[Par René DASSIÉ]
Entre ses silences répétés, ses erreurs de langage et son indifférence vis-à-vis des rencontres stratégiques pour lutter contre Boko Haram, l’attitude de Paul Biya dans la gestion du dossier de la secte islamiste laisse perplexe. Il se pose désormais la question de sa capacité à continuer à diriger un Etat désormais en guerre.
Une semaine après le massacre de Fotokol, le plus sanglant depuis le début des incursions des hommes de Boko Haram sur le territoire camerounais, les concitoyens de Paul Biya n’attendent plus de leur président qu’il engage un élan de solidarité nationale envers les victimes. Mardi soir, dans son discours à la nation, à l’occasion de la fête nationale de la jeunesse, il n’a même pas effleuré le sujet. M. Biya s’est contenté de mettre les jeunes en garde contre la tentation de s’engager auprès de ceux qui dans « certains pays » créent « la guerre civile », provoquent « les déplacements de population » et « l’anarchie ». Il leur a enfin donné en exemple, « nos jeunes soldats qui veillent à notre sécurité le long de nos frontières ». Pas un mot sur le bain de sang d’il y a sept jours. Pas un mot sur la vingtaine de personnes enlevées par les hommes de Boko Haram lors d’une nouvelle incursion dimanche, c’est-à-dire deux jours avant son discours.
Le drame de Fotokol, c’était dans la nuit de mercredi à jeudi dernier. Dans cette petite ville du nord-ouest Cameroun frontalière du Nigéria, les islamistes qui sont arrivés par petits groupes portant des tenues militaires ont ratissé les quartiers, maison après maison, tuant jusqu’à 400 personnes selon certaines sources citées par des médias crédibles, à l’instar de RFI.
Un dirigeant normal aurait tout de suite condamné fermement ce carnage. Il aurait adressé ses condoléances aux familles des victimes. Il aurait ordonné que les drapeaux soient mis en berne et décrété un jour de deuil national. Il aurait réuni son gouvernement pour élaborer la riposte.
François Hollande et Idriss Déby en exemple
C’est ce qu’a fait François Hollande en France. Le Président s’est rendu immédiatement au siège de Charlie Hebdo mercredi 7 janvier peu après l’attentat terroriste qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique, alors que les assassins couraient toujours et que rien ne pouvait, dans l’absolu, garantir sa propre sécurité. En chef de guerre d’un pays attaqué, le président français s’était, dans la foulée, adressé à ses concitoyens pour condamner l’attentat et les rassurer, avant d’organiser des réunions ministérielles de crise pour coordonner la riposte à l’attentat le plus sanglant connu par l’Hexagone depuis des décennies. Il avait décrété pour le lendemain un jour de deuil national, et organisé la marche républicaine qui, quatre jours plus tard, devait mobiliser près de quatre millions de personnes dans les rues françaises et à laquelle ont participé une cinquantaine de chefs d’Etats et de gouvernements.
C’est ce que fait le tchadien Idriss Déby, chaque fois qu’on s’en prend à la sécurité de son pays. Engagé de manière préventive dans la guerre contre Boko Haram, M. Déby s’est exprimé devant son parlement, et a accompagné ses soldats envoyés au Cameroun, jusqu’à la frontière de son pays. C’est ce que font tous les présidents qui n’ont pas oublié qu’ils sont présidents.
Paul Biya était en devoir de s’exprimer pour consoler les victimes et rassurer la nation. Il était en devoir d’expliquer ce qui s’était réellement passé ce jour-là à Fotokol. D’autant plus que de nombreuses questions au sujet de ce massacre sont restées sans réponses. Au moment des faits, où était l’armée camerounaise qui était censée protéger la ville? Les soldats avaient-ils fui devant les islamistes, comme l’a prétendu un journal en ligne tchadien ? Les rumeurs qui parlent de nombreuses défections dans les rangs sont-elles avérées ? Voilà autant d’interrogations auxquelles les Camerounais sont en droit d’avoir des réponses.
Curieusement, ces questions ne semblent pas préoccuper outre mesure Paul Biya, qui semble vivre le conflit avec détachement, comme si les choses se passaient loin, dans un autre pays et qu’il n’en recevrait que de lointains échos. Alors que les islamistes portent de plus en plus la guerre à l’intérieur même du Cameroun.
Visite aux victimes du conflit
Les Camerounais ne rêvent même plus de voir leur président se rendre dans le nord du pays où la Croix Rouge ne cesse d’alerter sur la catastrophe humanitaire que pourrait engendrer le conflit. Il y a six mois, cette ONG indiquait déjà qu’environ 48 000 Nigérians s’y étaient réfugiés, s’ajoutant à 30 000 réfugiés internes.
