Les lois anti-espionnage australiennes « criminalisent tous les aspects du journalisme »

« Des sanctions pénales draconiennes » – « un pas de plus vers le totalitarisme » – « le Stalinisme rampant »

Le projet de loi sur la Sécurité Nationale australienne qui a pour sujet l’espionnage et des Ingérences Étrangères suscite de nombreuses réactions. Le document de 304 pages à découvrir ici contient des plans pour réviser et amender les lois précédentes. L’objectif ? Limiter les menaces pesant sur la sécurité nationale australienne.

Cependant, beaucoup d’organisations ont condamné le gouvernement australien car elles l’accuse de réprimer et de saper le droit des médias à rendre compte au public. L’Organisation Australienne du Renseignement de Sécurité (ASIO) soutient que les menaces d’espionnage étranger sont plus élevées qu’elles ne l’étaient pendant la guerre froide. Or, pour contrer ces menaces, l’ASIO a plaidé en faveur d’une augmentation des lois sur la sécurité nationale. L’ASIO est la principale organisation de renseignement de l’Australie. Son engagement est apolitique, libre de toute partialité ou influence. Cette loi est tout de même soutenue par le Parti libéral australien, culturellement conservateur.

Contenu du projet de loi

Le projet de loi propose des définitions fortement critiquées car « trop générales » et « délibérément vagues ». Elles ciblent les journalistes, les membres du personnel et les dénonciateurs. Par exemple, selon l’article 101, sous la rubrique « Secret », le projet de loi stipule qu’ « une personne traite des informations si elle reçoit, obtient, recueille, possède, enregistre, copie, altère, dissimule, communique, publie ou fait disponible l’information ». Il sera donc interdit de « traiter » les informations qui potentiellement violent ce projet de loi.

Cette partie de la loi « criminalise toutes les étapes de l’information … et implique des risques criminels pour les journalistes, les autres rédactions et le personnel de soutien », selon les Joint Media Organizations (JMO), constitués de quatorze grands médias australiens.

De lourdes peines de prison, aussi bien pour les lanceurs d’alerte que pour les journalistes

Le projet de loi propose une peine de quinze ans pour les infractions de communication. Les infractions consistant à «traiter» des informations en violation du projet de loi entraînent des peines de cinq ans d’emprisonnement. La peine d’emprisonnement maximale de vingt-cinq ans d’emprisonnement se trouve au paragraphe 91.1 (2), pour les personnes jugées «imprudentes quant à savoir si leur conduite portera atteinte à la sécurité nationale».

Les peines d’emprisonnement actuelles pour les infractions à l’article 70 de la loi de la criminalité de 1914 sont d’une durée maximale de deux ans. Les infractions à l’article 79 de la même loi entraînent une peine de six mois à un maximum de sept ans.

Quelles organisations australiennes sont protégées par cette loi ?

Selon un groupe de rapporteurs spéciaux des Nations Unies, la définition « d’informations intrinsèquement préjudiciables » comprendrait des informations relatives à divers organismes de réglementation australiens. Ces agences, comme la Commission australienne de la concurrence et de la consommation, l’Australian Therapeutic Goods Administration et la Commission Australienne des Valeurs Mobilières et de l’Investissement, ont peu à voir avec la sécurité nationale. Ces définitions sont considérées comme un outrage dans la régulation de ce que l’information peut ou ne peut pas être publiée.

Les informations déjà publiées et publiées dans la sphère publique ne pourront être signalées que si le gouvernement australien autorise l’information. Si le gouvernement n’a pas autorisé l’information, les journalistes peuvent être condamnés à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quinze ans, conformément au paragraphe 122.1 (2) du projet de loi.

Rien dans le projet de loi n’indique qu’il faut savoir que l’information en possession est considérée comme une «information intrinsèquement préjudiciable» à poursuivre.

Le projet de loi décrit les défenses disponibles contre les violations potentielles, cependant les organisations du droit et les groupes de défense des droits humains ont considéré ces défenses comme faibles et sans signification réelle, laissant les journalistes et leurs collègues à risque de prison pour faire leur travail.

Réponse des médias australiens

Comme on pouvait s’y attendre, la réponse des médias australiens n’a pas été accueillante. Les soumissions au Comité mixte du renseignement et de la sécurité du Parlement, disponibles en ligne, montrent que sur 36 communications de particuliers, d’organisations nationales et d’organisations internationales, une écrasante majorité est négative et critique à l’égard de l’amendement.

Les Joint Media Organizations ont soumis une analyse approfondie du projet de loi au secrétaire du Comité parlementaire mixte du renseignement et de la sécurité à la fin du mois dernier. Invoquant les défenses proposées pour violation du projet de loi ainsi que les définitions juridiques «étroites et subjectives», vexantes et inquiétantes, le JMO a décrit ce qu’il considère comme des «problèmes graves» dans le projet de loi et les recommandations proposées.

