[Par Jean-Jules LEMA LANDU]
Apprendre que les forces de l’ordre ont tué des citoyens américains, aux États-Unis, parfois pour une peccadille, n’est pas loin d’être rangé dans le rayon des faits divers lambdas. Chaque année, mille personnes tombent sous les balles de policiers, tandis que les médias rapportent l’information chacun à leur manière. Les uns pour y apporter un antidote. Les autres pour en rajouter une couche de tension. Parfois, par mégarde.
Il en va ainsi du drame qui s’est déroulé, jeudi soir, 8 juillet, à Dallas, en marge d’une manifestation contre les bavures policières. Pour avoir bien fait attention au contenu des médias français, on a pu voir se dégager aisément cette ligne de démarcation. D’un côté, on a enregistré l’emploi des termes généraux, dans un souci clair d’inviter à l’union des cœurs, de l’autre celui du ton de l’ « information brute », avec un relent d’altérité, dans le but de désunir.
« Ouest-France », par exemple, dans son édition du week end (9-10 juillet), a titré : « Dallas : le tireur voulait tuer des policiers ». Dans son introduction, le quotidien enchaînait : « Cinq agents ont été tués et neuf personnes blessées, jeudi soir, pendant un rassemblement pour protester contre la mort de deux hommes noirs tués par les forces de l’ordre ». Sans insinuation. A travers le texte, long de 70 lignes (colonnes journal), la même délicatesse dans le choix des mots a prévalu, car on n’y a relevé que deux fois le mot « noir » et trois fois le mot « blanc ».
Savamment dosés, les termes du journal parlent de « l’homme », tout court. Que cet homme soit blanc ou noir. On y a collectionné, pour ce faire, trois exemples, à valeur pédagogique : « un tireur » ; « la première victime » ; « un homme de 25 ans »…
Le quotidien « Le Monde » a fait la même preuve de professionnalisme, face à un sujet sensible concernant le vivre ensemble des sociétés multiraciales. C’est sur un ton neutre que le média a ficelé son titre : « Cinq policiers tués à Dallas par des snipers ». On ne peut mieux dire. Le fond de l’article a épousé la même philosophie de mesure.
Sur l’autre versant, « France Info » et « France 24 », deux chaînes de radio et de télévision, qu’on a également suivies, y sont allées autrement. Presque de la même façon, elles ont rendu l’information telle quelle, dans sa crudité terminologique : « À Dallas, un Noir armé a déclaré avoir l’intention de tuer des policiers blancs ». C’était brut, dur…
Était-ce une bonne manière d’informer, en France, où existe une société multiraciale à forger ? Surtout, par ce temps, où les phénomènes des replis identitaires, nourris par la montée des extrémismes de droite, envahissent pratiquement tout le continent européen ? La posture, à cet égard, de « Ouest-France » et de « Le Monde », a répondu à cette question. À nos yeux, elle est également un message, à la normande, pour dire que la France, dans cet angle, a aussi ses cactus. Comme l’ont démontré les événements dans les banlieues en 2005.
Notre intention n’est point celle de dispenser un cours de journalisme ou de morale, dont nous n’avons pas la moindre qualité, mais de montrer simplement – s’il en est besoin – que les temps sont mûrs, pour tous les pays qui ont choisi de vivre avec les immigrés, de déployer à leur avantage une vraie politique d’intégration. Car, la mondialisation ne doit pas se comprendre uniquement en termes économiques. Elle porte également le projet des sociétés multiculturelles, appelées à s’inscrire dans les règles du « village planétaire », dont le but final doit être l’« unité des cœurs ». Si la super puissance outre-Atlantique ne l’a pas encore compris, que la France le comprenne. Et presse le pas. Car, et pour paraphraser Mandela, la vraie puissance appartiendra, demain, « aux pays colorés ». Comme l’arc-en-ciel.