[Par Jean-Jules LEMA LANDU]
« D’ici à 2025, le continent africain pourra être électrifié, à 100 %. » Et sortir 600 millions d’Africains de l’obscurité. L’idée est de Jean-Louis Borloo, ancien ministre français, sérieux et optimiste. Pourtant, en Afrique, la déclaration a suscité plus de questions dubitatives que d’enthousiasme.
En fait, comment s’y prendre dans cette partie du monde, trois fois plus vaste que l’Europe, où la route, en beaucoup d’endroits, est inexistante ? N’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs que de parler d’électrification, avant que tous les pays du continent ne soient en mesure de communiquer par la route ? Kipling ne disait-il pas que « la civilisation, c’est d’abord la route ? »
Ces questions sont pertinentes. Les pays africains ne sont pas reliés entre eux. Quand vous consultez une carte routière du continent, cette réalité saute aux yeux. Vous y découvrez, plutôt, une « Afrique de blocs » : Maghreb, Afrique Centrale, Afrique de l’Est, Afrique de l’Ouest, et Afrique Australe. Sans liens entre eux. On parlera, alors, d’« intégration régionale », comme solution : un concept global.
D’où, en son temps, la préoccupation des Nations-Unies et des organisations sous-régionales africaines de bâtir un réseau de routes transcontinental, long de 56 683 km. Depuis quelques années, ce projet est sur la table, en attendant un financement. Il comprend quatre axes pour la partie est-ouest et trois axes pour la direction nord-sud. L’axe le plus long est celui qui va de Tripoli (Libye) jusqu’au Cap (Afrique du Sud), soit 10 808 km.
En voici donc une vision traditionnelle, qui prend en compte l’importance de la route, aux dépens de quelques autres infrastructures de base. Cette priorité, qui a assuré la grandeur des empires antiques, l’a fait aussi pour l’Europe préindustrielle. Et, à l’heure de la mondialisation, la route continue de jouer un rôle non moins important pour la prospérité du monde.
Est-il valable de bousculer ce schéma quasi-classique, éprouvé à travers les siècles ? J-L Borloo le pense et s’en explique : « L’électricité n’est pas un sujet comme les autres, c’est un sujet en amont de tous les autres. L’électricité, cela veut dire l’accès à l’eau, c’est aussi la réduction de la déforestation, le développement de l’agriculture, la santé, l’éducation… et un coup de pouce au climat. »
Rien n’est moins vrai !
Or, on peut en dire autant de la route, car l’aphorisme de Kipling, à notre avis, n’a pas pris une seule ride. Ainsi donc, route ou électricité, pour l’Afrique, ne constitue pas en soi un vrai dilemme. Ce qui nous amène à penser que le mégaprojet du Français (investissement de quelque 200 milliards d’euros), axé sur l’électricité, et le projet de l’Onu – pour le moment, mis en veilleuse – privilégiant la route, peuvent cheminer ensemble.
Quitte à harmoniser les deux projets et à trouver leur financement dans une démarche commune. C’est faisable. Après concertation avec la majorité des pays africains pour connaître leur avis sur le sujet, au lieu d’imposer des solutions.