[Par Jean MATI]
Maître du jeu, le président sortant du Burundi, Pierre Nkurunziza est loin de lâcher prise. Malgré les contestations de la rue, l’homme fort du pays reste insensible face à l’émotion de tout un peuple. Cynisme, déni, mépris et autres stratégies mises en place pour demeurer au pouvoir, Pierre Nkurunziza se représente pour un troisième mandat en toute violation de la constitution.
N’eussent été les mouvements de contestations de la rue et le semblant « coup d’Etat » de ce dernier temps, peut-être beaucoup des gens et autres curieux n’auraient pas entendu parler du Burundi en boucle et de son fameux président Pierre Nkurunziza devenu sans doute une Super Star dans les médias. Burundi, pays d’Afrique de l’Est avec une superficie de 27.834 km2, était jusqu’alors, l’une des nations africaines, la moins agitée, malgré une politique dictatoriale du régime en place. Inutile de le rappeler, le Président de la République burundaise s’appelle : Pierre Nkurunziza. Comme un bon chef d’Etat africain, il est le père de la nation. Il est le garant. C’est celui qui détient les âmes et la vie de tous ses compatriotes. On le déteste parce qu’il est chef. Pourquoi ? « En Afrique, les présidents (les chefs) sont toujours détestables parce qu’ils sont riches et voleurs. Mais aussi tueurs et criminels », accuse l’homme de la rue. « Parfois, leur fortune dépasse même les dettes de leurs pays. Toutefois, ils ont des sympathisants. Ceux qui les acclament ou les vénèrent », ajoute-t-il. Le président Nkurunziza est-il différent des autres ?
Du condamné à mort au Chef de l’Etat
L’histoire de l’ascension du tout puissant Nkurunziza tente de ressembler aux récits des personnages religieux ou prophétiques. Était-il l’homme de destin du pays ? Le messie, celui qui devait venir… En tout cas, il y a trop de mystification là-dessus. On connait, par exemple, peu sur son enfance. Pas grand-chose n’a été dit sur l’enfant Nkurunziza. On retiendra tout de même que son père fut un ancien gouverneur des provinces de Kayanzi et de Ngozi. Le père de Nkurunziza est élu au parlement en 1965, à en croire les sources dignes de foi, avant d’être liquidé en 1972. Son fils Pierre n’avait que huit ans et demi et a vu le père assassiné… Point barre. Plus rien n’a été dit par la suite sur la vie du tout puissant Nkurunziza.
Il fallait attendre le début des années 90. Un vent nouveau souffle en Afrique avec la vague de démocratie. La fin des partis uniques. C’est aussi la nouvelle donne mondiale. La chute du mur de Berlin. La fin de la guerre froide. Comme dans un rêve, Pierre Nkurunziza réapparaît. Cette subite apparition n’est pas sans doute pour venger le père assassiné. Ça non et non ! Ici, on parle de futur « l’homme fort du Burundi » en termes d’un grand sportif. Un grand athlète qui aurait pu faire une belle carrière sportive si jamais la volonté du Très Haut ne lui avait pas guidé sur le terrain politique. Selon le site Internet de la Présidence, le tout puissant Nkurunziza est un sportif talentueux qui aime le football et la course à vélo. Il a même entraîné un club de la première division… (qui malheureusement n’a pas gagné de titres, ndlr). Il finit dans les auditoires de l’Université de Bujumbura comme professeur assistant. En 1993, des violences ethniques s’éclatent, deux des sept membres de la famille de Nkurunziza sont tués. Le professeur Pierre abandonne les salles de cours et rejoint les maquis pour tenir les armes et faire la guerre. Cette fois-ci, il est revanchard. Très revanchard même. L’ancien footballeur et cycliste devient terroriste. Il planifie des projets d’attentat comme celui de 1995 qui a coûté la vie à des dizaines de morts dans la capitale burundaise. Il est condamné à mort par la justice. Il s’exile discrètement dans des pays voisins avant de revenir au bled pour s’activer dans la rébellion.
