Rebin Rahmani, la voix des Kurdes d’Iran

[Par Lisa Viola ROSSI]

« Je me sens comme déchiré entre deux mondes. Je ne peux ni me détacher de ma patrie ni totalement m’adapter à ce nouveau pays ». Il s’appelle Kareem « Rebin » Rahmani, il est kurde iranien et est exilé en France depuis deux ans et demi. L’exil, un lourd tribut qu’il a dû payer en raison de son activisme pour les droits de l’homme en Iran.

Malgré les difficultés auxquelles il a dû faire face en tant que réfugié, Rebin n’a jamais perdu l’espoir : il croit dans la possibilité de rentrer un jour en Iran. « La lutte pour la démocratie est un défi qui se joue à long terme – précise-t-il -. Il faut travailler à un niveau plus profond, à un processus de démocratisation partant du bas, à un changement de culture et de mentalité des gens, pour créer une société civique dans laquelle il est nécessaire d’enraciner le sentiment d’une urgence démocratique envers les droits des femmes et des minorités religieuses et ethniques en Iran.».

Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)
Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)

Dans ce but, Rebin s’est engagé avec le Réseau pour les droits de l’homme au Kurdistan, une organisation pour la défense des droits de l’homme fondée en janvier 2014 en France à l’initiative d’activistes des droits et d’avocats kurdes. « Le but est d’observer, de documenter et d’informer sur les violations des droits de l’homme dans le Kurdistan iranien. Le site du Réseau – explique Rebin – a été lancé en février 2014, mais en raison de difficultés matérielles, seule la version anglaise est pour l’instant disponible. Une version en kurde et en persan est en cours de préparation».

La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/
La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/

Le site de Kurdistan Human Rights Network est aujourd’hui parvenu à se faire connaître comme une source d’information fiable et sérieuse, et il compte des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux : « Nos reportages et nos informations ont été repris par de nombreuses organisations et médias – fait savoir Rebin -. Toutefois, comme tous nos collaborateurs sont bénévoles, et que nous ne percevons aucune aide matérielle et financière, nos activités avancent très lentement. Nous espérons pouvoir pallier ces difficultés dans un avenir proche – souhaite l’activiste -, pour avancer plus rapidement dans la mise en œuvre de nos projets, comme passer par les mécanismes internationaux qui peuvent améliorer véritablement la situation des droits de l’homme au Kurdistan.»

Le peuple kurde est disloqué entre quatre pays : Iran, Irak, Syrie et Turquie. « Pour leur liberté, – rappelle Rebin – les kurdes ont payé le prix fort aussi bien sur le plan matériel qu’humain. Ce qui me donne de la force pour continuer mes activités, c’est l’ensemble de ces personnes qui ont donné leur vie pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Parmi ces gens, – ajoute Rebin – j’accorde une place particulière aux prisonniers politiques avec qui j’ai été en contact téléphonique ces dernières années et dont malheureusement j’ai souvent été l’un des premiers à apprendre la nouvelle de leur exécution. »

Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)
Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)

Garder les contacts en Iran n’est pas du tout facile. Le gouvernement iranien arrive à ralentir la vitesse des connections internet en dérangeant les communications via Skype. Les appels, les comptes email et les profils personnels sur Facebook, Twitter et Youtube sont systématiquement surveillés. L’utilisation des antennes paraboliques est défendue : « La police du régime monte sur les toits pour les chercher – explique Rebin -. Par ailleurs, au Kurdistan, à partir de la révolution de 2009, le régime émet des ondes afin de perturber les transmissions via satellite : des ondes qui ont des effets très graves sur la santé des citoyens, comme m’a confirmé un médecin que j’ai interviewé : les avortements spontanés seraient en fait en train d’augmenter dans toute la région ».

Les conditions de vie des kurdes en Iran ne sont pourtant pas toujours connues dans les pays occidentaux, soutient Rebin : « Le silence des médias est dû au fait qu’ils craignent qu’une attention aux conditions des prisonniers politiques au Kurdistan puisse encourager les idées séparatistes ». La conséquence de cela est « un regard centralisé sur la question des droits de l’homme en Iran », considère Rebin : « Cela signifie que malgré les risques que prennent les activistes kurdes pour informer les médias étrangers et les ONG internationales, en rédigeant rapports et statistiques qui donnent la preuve des violations et des abus dans cette région, ces derniers n’y accordent pas l’intérêt qu’on est en droit d’attendre. Et voilà, les arrestations et les exécutions d’activistes politiques et sociaux ainsi que les tortures terribles subies par ces derniers continuent, dans l’indifférence de l’opinion publique mondiale ».

De son coté, Rebin se fait garant du travail dur de médiateur. « Les moments les plus pénibles et les plus marquants de ma vie ont probablement été ceux où j’ai dû annoncer aux familles des prisonniers politiques kurdes l’exécution de leur proche. J’entends encore parfois résonner à mon oreille les pleurs et les lamentations de douleur des mères et des sœurs des prisonniers. Comment est-ce possible que leur fils ou frère soit exécuté sans que les familles ne soient prévenues et ne se soient entretenues une dernière fois avec lui? Bien souvent, les dépouilles des prisonniers exécutés ne sont pas rendues aux familles qui, par conséquent, refusent de croire à l’exécution de leur proche. Elles ne peuvent pas faire leur deuil et continuent d’attendre leur retour. Les victimes et les prisonniers politiques comptent donc sur nous – explique Rebin – pour faire parvenir leurs voix au monde extérieur. Cet espoir qu’ils ont placé en nous, rend notre tâche plus difficile encore. Nous espérons être à la hauteur de la mission et que les institutions et médias internationaux nous aideront à faire parvenir ces voix au monde entier ».

