[Par Romane SALAHUN]
Le jeudi 20 octobre 2016, la Maison des journalistes (MDJ) a reçu entre ses murs, un groupe de visiteurs composé de jeunes et éducateurs de l’UEAJ de Combs-la-Ville en Seine-et-Marne, unité du service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Présents dans le cadre du programme Renvoyé Spécial PJJ mis en place par la MDJ en janvier 2016, les jeunes ont pu rencontrer la rwandaise Maria Kuandika et le camerounais René Dassié, journalistes en exil de la Maison des journalistes.
Réunis pendant plus de deux heures, les deux journalistes ont pu partager avec les jeunes et leurs éducateurs, leur parcours de vie, les risques liés à l’exercice de leur métier dans leur pays, et leur combat pour la vérité. Cette rencontre visait donc à sensibiliser les jeunes aux enjeux de la liberté d’expression, amener une ouverture sur le monde, et un questionnement sur notre rapport à l’information.
« Accepter les coups, en tirer du positif est quelque chose d’utile pour moi et les autres ».
C’est ce que répond René Dassié lorsque les visiteurs lui demandent comment il a pu se reconstruire. A travers son témoignage direct, ce journaliste camerounais de 44 ans cherche à faire prendre conscience aux jeunes les réalités de son métier de journaliste au Cameroun.
Pour appréhender son parcours d’exil, il ouvre d’abord une fenêtre sur son pays. René Dassié nous indique que les valeurs démocratiques semblent avoir déserté le Cameroun gangrené par la corruption, les inégalités, et la violence d’Etat. Il partage avec les visiteurs son impuissance face au constat d’une situation désastreuse où les richesses sont accaparées par une élite au pouvoir, laissant dans la misère une population sous contrôle. Les failles dans la gestion du pays sont visibles dans les écoles, en ruine, où les élèves issus des familles les plus pauvres s’entassent dans la poussière. Le récit et les images de René viennent attiser la curiosité des jeunes sur la situation de leurs homologues camerounais. « C’est un vrai prof ? Ont-ils connu une vraie école ? ». Des questions qui se heurtent parfois au constat d’une réalité difficile et loin de la leur. « Je devais chaque matin traverser la brousse pour me rendre à l’école, je connaissais l’heure par la position du soleil vu qu’il n’y avait pas de montre […] je tombais parfois nez-à-nez avec un serpent ». L’exotisme surprend, et fait parfois sourire la salle. Les inégalités sont également visibles dans les infrastructures. Les grandes autoroutes, symboles de modernité, côtoient les chemins de boue inondés, rendant impossible l’acheminement des ressources. René Dassié nous parle également des prisons camerounaises où il a enquêté pour un reportage, et dans lesquelles il y a « 30 fois plus de prisonniers que ce qu’elles peuvent accueillir ». Les prisonniers sont entassés là, corps contre corps, sans ressources, victimes de maladies, de malnutrition, de déshydratation.
Ce sont ces failles que, par son métier, René Dassié s’est attaché à dévoiler au péril de sa vie. Journaliste dans le journal privé Le Messager, René était spécialisé dans les questions liées à la sécurité, la police et l’armée. Son journal était très critique vis-à-vis du pouvoir, et avait vocation à faire bouger les lignes. Or dans un pays où la police est le bras armé de l’Etat et use de la violence pour faire respecter l’ordre, son métier devient un métier à risque.
Lors de sa première enquête, René couvrait un conflit meurtrier entre deux villages. Sur place, identifié comme journaliste d’opposition, il fut arrêté, tabassé. Mais comme il l’explique, il était « têtu ». Il continuera donc d’accomplir sa mission d’information malgré les risques. Au fil de ses enquêtes sur les exactions de l’armée et de la police, les persécutions se poursuivent : menaces téléphoniques, menaces physiques, accusations de fomenter un coup d’Etat. Si le danger physique est réel, la mort sociale l’est tout autant. Une propagande s’instaure alors pour jeter le discrédit sur cet individu et tous ceux qui l’approchent pour en faire des parias. « Si je répondais aux menaces, j’allais mourir ». Malgré tout René continue de poursuivre son devoir d’informer, de dévoiler la vérité. Une vérité de corruption, de violence, d’oppression qui gangrène le pouvoir en place. Et puis un jour, la situation devient intolérable, et pousse au départ. Alors que René travaille sur la guerre des chefs dans l’armée, la pression psychologique et physique deviennent insupportables. Il décide donc de partir en laissant tout derrière lui. L’arrivée en France est difficile. Plus tard, René prendra connaissance de l’existence de la MDJ par Reporters sans Frontières. Il restera alors 6 mois à la Maison, apprenant le français, faisant les démarches de demande d’asile.
A ses côtés, se tient Maria Kuandika, journaliste rwandaise dont le parcours fait écho à celui de René Dassié. Résidente de la Maison des journalistes, elle se rappelle son arrivée en France le 6 juin 2016 et va à son tour raconter son parcours aux jeunes visiteurs attentifs.
