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«Transformer le monde a dit Marx, changer la vie a dit Rimbaud, ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un»
André BRETON (1896-1966), Position politique du surréalisme, Discours au Congrès des écrivains (1935)
Parler, évoquer et convoquer des émotions. L’art, dans toutes ses formes, apporte sans cesse matière à réflexion. Parce que l’artiste est un observateur du monde, la frontière entre l’artistique et le politique est ténue. Face aux enjeux de société actuels, l’art peut constituer un outil politique utilisé avec ou sans les artistes.
Mais alors quelle est l’essence même de l’art ?
Qu’est-ce qu’un « artiste engagé » ?
Quelles sont les limites d’un tel engagement et que penser de l’art mis à profit dans des logiques d’influence ?
Pour en discuter, la Maison des Arts de Châtillon accueillait, ce dimanche 10 décembre, dans le cadre de l’exposition « Arty Facts » d’Haude Bernabé, un débat animé par Philomé Robert, journaliste à France 24, Catherine Kessedjian, juriste de droit international et fondatrice de la Fondation Villa Seurat pour l’art contemporain, Grégoire Prangé, critique d’art et co-fondateur du collectif Jeunes Critiques d’Art et Haude Bernabé, artiste sculptrice.
La grande force de l’art : «l’évocation»
Caractériser l’art est complexe. Si plusieurs définitions sont possibles, Grégoire Prangé en retient principalement une : «l’art est l’expression du moi par l’artiste». Pour le cofondateur du collectif Jeunes Critiques d’Art, «l’art est bien plus puissant que n’importe quel discours « car » il n’impose pas, il évoque».
En suggérant des émotions et des ressentis, il laisse donc une totale liberté d’interprétation au regardeur. Mais face à la détresse humaine et sociale, l’art peut aussi être utilisé sciemment ou non comme un outil de témoignage ou de dénonciation d’un fait. « L’œuvre d’art doit penser. La vraie œuvre d’art subversive est une œuvre réflexive » note Catherine Kessedjian en citant le philosophe et sémiologue français Roland Barthes.
Un engagement artistique …
Du peintre Pablo Picasso au performer chinois Liu Bolin en passant par les street artistes Banksy ou JR… nombre d’artistes se revendiquent engagés. Pour Grégoire Prangé, il faut appeler «engagés», des artistes qui ont un «discours d’ordre politique et social que l’on peut comprendre facilement». Le street art le prouve bien.
Ce mouvement est «en soi politique puisque l’acte consiste à faire sortir l’art du musée pour le mettre dans la rue». Pour autant, pas question pour le critique d’art de considérer ces artistes comme politiques même si la ligne de démarcation est fine. «Je pense que la politique n’est jamais la matière de l’artiste, par contre le discours qui sous-tend l’oeuvre peut être politique».
S’intéresser à l’engagement d’un artiste oblige à distinguer deux actions fondamentales : l’art commandité et l’art réalisé par l’artiste de son plein gré.
Guernica, l’œuvre monumentale de Pablo Picasso, créée en 1937, était une œuvre commandée par l’Etat, tout comme le revolver sculpté de l’artiste suédois Carl Fredrik Reuterswärd, exposé devant le siège des Nations Unies à New York.
Ces deux manières de création s’expriment très souvent différemment. Grégoire Prangé explique que «les artistes qui sont politiques et sous commande du politique vont avoir des œuvres très marquantes et premier degré à la différence d’un artiste qui va créer politiquement de lui-même».
Haude Bernabé, de son côté, ne se revendique pas «engagée politiquement» mais se sent libre de parler de ce qui lui tient à cœur. «Transformer le monde est un bien grand mot» déclare la sculptrice qui préfère «apporter une autre vision, un autre ressenti» pour que les gens puissent «appréhender un phénomène d’une manière différente que le factuel, les journaux et les analyses».
L’artiste explore depuis plusieurs années la question de l’identité et du rapport à l’autre sous le feu du chalumeau. En 2015, elle se saisit de la question migratoire en créant le projet «Mare Nostrum» du nom du plan de sauvetage instauré par Enrico Letta, le premier ministre italien de l’époque. L’Europe est alors confrontée à la crise des réfugiés et plusieurs milliers d’entre eux périssent en Méditerranée. «En voyant ce drame humain, j’ai eu envie d’aller au-delà de l’intime et de travailler sur l’aspect social» précise Haude Bernabé.
