien d’autres encore qui ne seront même pas au RV des objectifs du millénaire comme la Syrie, la Centrafrique…en proie aux conflits, et dont l’avenir est incertain, notamment pour la jeunesse.

Aujourd’hui, dix-sept (17) pays en voie de développement regorgent de la moitié de ce groupe de la population mondiale qui a moins de 18 ans, 50%, soit 800 millions d’âmes.
Dans 48 pays les moins développés, la plupart des habitants sont des enfants (de moins de 18 ans) ou des adolescents (10 à 19 ans), tels que l’Afghanistan, le Timor-Leste et dans 15 pays d’Afrique Subsaharienne. Pour les pays comme le Niger, l’Ouganda et le Tchad, la tranche d’âge de 16 ans constitue la moitié de la population du pays (ndlr Rapport FNUAP 2014).
Malheureusement dans ces pays du sud où l’économie bat de l’aile et où la croissance est nulle, la jeunesse est souvent livrée à elle-même et en proie à toutes les tentations, avec un taux de scolarisation le plus bas du monde. En Afrique subsaharienne en 2011, 21% d’adolescents étaient non scolarisés sur un effectif mondial de 64 millions (ndlr UNESCO, 2014b).
Chose troublante, le manque de qualité de l’enseignement est un facteur dissuasif de la scolarisation. Dans de nombreux pays du Sud, les enseignants reçoivent une formation médiocre, les manuels scolaires sont insuffisants, les infrastructures sont de mauvaise qualité et souvent une absence ou réduction d’enseignants dispense une formation au rabais (UNESCO, 2014b). « Les statistiques estiment que 130.000.000 d’enfants effectuent 4 années d’études primaires, mais ne parviennent jamais au niveau minimum de connaissance prévue »( ndlr Rapport FNUAP 2014).

© Marc Shoul/Panos
© Marc Shoul/Panos

Le tableau s’assombrit davantage par l’absence de scolarisation de dizaine de millions de jeunes dans le monde, leur niveau peu élevé de formation ne satisfait pas aux critères d’apprentissage les plus élémentaires et de facto, leurs perspectives d’emplois sont souvent médiocres.
A cela s’ajoute le manque cruel de structures sanitaires et la cherté des soins administrés ne permettent pas aux jeunes et aux adolescents de se faire soigner convenablement.

Dans certaines régions du monde, notamment en Afrique subsaharienne, la mauvaise gouvernance, caractérisée par le pillage systématique des ressources, l’absence d’investissements, le détournement des capitaux et biens publics, empêche la création d’emplois; l’offre étant soit absente, soit de piètre qualité , ce qui aggrave la crise du chômage dans cette tranche d’âge. D’après le rapport du FNUAP, 60% des jeunes de régions en voie de développement n’ont pas de travail, ne sont pas scolarisés ou n’ont que des emplois irréguliers. Pour réussir le pari de la transformation du capital humain en puissance économique, nombreux pays d’Afrique doivent revoir leur politique pour espérer tirer profit de leur dividende démographique, en s’inspirant des expériences des Etats tels que la Corée du Sud, la Tunisie…

Tous ces facteurs de détresse, d’abandon, de laisser pour compte de la société exposent la jeunesse à des maux comme le grand banditisme, l’appât du gain facile, la prolifération des groupes extrémistes et terroristes dans les Etats comme le Mali, le Nigéria, le Congo démocratique…quant aux pays en proie aux conflits tels que la Syrie, la Centrafrique où le démarrage de ce programme est pour le moment invraisemblable à cause des conflits que ces pays traversent et dont la priorité première est la sécurité et la paix, la mise en route de ce programme n’est pas au rendez-vous, dixit le Directeur Général adjoint de la mondialisation, du développement et des partenariats au Quai-d’Orsay, Gautier Mignot.

Selon ce haut fonctionnaire Français, ce rapport est important pour les gouvernants, mais aussi les citoyens ; la préoccupation de son gouvernement est aujourd’hui la croissance démographique dans les régions d’Afrique de L’Ouest et d’Afrique Centrale qui sont le 1er foyer démographique au monde. Il faut nécessairement mettre l’accent sur de bonnes politiques qui s’appliquent dans la durée, d’où la nécessité d’une bonne gouvernance, c’est le premier pas; car le risque, c’est que cette jeunesse pleine d’énergie, lorsqu’elle est insatisfaite, est désespérée et réagit de manière forte par des réactions violentes, pouvant entraîner le chaos…l’immigration massive…et c’est pour prévenir ce genre de réaction qu’il faut tenir compte des besoins de ce groupe de population pour éviter le pire un jour.

Infographique tirée du Rapport Etat de la population mondiale 2014 (www.unfpa.org)
Infographique tirée du Rapport Etat de la population mondiale 2014 (www.unfpa.org)

Il va sans dire que cette réalité démographique est un fait et un grand défi pour l’humanité, notamment les décideurs politiques a déclaré le Directeur de la Division des programmes du FNUAP, Mabingue Ngom. Et cela, nul Etat, ni Gouvernement ne peut le nier. Il est encore temps que la communauté internationale se mobilise et travaille en symbiose pour pouvoir transformer ce pouvoir de 1 800 000 000 d’êtres en capital économique pouvant ainsi créer des ressources pour l’humanité dans les années à venir.
Pour y parvenir, il faut explorer toutes les voies de ressources et pour cela dépasser le cadre traditionnel des bailleurs en associant aussi le secteur privé des pays développés et des pays en voie de développement, en travaillant de concert avec la charte de la jeunesse adoptée par l’Union Africaine en 2006,pour les régions d’Afrique, en prônant la bonne gouvernance, en promouvant les aides au développement, en plaçant la jeunesse au centre des priorités tant à l’échelle nationale qu’internationale, en investissant massivement dans l’éducation, la formation professionnelle, la santé, la planification familiale.
Car les pays qui répondront aux besoins des jeunes durant cette période se trouveront notablement mieux positionnés d’ici le milieu du siècle, disposant d’une population plus instruite et en meilleure santé, d’une force de travail plus productive, d’une économie croissante, et bénéficiant d’une chute du taux de fécondité.

Les pays qui négligent les jeunes, eux, verront leurs taux de fécondité s’élever progressivement et auront à subvenir aux besoins d’un important segment de la population jeune ainsi qu’à ceux des personnes non actives » (ndlr: Rapport FNUAP 2014).

Fort de ce qui précède, il résulte de ce rapport, que si notre monde actuel prend à bras le corps le problème des jeunes et adolescents et en fait sa préoccupation, comme celle des adultes, dans les décennies à venir, l’humanité aura tout à gagner dans bien des domaines. Mais, si bien au contraire, 1.800.000.000 d’âmes continuent d’être marginalisées, le non-respect des droits inhérents à leur personne, le chômage accru, l’absence de ressources vitales, la désespérance…ne pourront entraîner que crainte, mécontentement, réactions fortes et violentes, crises profondes…le chaos.

 

 

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