L’Iran à l’heure de la contestation sociale
Rédigé par V.Z.
Dans la librairie Iremmo (Institut de Recherche et d’Études Méditerranée Moyen-Orient) située dans le 5e arrondissement de Paris, toutes les chaises sont occupées. Attentifs, certains prennent des notes pendant que d’autres enregistrent la rencontre entre Clement Therme, spécialiste de l’Iran et chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) et Dominique Vidal, journaliste et historien. L’Iran à l’heure de la contestation sociale est le point d’ancrage de la discussion.
Fin décembre – début janvier, une vague de contestation déferle sur l’Iran. Dans tout le pays, des iraniens sortent dans la rue pour crier à l’injustice. Ils seraient plus de 42 000 (selon le ministère iranien de l’Intérieur) à avoir affronté l’interdit.
Des scènes de violences entre les forces de l’ordre et les manifestants n’échappent pas à la presse internationale. Tout comme ces femmes, ‘’des sacrifiées’’ désigne le chercheur, qui s’élèvent sans leur voile au milieu de la foule. Mais comment expliquer qu’une telle contestation ait-pu éclater dans un pays aussi contrôlé par des services de renseignements, et où toute parole libre est vue comme une atteinte au pouvoir en place ?
Les éléments déclencheurs de la crise
Pour comprendre ces contestations, Clement Therme revient sur les éléments déclencheurs.
Depuis la révolution Iranienne de 1979, il y a une envie par le bas, à la fois de la classe populaire et de la classe moyenne, de voir se réaliser le ‘’rêve nationaliste iranien’’.
La population souhaiterait que les politiques se penchent d’avantage sur des questions d’ordre économique. Et pour cause, en 10 ans les iraniens ont perdu 15 % de leur pouvoir d’achat. Une situation difficile à supporter pour les classes moyennes et populaires, surtout au vu du potentiel et de la richesse du pays. Selon le chercheur, l’écart entre les potentialités et la réalisation, a développé chez les iraniens ‘’un sentiment d’injustice’’. A cela s’ajoute la dégradation de l’environnement dans la région. La construction de barrages et le stress hydrique assèchent les lacs. La stratégie d’autosuffisance voulue par le gouvernement est mise à mal. Ainsi ces dernières années, diverses revendications ont convergé avant de finir par exploser, en décembre dernier.
Toujours selon le spécialiste de l’Iran, ces manifestations sont d’abord à caractère politique avant d’être économique. En effet, il y a eu deux types de manifestations non autorisées. D’un côté, les manifestations de mécontentement, avec des slogans hostiles au gouvernement. Et de l’autre, des manifestations officielles appelées ‘’les clientèles du régime’’ et représentées par les fonctionnaires ou les partisans du régime.
Depuis la révolution iranienne, survenue il y a 39 ans, le pays n’a toujours pas émergé. Et pour cause, les conditions de vie des Iraniens se dégradent d’années en années. Le pays compte aujourd’hui 10 millions de pauvres. Beaucoup tentent de survivent à défaut de pouvoir vivre. D’après Clément Therme, les iraniens ‘’ne croient plus en l’avenir’’. Pour eux, ‘‘le futur ne sera pas meilleur que le présent’’.
Israël dans le débat
L’Iran est aussi au cœur de l’actualité en raison de l’escalade israélienne des derniers jours. Les avions israéliens ont en effet frappé des cibles du régime syrien et de ses alliés, soit en premier lieu l’Iran.
Les manifestations et l’interventionnisme à l’étranger sont donc liés puisque c’est l’économie qui en paye le prix. « Ce mouvement est une lame de fond », souligne Clément Therme. Les objectifs inscrits dans le programme économique du Président Rohani n’ont pas été atteint. Ils étaient de l’ordre de 50 milliards de dollars mais n’ont pas dépassé les 5 milliards de dollars, soit moins de 10 % de l’objectif.
Le chercheur lie cela à ce qu’appellent les Américains ‘’Le financement du terrorisme’’ désignant par là des groupes régionaux tels que le Hezbollah et le Hamas. Ceux qui pâtissent de cette politique, ce sont encore une fois les citoyens. Ainsi lors des manifestations, on pouvait trouver des slogans tels que ‘’Ne vous occupez plus de Gaza, occupez-vous de nous’’.
Enfin, l’un des autres aspects développés par Mr Therme pour expliquer la contestation générale, est la nostalgie de l’ancien régime, nommée ‘’L’époque Pahlavi’’, en référence à la dynastie fondée par Reza Khan en 1925, et qui a régné sur le pays jusqu’à l’avènement de la République islamique. Des pancartes ‘’J’ai fait la manifestation, je me suis trompé’’ ont elles aussi défilé à travers la foule.
Aujourd’hui, le mouvement continue mais de façon sporadique ‘’Il y a encore des foyers de mécontentement’’ souligne le chercheur. Et les arrestations n’en finissent plus. D’après Clément Therme, pour comprendre la mentalité actuelle des iraniens, il faut se demander si la peur du chaos est plus forte que la peur du changement. L’exigence de liberté pourrait bientôt prendre le dessus.