… non sans limites
Dans sa réflexion sur l’engagement, Haude Bernabé différencie deux postures : parler des problèmes de société en général et traiter un drame.
Dans le dernier cas, plus délicat à aborder, tout l’enjeu est de ne pas tomber dans le voyeurisme. «Je ne veux pas faire le commerce de la misère – explique t-elle – j’ai donc besoin de rester dans l’émotion et non dans l’analyse».
Et c’est bien là une des dérives de l’engagement d’un artiste. «L’art est lié à plein d’autres facteurs notamment financiers ou de communication» ajoute Grégoire Prangé. «Traiter un drame peut être vu comme une manière pour l’artiste de récupérer tel ou tel phénomène avec une forte résonance pour se mettre sur le devant de la scène». Catherine Kessedjian explique également qu’elle a par exemple «quelquefois l’impression que les artistes utilisent leur statut d’opposant politique comme un piédestal».
Le phénomène de récupération est une des limites à poser à tout engagement artistique. Le respect du droit et de la dignité humaine en est une autre. Mais là encore l’enjeu est de taille, «chaque culture instaurant ses propres limites» explique Catherine Kessedjian.
L’exposition polémique «Body Worlds» en 2015 en est un bon exemple. Mettant en scène, dans un but scientifique, des cadavres humains plastifiés, elle a tenue deux jours en France avant d’être interdite. L’exposition, dont on a su bien après qu’elle était composée de corps de prisonniers chinois récupérés moyennant finances, s’est pourtant déroulée sans encombres dans plusieurs pays européens.
Quel rôle social pour quelle transmission ?
«Je suis très dubitative sur la question» note Haude Bernabé. «Je ne crois pas que l’on doit attendre de l’art un rôle particulier car dans ce cas, c’est l’Etat qui se défausse. L’art pour moi est d’abord une expérience intime» ajoute la sculptrice. Catherine Kessedjian parle elle d’un rôle «d’engagement social». Celle qui a créée, fin 2016, la Fondation Villa Seurat pour l’art contemporain – dont l’objectif est de soutenir financièrement des projets artistiques ancrés dans une démarche sociale – croit «à la part créative de chacun d’entre nous» afin d’aider les personnes fragiles à surmonter leurs «vulnérabilités». «En faisant cela, j’ai totalement conscience de faire un acte politique» déclare t-elle.
La question du rôle social rejoint celle de la transmission. Pour Grégoire Prangé, la médiation est absolument nécessaire. «En pensant qu’une œuvre donne tout par elle-même, on se trompe complètement». Le jeune critique d’art souligne l’importance de l’explication pour découvrir toute la profondeur du travail artistique.
De l’art politique à la politisation de l’art
«L’art est également un outil de légitimation d’aura et de soi» ajoute Grégoire Prangé. L’art peut donc devenir un instrument d’influence dans les relations entre les états. En 1990, le professeur Joseph Nye parle pour la première fois de «soft power». Il désigne alors la capacité d’influence et de persuasion d’une nation en dehors de toute ressource militaire. Il est question des moyens politiques, économiques et culturels dont dispose le pays pour asseoir sa puissance.
Quel est le dernier exemple en date de ce soft power artistique ? L’ouverture du Louvre Abu Dhabi en Arabie Saoudite le 11 novembre dernier. Un acte éminemment politique pour Catherine Kessedjian qui sert les intérêts des deux pays. La France y gagne un avantage financier et l’Arabie Saoudite une manière de développer son tourisme afin de gérer l’après-pétrole.
La complexité mène les relations entre art et politique. En se différenciant de tout autre discours par sa force d’évocation, l’art peut facilement devenir un outil politique, en accord ou non avec les artistes.
L’art participe t-il alors à transformer le monde ? Le sujet n’est pas aisé. S’il peut constituer un moyen de prise de conscience, non sans limites, l’art est également en proie à des logiques de marchandisation et de commande politique, toujours plus accrues dans la mondialisation actuelle.
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