Rebin cultive cet espoir depuis des années. C’est en 2006, à l’époque du président réformiste Khatami, que la vie de Rebin a définitivement changé. Il n’était qu’un étudiant, mais aussi le rédacteur en chef d’un journal des étudiants kurdes, “Rojhelat”, “Orient”.

Rebin Rahmani
Rebin Rahmani

C’est à cette époque que Rebin décide, avec un compagnon sociologue, de mener une étude sur les causes de la toxicomanie, le SIDA et la prostitution à Kermanshah. Pendant environ six mois, ils conduisent des interviews vidéo de toxicomanes. C’est là qu’ils prennent conscience de la recrudescence de ces problèmes, une tendance systématique qui serait délibérément planifiée par la République islamique elle-même. A côté de l’Université de Razi de Kermanshah, dans le quartier résidentiel de “Bagh Abrisham”, “Le jardin de soie”, Rebin et son collègue filment une quarantaine de toxicomanes qui chaque jour frappent à la porte d’une sorte de kiosque pour obtenir de la drogue. Le voisinage les informe qu’il a déjà fait appel aux autorités mais sans obtenir de réponse. « Certains nous ont par ailleurs signalé le rôle de certains fonctionnaires de Renseignement de la ville de Kermanshah dans le trafic de drogue dans la région, drogue destinée aussi à la Turquie », précise Rebin. Plus tard, pendant un interrogatoire auquel Rebin sera soumis, un fonctionnaire lui dira : « Quel imbécile vous êtes de vous battre pour ces gens! Nous les avons fait devenir toxicomanes, et ils ne se soucient plus de ce qui se passe autour d’eux ! ».

Le 19 novembre 2006 Rebin a été arrêté par la police sur la route entre Kermanshah et Sarpol-e Zahab. Les fonctionnaires trouvent dans son sac des livres politiques. Il découvre qu’il était recherché. C’est exactement en ce moment-là que son calvaire commence. Un calvaire de deux ans durant lequel il passe de cellule en cellule, sous torture physique et psychologique permanente. Son arrêt est confirmé sous la surveillance du service au Renseignement. En mars 2007, deux jugements seront prononcés contre lui : activités contre la sécurité nationale et propagande contre l’Etat. Ils se traduisent en une peine de prison de cinq ans, réduite en appel à deux ans. Pas de remise sur les tortures, ce qui le conduit à une tentative de suicide. Rebin sort de la prison Dizel-Abad de Kermanshah le 7 novembre 2008. Malgré les convocations continuelles par les services secrets – l’Intelligence-, il commence sa collaboration avec l’organisation Activistes pour les droits de l’homme en Iran, sous le pseudonyme d’Hiva Shalmashi. Après sa libération, sa vie n’est plus comme auparavant : « Je me suis rendu à l’Université – rappelle-il -, où j’ai été informé de ma radiation. Chaque personne que je rencontrais, était convoquée et interrogée par l’Intelligence qui lui recommandait de n’avoir aucun contact avec moi. C’était dur ». Après l’exil de son frère, lui aussi activiste, les pressions de la part des fonctionnaires des services secrets augmentérent. « Mon activisme est la chose la plus importante de ma vie – dit Rebin -. Les tortures que j’ai pâties en prison, m’obligent à répondre maintenant à un devoir: aider les autres prisonniers. En Iran je ne pouvais pas faire cela, parce que j’étais sous surveillance. Donc, en mars 2011, j’ai quitté mon Pays ».

Rebin a traversé à pied la frontière montagneuse du Kurdistan d’Iran et le Kurdistan irakien avec un groupe de “passeurs” (passeurs de marchandises et d’hommes) jusqu’au moment où les forces iraniennes ont commencé à tirer sur eux. « Je me suis retrouvé complètement seul. Il faisait nuit, il y avait de la neige, j’ignorais que j’étais dans une zone minée. Mais je suis arrivé en Irak ». Une fois à Erbil, Rebin s’est adressé au bureau de l’UNHCR : « Je n’avais pas l’intention de partir pour l’Europe et je suis resté sans titre de séjour dans le Kurdistan d’Irak un an et demi ; jusqu’au jour où j’ai subi des pressions du régime en place, opposé à mes activités : c’était pour préserver ma vie; mais également pour préserver les intérêts du pouvoir irakien qui collabore avec les autorités iraniennes ». En même temps les services secrets iraniens menaçaient la famille de Rebin, restée en Iran et lui aussi était menacé à nouveau. « Je me suis rendu à l’ambassade française et grâce à une lettre de soutien de Reporters sans frontières, j’ai reçu les papiers nécessaires et je suis parti immédiatement. Quatre mois après mon arrivée en France, j’ai découvert la Maison des journalistes où j’ai été enfin accueilli jusqu’au moment où j’ai reçu mon statut de réfugié ». Et maintenant en France, à cinq mille kilomètres de sa terre natale, Rebin cultive opiniâtrement sa foi dans le pouvoir de la connaissance, de la vérité, pour les droits de son peuple.

Pour en savoir plus sur le Kurdistan Human Rights Network : www.kurdistanhumanrights.org

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