« Afin d’être réellement porteur de changement, le programme de développement pour l’après-2015 doit établir des priorités en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes. Le monde ne pourra jamais atteindre pleinement ses objectifs si la moitié des habitants de la planète ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel. »
M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies
Témoignage d’une femme exilée
Aujourd’hui hébergée à la Maison des Journalistes, ma vie s’améliore de jour en jour depuis que j’ai quitté mon pays ; c’est le premier lieu qui m’a redonné le sentiment d’être « chez moi ». Hébergée gratuitement, je peux m’offrir l’essentiel du matériel nécessaire au confort dont une femme a besoin. Dès que je tourne la clé et franchis la porte de ma chambre, je dis « Ouf! Merci Seigneur, je suis arrivée chez moi ». Pourquoi ?
Agée de 33 ans et mère de 2 filles, je suis exilée en France depuis le 28/01/2014. Comme tout demandeur d’asile sans famille, dès mon arrivée en France je fus logée par le service du 115, numéro que j’appelais chaque jour pour bénéficier d’un lit le soir et sortir le matin. Sortir et errer dans les rues sous un climat d’hiver fut pour moi une nouvelle expérience. J’ai vécu cette situation jusqu’au 31/03/2014, quand la même structure m’a placée en colocation de chambre dans un foyer social. Comme femme, dans de telles conditions de vie, on en oublie même un minimum d’intimité dont on a toujours besoin. Oui, l’exil est une nouvelle école, un champ de bataille où l’on est obligé de « tenir le coup » faute de choix, et en tant que mère, toujours avec l’image de ses enfants qui vous tourne dans la tête.
Voir d’autres exilés qui ont eu la chance de venir avec les leurs, ou de croiser des gamins dans la rue, vous donne les larmes aux yeux ; mais où pleurer? La nuit, dans une salle commune sans aucun visage familier, au milieu de femmes de cultures et de langues différentes, on retient ses larmes. Dans la journée, il est obligatoire de quitter le centre, mais pour aller où ? Nulle part… dans la rue, faire un tour dans un centre commercial pour rester au chaud, errer sans destination…au risque de se faire passer pour une malade mentale si l’on pleure dans la rue. En colocation, le problème reste le même : que dira ma colocataire si elle me voit pleurer ?
Autre défi: la majorité des hommes que je croise ont tendance à imaginer qu’une femme exilée est toujours « femme seule » et donc sans défense ni autonomie. Ils ne se donnent même pas la peine de savoir si je suis prête à m’engager dans une relation! Pire encore, ils me disent souvent: « Si tu n’as pas encore tes papiers, c’est que tu n’es ni intelligente ni prévoyante. Il suffit de faire un enfant avec un homme qui le reconnaîtra administrativement, et tu vivras des papiers du bébé….Ou, marie-toi ! « . Quelle honte? Que les hommes cessent de prendre les femmes pour des machines incubatrices ou pour des gens sans espoir de vie. On quitte son pays ,obligée, parce qu’on est menacée et non pour juste obtenir des papiers . On fuit sa patrie à la recherche d’une protection internationale comme le font des hommes dont la sécurité est mise en question. Si certaines femmes suivent ce maudit conseil, c’est leur problème mais que les hommes cessent d’en faire une règle générale.
En tant que mère, l’exil loin de mes enfants me fait penser que j’aurais peut-être dû me soumettre à la volonté de ceux qui m’ont persécutée, et qu’aujourd’hui je serais encore avec mes filles! Mais à l’occasion de cette journée de la femme, je dis « il n’en est pas question ». Si toutes les femmes se soumettent, à quoi ressemblera le monde de demain? Certains veulent profiter des femmes. Mais les erreurs commises peuvent avoir des conséquences irrémédiables dans l’avenir.
« Si tu satisfais à mes besoins, tu seras libre et tu rejoindras ta famille, tes enfants… Après tout tu n’as pas le choix; si tu acceptes mes avances, tu sors de ta cellule de détention ; si tu refuses, je le fais par force et tu y restes ». C’est ce que m’a dit un jour un jour l’un de mes persécuteurs.
Cela arrive-t-il aux hommes détenus? Je ne crois pas ! Cher lecteur/lectrice, que choisirais-tu ?
Après tout cela, j’arrive dans un pays d’exil où avec ces longs moments d’attente de papiers qui influent aussi sur le temps de rapprochement familial, certains hommes, sans aucune idée de ce que j’ai traversé, me parlent de faire un « enfant-titre de séjour ».
En cette journée de la femme, dont le thème 2015 « Autonomisation des femmes – Autonomisation de l’humanité : Imaginez ! », que le monde pense à des milliers de femmes exilées vivant des expériences parfois pires que celles qu’elles ont vécues dans leurs pays. Nous sommes des femmes, que le monde a longtemps considérées comme des êtres faibles et donc prêtes à se soumettre à toute ébauche d’avantages, aussi humiliante qu’elle puisse être.
Pourtant, ce n’est ni un fait ni une vérité. Nombreuses sommes nous qui avons la capacité de nous adapter aux situations nouvelles ; la persévérance, la détermination et l’amour maternel font que malgré la situation difficile que nous traversons, nous tenons le coup pour nos enfants qu’un jour nous finirons par revoir.