Dans sa pérégrination, Pierre Nkurunziza songe à devenir « Chef de l’Etat ». Martin Luther King avait fait un rêve. Pourquoi pas lui ? Mais pour concrétiser ce destin acharné, il doit se convertir et chercher la rédemption. Pierre, pas encore « Tout puissant » à l’époque, devient pacifiste. Il signe les accords de paix d’Arusha de 2000 et de 2003. Une démarche payante, car, sa peine de condamnation à mort est amnistiée… provisoirement !
En 2005, il est élu chef de l’Etat. Son arrivé au pouvoir est salué par les partenaires occidentaux. C’est un jeune président. Un bel avenir pour le Burundi ! Mais vite, ça sera la déception. L’homme est un vieux routier. On n’apprend pas à faire des grimaces à un vieux singe, dit un vieil adage africain. Nkurunziza est un dictateur né. Un despote. Un démagogue aussi. Il est vite désavoué par une majorité des Burundais. Même les gens de son ethnie ont fini par cracher sur sa mauvaise politique. En 2010, il est réélu maintenant comme un vrai dictateur avec un score fleuve de 91 % de voix. L’opposition crie à la fraude et en appelle même à la Communauté internationale. Le camp présidentiel ferme les oreilles à toutes les jérémiades des opposants burundais. Les années passent vite. Durant deux mandats, le président n’a pas fait grand-chose. Arrive l’an 2015, les élections sont prévues en ce mois de juin. Sauf que le tout puissant Nkurunziza n’a plus le droit de se représenter. Pourquoi l’empêcher ? C’est la Constitution. Foutez-nous tranquille avec vos constitutions écrites à la main par les intellectuels noirs africains à l’aide des conseillers politiques blancs ! – imagine-t-on un tel scénario. Finalement, le pouvoir en place modifie la Constitution. Le président peut se représenter plusieurs fois (illimité) tant qu’il aura encore la force de servir son peuple grâce à la volonté divine du très Haut.
Le peuple burundais est tout sauf idiot. Les manifestants sont dans la rue. Certains bâtiments publics sont mis à sac. Les échauffourées dégénèrent entre les contestataires et les forces dites de l’ordre, en Afrique, sont généralement du « désordre ». Des tirs à balle réelle sont entendus dans les grandes artères de la capitale, certains tombent et d’autres s’échappent miraculeusement.
Le Tout puissant Nkurunziza en Tanzanie lors d’un déplacement apprend par les voies des médias, qu’il est déchu. Coup d’Etat ! C’est la jubilation à Bujumbura. Les femmes enlèvent leur pagne et dansent. Les manifestants scandent la victoire conquise de manière héroïque. Le nouvel homme fort, le général Godefroid Niyombare, lut un discours à la télé comme un enfant. Très rapidement, on remarque que l’officier n’a ni charisme, ni aura pour être « Quelqu’un de la situation ». Les loyalistes refusent d’obtempérer. Ça barde de nouveau. Les manifestants déchantent. Tout le monde est retranché dans sa maison. Attention ! Quand les militaires se battent – il faut éviter d’être une victime collatérale, on nous dit souvent au moment de la pagaille. Les hommes du Président déjouent le complot. Nkurunziza rentre tranquillement dans son palais présidentiel et reprend service. Les conspirateurs fuient comme des « chiens » la queue entre les pattes. Certains quittent le jour même le pays par craintes des représailles. D’autres comploteurs sont liquidés ou capturés, jetés dans des lugubres geôles. Le président Nkurunziza se bombe le torse. Il convoque ses services à la présidence. Les ministres, agents du renseignement et autres s’agrippent au chef. Ce dernier les tire aux oreilles comme des gamins turbulents. Ils répondent par : un oui « Chef ».
Comme si de rien était, le lendemain, le président Nkurunziza poursuit sa tournée nationale dans le cadre de la campagne électorale à laquelle il est candidat, nous l’avions déjà dit, pour un troisième mandat. Cette arrogance inacceptable du tout puissant président a occasionné la montée en fièvre du peuple burundais. Celui-ci est descendu encore dans la rue. Sans doute, les Burundais se sont sentis roulés dans la pâte à farine. En attendant la tenue des élections au Burundi, la question est de savoir : jusqu’où ira Pierre Nkurunziza ?