Le sentiment d’abandon est si présent chez les populations du nord Cameroun, qu’on a les a vu sortir par centaines pour acclamer en libérateurs les soldats tchadiens, lorsque ceux-ci sont entrés au Cameroun, mi-janvier. Les journaux indépendants camerounais relèvent également que Paul Biya n’a jamais rendu hommage aux soldats tués dans la lutte contre les islamistes de Boko Haram, et ne manquent pas de faire le parallèle avec l’attitude des présidents d’autres pays en guerre.
L’absence d’un chef de guerre actif, qui communique, est par ailleurs dévastatrice sur l’opinion camerounaise. Par son silence, Paul Biya a laissé prospérer toutes sortes de rumeurs et d’amalgames, au sujet des belligérants et de leurs motivations réelles.
En septembre dernier, fidèles à la stratégie de division que le président a lui utilisé tout au long de ses 32 ans de pouvoir, certains de ses fidèles, dont un ministre, agitaient la thèse du complot nordiste dans un manifeste public. Ils laissaient croire que derrière Boko Haram se cachaient en réalité des dignitaires de la région où, jusqu’ici, sévit exclusivement la secte, suggérant que ceux-ci auraient fomenté une rébellion. Le manifeste connu sous le nom de « l’appel de la Lékié », du nom d’un petit département proche de Yaoundé, avait obligé certaines personnalités insidieusement mises en cause, à se justifier publiquement.
On aurait attendu d’un président faisant son travail, qu’il s’élève au-dessus de cette mêlée, pour appeler à l’unité nationale face à un ennemi commun, et rejette cette stratégie du bouc-émissaire. Paul Biya est resté silencieux.
Il est tout aussi muet, depuis que des médias douteux accusent l’occident, notamment la France à laquelle il a pourtant demandé une aide contre les islamistes, de financer et d’armer les islamistes de Boko Haram, pour déstabiliser le Cameroun. Cela sans la moindre preuve.
Silencieux, absent. Alors que dans ses rares discours où il évoque le conflit, le président camerounais appelle à « une réponse globale », il montre, dans les faits, un dédain curieux à toutes les initiatives de ses pairs africains, soucieux d’apporter une réponse mutuelle aux assauts des islamistes.
En mai dernier, peu après le sommet élyséen où le président camerounais avait déclaré la guerre contre Boko Haram, Idriss Déby était allé le voir à Yaoundé pour mettre au point avec lui les mesures adoptées à Paris, pour combattre les islamistes. Paul Biya avait trainé des pieds. Plusieurs mois après, en janvier, lorsqu’il doit revenir vers le président tchadien, les hommes de Boko Haram frappant de plus en plus fort, c’est son ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o, qu’il envoie à N’Djamena discuter avec M. Déby.
L’absence de Paul Biya à Addis-Abeba, lors du 24e sommet de l’Union africaine a également été remarquée. Réunis dans la capitale éthiopienne le dernier week-end de janvier, les présidents africains ont décidé de constituer une force de frappe de 7500 hommes contre Boko Haram. Cela en l’absence du président camerounais, qui est avec son homologue nigérian Goodluck Jonathan, également absent, principaux concernés par le sujet.
Incohérence
Les Camerounais ont commencé à se faire petit à petit à l’idée que leur président n’est plus cohérent, lorsqu’il s’exprime en dehors des discours préparés d’avance.
Début août, alors qu’il se rend au sommet Etats-Unis-Afrique de Washington, le président se risque à répondre, chose rare, aux questions des journalistes locaux, avant de prendre son avion. Il commet alors une bourde irréparable, en mettant dans le même panier les martyrs de la lutte pour l’émancipation du pays du joug colonial, la guerre contre le Nigeria pour la presqu’île de Bakassi, et les islamistes de Boko Haram. « Je dis que le Cameroun a eu à traverser d’autres épreuves, on a eu à lutter à Bakassi, on a éradiqué les maquis, les mouvements révolutionnaires, on est venu à bout des villes mortes. Ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun », laisse-t-il entendre, à la surprise générale.
Bien entendu, cet écart avec la réalité plombe la lutte contre Boko Haram. Paul Biya s’étonne de l’inertie au sein de son gouvernement qu’il ne cesse de fustiger, oubliant que ses ministres attendent depuis bientôt deux ans, un remaniement qu’il avait lui-même annoncé, pour rendre l’équipe plus efficace. Dans ce contexte, les ministres prennent peu d’initiatives. La coordination entre différents départements est défaillante, et les renseignements civils et militaires fonctionnent mal. L’année dernière, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary reconnaissait lui-même à demi-mots cette faiblesse, en suggérant aux populations des zones attaquées par les islamistes de Boko Haram, de renseigner le gouvernement sur leurs mouvements.
Sur la scène internationale, Paul Biya est isolé, ignoré, boudé. Définitivement, le vieux président parait hors-jeu. Il est sans doute temps que les Camerounais songent résolument à se doter d’un vrai dirigeant.