La Turquie resserre le contrôle du web avant la journée mondiale contre la cyber-censure

Le 12 mars marque la dixième Journée mondiale contre la cyber-censure organisée par Amnesty International et Reporters sans frontières. Consacrée à attirer l’attention sur la censure de la liberté d’expression sur Internet, la Journée mondiale contre la cyber-censure vise à « rallier tout le monde en faveur d’un Internet unique sans restrictions », selon un communiqué de RSF.

Alors qu’il existe une longue histoire internationale de censure et de réglementation gouvernementale dans les médias télévisés, audiovisuels et imprimés, Internet demeure un moyen d’exprimer librement une opinion et de la communiquer au monde entier. Internet a servi de refuge à ceux qui souhaitent rester anonymes et exprimer leurs opinions personnelles, sans aucun contrôle gouvernemental.

Cependant, à mesure que le 12 mars se rapproche, de nombreux rapports internationaux soulignent la censure commanditée par des gouvernements sur Internet.

Du Sri Lanka à la Chine…

Le mercredi 7 mars, il a été signalé que des responsables du Sri Lanka avaient bloqué divers réseaux de médias sociaux à la suite de violences anti-musulmanes. Facebook, Instagram, Viber et WhatsApp ont été quelques-unes des plates-formes bloquées dans la région centrale du pays, où la violence religieuse a commencé à bouillir depuis lundi.

Les rapports de la pression chinoise sur les cyber-plateformes internationales pour censurer leur contenu ont augmenté au cours des derniers mois. L’automne dernier, un homme a été arrêté en Chine pour avoir exprimé ses opinions sur le président chinois, Xi Jinping, à ses amis via la plate-forme de messagerie américaine, WhatsApp. Il a été accusé d’avoir insulté le gouvernement chinois et le Parti communiste.

… en passant par la Turquie

En Turquie, le président Erdogan utilise Internet comme outil de censure et de propagande.

Si le gouvernement constate que quelque chose posté sur Internet est critique envers le président, la personne responsable du partage de l’information peut être emprisonnée et la publication peut être interdite. Wikipedia est actuellement interdit en Turquie. Il y a également des rapports sur Twitter et YouTube qui sont régulièrement bloqués ou des comptes fermés à cause de blagues critiques envers Erdogan et son régime.

« Je pense que le gouvernement n’était pas content de l’information diffuser en Turquie, notamment lors d’une opération menée dans le sud de la Turquie avec les Kurdes et l’armée turque », selon l’un des journalistes turcs résidents à la Maison des journalistes.

L’internet libre révèle des secrets étatiques

La lutte d’Erdogan pour le contrôle a commencé avec un scandale de corruption qui a secoué la Turquie en 2013. Des allégations de pots-de-vin impliquant le Premier ministre Erdogan, son fils et plusieurs autres ministres ont été révélées après que des conversations téléphoniques qui ont été divulguées sur YouTube.

Après avoir été secoué et fragilisé par cette affaire, la réaction d’Erdogan fut de devenir plus autoritaire. Il mena une répression contre les journalistes en publiant des articles sur le scandale et en augmentant la pression sur les médias pour qu’ils auto-censurent des informations.

La dernière vague d’actions de censure est venue en réponse à Adnan Oktar, prédicateur de télévision par satellite qui diffuse son message par satellite, câble et Internet. Les fonctionnaires du gouvernement trouvent que son point de vue sur les questions religieuses est offensant et souhaitent fermer son programme, y compris sa cyber présence.

Plus qu’une cyber-censure, une répression omniprésente sur internet

Cependant, nombreux sont ceux qui pensent que M. Oktar n’est qu’un prétexte pour une nouvelle réglementation expansive sur Internet, récemment proposée fin février.

RTÜK est une institution publique qui réglemente, censure et sanctionne les émissions de télévision et de radio. Dans le passé, RTÜK a interdit les programmes de « BBC World Service » aussi bien que le film « Sex and the City 2 », à cause de la sécurité nationale et de ce qui est considéré comme des comportements immoraux.

Le projet de loi exigerait que des sites comme YouTube et Netflix Turkey soient autorisés par RTÜK. L’article 73 stipule que RTÜK se verrait conférer le pouvoir de bloquer, retirer ou censurer tout contenu jugé « contraire à la sécurité nationale [et à] l’ordre moral du pays », y compris sur les comptes personnels de médias sociaux. Beaucoup ont soutenu que ce projet de loi donnerait à RTÜK le pouvoir de censurer la page ou la vidéo sur Internet qu’ils veulent.

Le but ultime est de renforcer l’emprise du gouvernement sur la liberté d’expression. Internet restant l’un des derniers refuges pour les journalistes qui veulent s’exprimer et partager des informations. La liberté de parole effraie le régime.

« C’est la chose la plus importante, Internet. Même s’ils essaient de le contrôler, ils ne peuvent pas contrôler tout Internet, vous pouvez toujours trouver un moyen de publier ce que vous voulez « , explique un journaliste turc. Mais c’est à vos risques et périls. Rappelons que la Turquie détient le record de journaliste en prison, et sinon c’est l’exil.

Les VPN et d’autres stratégies permettent l’anonymat sur Internet et de créer un espace de partage d’opinions et d’informations. « Dans le monde, il y a de la censure et de l’oppression sur les médias, mais d’un autre côté. Ce n’est pas parce que le système est gratuit pour les journalistes, mais parce que nous utilisons la technologie. »

Est-ce qu’on peut censurer internet ? Ce qui semblait impossible est de plus en plus réel, la Turquie n’étant qu’un exemple parmi d’autres. 

Isobel Mohyeddin

Isobel est une étudiante américaine en stage à la Maison des Journalistes.

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