« Parler c’est offrir une possibilité de changement, une possibilité d’aide en révélant un problème. C’est donner une voix à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer. »
Maria, jeune femme journaliste de 28 ans, se souvient de son arrivée en France il y a 6 mois. Avant d’être journaliste en exil, elle travaillait au sein de médias privés (radio et télévision) subventionnés par l’Etat rwandais.
Maria interpelle les visiteurs : « Que connaissez-vous du Rwanda ? ». « Le génocide ». Les références des visiteurs viennent des informations perçues de loin ou de l’univers cinématographique. Le film Hôtel Rwanda de Terry George sorti en 2005 traitant du génocide, est invoqué par l’un des jeunes. A ces bribes d’informations, Maria confronte son histoire. Elle indique qu’aujourd’hui le Rwanda tente de se reconstruire après le génocide de 1994, point culminant de la discrimination entre Hutus et Tutsis. Le président actuel, Paul Kagamé, occupe actuellement son troisième mandat. Même si le gouvernement en place affiche une volonté de modernisation, les défaillances dans la gestion du pays restent visibles. En effet, Maria décrit une fracture sociale profonde où les extrêmes se côtoient, entre individus vivants dans la misère, sans éducation et aide sanitaire, et une élite nécrosée par la corruption, cumulant les ressources et éduquée dans des écoles internationales.
Se donnant pour but de révéler ces fractures, Maria était journaliste spécialisée dans le domaine du social et de la santé. Elle partage alors avec les jeunes l’exercice de son métier en montrant un de ses reportages sur les conditions sanitaires terribles d’un village reculé du Rwanda. Ce reportage sur une population rurale, extrêmement pauvre et victime d’épidémies dévastatrices, révèle l’inexistante prise en charge du gouvernement. Cette vérité dérange donc le pouvoir qui se veut aujourd’hui être un modèle de modernité. La censure et les persécutions surviennent alors. Maria recevra des injures, des menaces téléphoniques, des pressions de licenciement auprès de sa rédaction. Les reportages seront parfois abandonnés, la rédaction étant poussée à l’autocensure. Or Maria ne veut pas refuser de dire ce qu’il y a à dire.
Elle questionne alors les visiteurs pour mettre des mots sur ce que l’on considère parfois comme un concept trop flou « c’est quoi pour vous la liberté d’expression ? » « C’est dire ce qu’on veut », « c’est exprimer ses pensées » répondent les jeunes. Maria nous livre alors sa définition : « La liberté d’expression c’est montrer ce que tu penses, montrer tes sentiments à travers un écrit, une chanson, un dessin, un article. Parler c’est offrir une possibilité de changement. Parler c’est ouvrir une possibilité d’aide en révélant un problème ; c’est donner une voix à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer ».
Au-delà de la suppression de cette liberté, c’est la vie de la jeune femme qui est menacée. Subissant une oppression constante dans son pays, elle a d’abord fui au Burundi. Là-bas, arrêtée par les services de renseignements, et accusée de vouloir démolir le pouvoir en place, elle est torturée. Une fois relâchée, partir loin est une décision qui s’impose. Grâce à l’aide d’amis, elle pourra alors partir sans que la France ne soit son choix. « Si j’avais pu je serais partie aux Etats-Unis ». Ici, à Paris, en sécurité, la situation reste complexe. « Il n’est pas simple de tout quitter. Mon départ met en danger mes proches, devenus parias de la société ». Elle se réjouit tout de même de sa situation à la MDJ. « Ici je ne suis plus seule. J’ai rencontré des collègues qui ont parfois des histoires pires que la mienne […] Si mon pays ne veut pas de moi, la France, elle, m’a accueillie ».
Une réflexion concrète sur la liberté de la presse
René Dassié, qui a « toujours dû se battre dans un milieu hostile », voit dans ces rencontres avec les jeunes un moyen de partager un vécu qui peut servir. « J’accepte les coups. Le plus grand problème c’est mon impuissance face à des situations terribles. Ce que je peux faire c’est chercher à écrire des histoires sur mon vécu qui peuvent aider certains. J’essaie d’en tirer de l’utile. ». De son côté, Maria y voit une sorte de thérapie « Ça aide pour aller pour de l’avant, et c’est précieux de voir l’intérêt des gens pour notre situation ».
Car l’intérêt se manifeste bel et bien chez les visiteurs qui réagissent aux récits des intervenants. « Pour moi vous êtes des combattants, je ne vous vois pas comme des victimes. Vous affrontez la situation » exprime un éducateur. Si les questions des jeunes se concentrent surtout sur la situation personnelle des journalistes, le courage et la force de continuer l’exercice de leur métier devant les menaces forgent l’admiration. Le message des visiteurs aux journalistes est clair : continuez de parler. Le but semble atteint de sensibiliser au fait que la liberté de la presse est un droit fondamental, précieux et fragile. La quête de la vérité et le droit d’informer reste une lutte permanente et nécessaire au processus décisionnel dans une société démocratique. Si Maria et René se sont battus pour leur vie et pour leur métier, cette rencontre fait écho au fait que nous sommes tous des combattants en puissance, ayant pour arme la possibilité de parler, de dénoncer.