L’identité des dénonciateurs anonymes serait également menacée en vertu d’une nouvelle intersection avec la Loi sur les télécommunications (Interception et accès).

« Les pouvoirs conférés par la loi TIA d’accéder aux métadonnées des journalistes pour identifier une source de dénonciateur – en violation de l’obligation du journaliste de protéger l’identité d’une source confidentielle – peuvent être utilisés pour identifier les sources dans ces circonstances », selon le JMO.

Les organisations de médias ont déclaré que les conséquences du libellé du projet de loi et des peines d’emprisonnement proposées «intimident les organes de presse d’être les premiers à publier en leur imposant tous les fardeaux – menant à un refroidissement considérable du journalisme d’intérêt public». « Le résultat est qu’un examen juste et un rapport d’intérêt public est de plus en plus difficile ».

Réponse internationale

Alors que le projet de loi prétend «réformer les infractions au secret du Commonwealth, en garantissant qu’elles criminalisent adéquatement les fuites d’informations nuisibles tout en protégeant la liberté d’expression», les organisations des Droits De l’Homme partout dans le monde ont condamné le projet de loi.

Un groupe de rapporteurs spéciaux des Nations Unies du Conseil des Droits De L’homme a transmis ses commentaires au Comité parlementaire mixte du renseignement et de la sécurité. Ils ont soumis un cadre de révision du projet de loi conformément aux normes relatives aux droits de l’homme, comme indiqué à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Australie est tenue de respecter.

Selon le mémoire, les infractions créées dans le projet de loi, de même que les définitions trop générales, «portent indûment atteinte au droit à la liberté d’expression».

La présentation des Nations Unies soulève une préoccupation selon laquelle la simple expression d’une opinion sur une question jugée «fondamentalement préjudiciable» entraînerait une violation et une peine d’emprisonnement subséquente. Human Rights Watch a soumis une vérification de l’amendement proposé, affirmant que le projet de loi criminalisent «les actions légitimes des dénonciateurs, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme».

La présentation de HRW souligne l’importance des lanceurs d’alerte dans une démocratie, et à quel point il est essentiel de protéger leurs droits. En révélant l’inconduite du gouvernement, un comportement contraire à l’éthique ou des violations de la responsabilité, les dénonciateurs jouent un rôle crucial dans la responsabilité du gouvernement.

Une censure analogue au régime autoritaire ?

Décrivant l’amendement proposé comme «suivant les étapes de pays répressifs tels que le Cambodge et la Turquie», le HRW affirme que les lois d’espionnage ont été utilisées pour intimider et censurer les journalistes et les activistes qui critiquent le gouvernement dans des régimes oppressifs.

Les licences de diffusion de deux stations de radio diffusant des programmes étrangers (Voice of America, Radio Free Asia (RFA)) ont été révoquées en 2017, et deux journalistes de RFA ont été accusés d’espionnage pour avoir fourni des informations à la compagnie de radio.

Un cinéaste australien, James Ricketson, a été emprisonné par des responsables cambodgiens et détenu pendant près de neuf mois. Il a été détenu sous des accusations d’espionnage en juin dernier.

En 2016, des responsables turcs ont arrêté et inculpé deux journalistes, Can Dündar et Erdem Gül, pour espionnage, pour avoir publié un reportage et des photographies sur des obus de mortier, des lance-grenades et des munitions trouvées dans un camion turc en Syrie en 2014.

Les soumissions du Centre des droits de l’homme, de l’Australian Lawyers Alliance, du Law Council of Australia, des Australian Lawyers for Human Rights, du Comité international de la Croix-Rouge et de la Croix-Rouge australienne et de Digital Rights Watch soulèvent des préoccupations similaires.

Reporters Sans Frontières a aussi publié une déclaration condamnant l’amendement. Ils déclarant que l’aspect le plus préoccupant du projet de loi est « la définition qui est faite de l’espionnage, qui ne consisterait pas à transmettre des informations classifiées, mais simplement à recevoir ».

 

Si ce projet de loi est adopté, la menace d’être emprisonnée est réelle, et a déjà un précédent dans le monde, selon le Centre des Droits de l’Homme. « Ce type de législation n’a pas sa place dans une démocratie, le gouvernement doit rester ouvert et la liberté d’examiner le gouvernement nécessitent d’être maintenus, et ceux qui exposent des actes répréhensibles doivent être soutenus et protégés ». On constate aisément que l’esprit de la loi est difficilement compatible avec les Droits De l’Homme et la liberté d’expression. 

Isobel Mohyeddin

Isobel est une étudiante américaine en stage à la Maison des Journalistes.

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