[Par Lisa Viola ROSSI]
Un hommage à la Femme Syrienne a été dédié hier, en fin de journée, dans l’Auditorium de la Mairie de Paris par l’Association Souria Houria (Syrie Liberté).
Un rendez-vous composé d’interventions, comme celle de Nadia Leila Aissaoui, qui a rappelé les chiffres effrayantes de Syrian Network for Human Rights, dont le nombre de femmes disparues : au moins 20.112 femmes, dont 6.231 adolescentes, auraient été tuées entre mars 2011 et octobre 2015.
Des témoignages forts, notamment celui sous forme de montage vidéo, proposé par la journaliste de la MDJ, Lina Muhamad, et celui de Mariam Hayed, une femme de 26 ans de la banlieue de Damas, ex jeune étudiante, en dernière année de psychologie et bénévole de la Croix Rouge, qui a été prisonnière politique pendant soixante-sept jours et torturée trois fois par jour par la Criminal Security Branch, sous le motif « d’activités terroristes ». Aujourd’hui à Paris, Mariam Hayed continue via Skype ses activités de soutien psychologique aux femmes restées en Syrie : « Ce qui est important, c’est de les encourager à planifier leur vie après la guerre. Puisque toutes les injustices ont une fin », affirme le jeune psychologue.
Un rendez-vous pour écouter les vers des poétesses syriennes. Rana Zeid, ancienne résidente de la MDJ, a lu en arabe, avec traduction en français, interprétée par la comédienne Garance Clavel, l’une de ses poésies : Rien qu’une seule rue (publiée par L’œil de l’exilé il y a deux ans, traduction de Dima Abdallah).
Chaque jour je dois jeter du pain aux pigeons,
Et mon cœur aux loups.
Il y a un trou dans mon cœur,
Je le cache sous ma main tremblante,
Et j’ai peur que ma main ne suffise pas.
Chaque aube je me lève et j’écarte
Une balle tombée la veille,
À mes pieds.
Je poursuis la mort jusqu’au cimetière,
Rien dans cette ville
À part des roues de bicyclettes,
J’ignore le nom du cimetière
« C-o-p-e-n-h-a-g-u-e » !
Derrière les rochers
Sur les tombes froides,
Voilà le loup du néant lapant minutieusement les morts
Essuyant le sang sur leurs mains
Comme s’ils étaient des tueurs du passé.
Il y a un seul enfant,
Et un seul cygne,
Et un seul cadre photo,
Dans une seule rue.
Une seule rue, pas plus,
Où je marche chaque jour,
A Copenhague,
Une seule rue, pas plus,
Et un seul cimetière vert et froid,
Où il y a des corbeaux heureux,
Et des chats noirs essayant de gratter la terre gelée,
Leurs griffes s’accrochant aux esprits,
Et moi je traverse les morts chaque jour,
Je meurs chaque jour,
Une fois ou plus,
Et je pense que le tueur à Damas,
Aiguise le couteau sur les dents du tué.
« Cet endroit n’est plus celui des oiseaux désormais,
Il est celui du franc-tireur ».
Ma main sur mon cœur amène chaleur et larmes,
Et les débris de vitres coupants de la fenêtre de ma maison.
Le lys,
Le lys,
N’est pas pour les tueurs.
Morts et les fleurs hivernales, à Copenhague,
Morts et la chaleur des balles à Damas.
Une seule rue, pas plus,
Suffit à l’ordre mondial
À la gomme sur la chaise
À l’enfant paresseux à cause de la guerre
Tous ne savent pas que la guerre est perpétuelle et eux éphémères.
L’empreinte du tueur dans la neige et l’amour et le vin,
Dans ma main, dans mon verre, dans ma nourriture amère,
Et moi je meurs d’une gorgée du poison
Et de la force du crépuscule,
Et de la nuit et d’amour,
Et du canapé froid,
J’entends une chanson qui ne signifie rien que plus de vie,
Vie… vie, et la mort telle une morsure d’enfant,
« Qui tète d’un sein étranger ».
Je veux marcher dans la rue orpheline,
Et écrire une longue liste :
Je veux du pain et un médicament et des pansements et un couteau et une pierre
Et un échiquier
Voilà ma requête,
Et je veux aussi : des pommes et des bananes et du raisin et du vin
Je veux que les misérables reconnaissent les tyrans,
Pour qu’ils meurent,
Les morts reposent en paix, alors qu’ils mangent le sable,
Mon cœur accélère, un bégayement sort alors de ma bouche,
Avec la solitude et l’amour et la mort et la bière,
Et le fil qui dépasse du trou de mon cœur.
Vit le cimetière,
Et meurent les misérables,
C’est ainsi que le tueur a le sentiment de justice
Comment les gens sauraient-ils
Que le tueur ne vole pas les fleurs d’oranger
Parce qu’il est mauvais,
Mais parce qu’il saigne ?
C’est pourquoi, c’est pourquoi,
Il ne peut s’arrêter,
De voler chaque heure une poignée,
Et son pas lent descend l’escalier du jardin.
Là-bas une guerre
Jaune,
Une guerre jaune,
Oui, jaune mon ami,
J’aime que le cadavre soit jaune !
Et si on dansait sur une musique soft rock
Dans cette guerre si douce,
Tel le canon moite et langoureux du tank ?
Il me dit, après avoir écarté de mon épaule une feuille jaune :
Un poème ne te sert à rien,
Ce dont tu as besoin : un homme et une mitrailleuse
J’ai dit : j’ai un homme et il me manque une seule pomme.
Seulement aussitôt une feuille rouge tomba
De la petite plante au-dessus de la table,
Et j’étais à un tel degré de désespoir,
Comme si j’étais la tuée attendant son enterrement,
La tuée qui ne croyait pas que les corbeaux suivent les ruines,
Jusqu’à ce que je la vois, seulement aussitôt,
La fumée noire la tirait avec force par le cou,
À Damas.
Dans la jolie et humble cage,
Se trouve un très long miroir,
De sorte que moi-même et Dieu nous nous regardons l’un l’autre
Dans le même foyer de vision,
Dans une seule rue, pas plus,
A Copenhague.
Cet événement a été organisé à l’occasion de la journée des droits des femmes, en partenariat avec l’Association Women Now for Development “SFD” et avec le soutien de La Mairie de Paris, Une Vague Blanche pour la Syrie et l’Association Fonds pour les Femmes en Méditerranée.