Après avoir été reléguée au second rang ou « différée », la question sur la réforme agraire s’est invitée, début mars, au Parlement sud-africain. Il ne pouvait en entre autrement. Tant, depuis la fin de l’apartheid, en 1991, la propriété de presque toutes les terres agricoles est toujours détenue par les fermiers blancs. Au détriment de la communauté noire. Majoritaire.
Sujet sensible, avec à la clé un précédent désastreux au Zimbabwe voisin, en 2000. Alors que Robert Mugabe (aujourd’hui destitué) faisait de la « libération de la terre » son mot d’ordre, à l’indépendance du pays, en 1980, il a dû attendre vingt ans avant de passer à l’acte. Non pas de gaieté de cœur, mais du fait plutôt de la complexité de l’équation.
Une situation inégalitaire qui doit changer
Le hic fut de savoir comment redistribuer les terres – sans dégâts majeurs – entre six mille fermiers blancs, rompus à l’exercice de l’agroalimentaire, et quatre millions de petits agriculteurs noirs, dépourvus de toute expérience en la matière. En dépit de cet attentisme jugé positif, les mesures prises furent des plus maladroites, dont l’économie zimbabwéenne se ressent encore.
Tel est exactement le schéma auquel l’Afrique du Sud, en ce moment, est obligée de s’engager. Si, par prudence politique, Mandela et ses successeurs ont cru bon de garder ce dossier sous le coude, il n’en était pas question pour le peuple. Du reste, galvanisé par une rhétorique victimaire que sème à tout vent un certain Julius Malema, le bouillant leader du parti des Combattants pour la liberté économique (gauche radicale), pour qui « la terre africaine doit revenir sans conditions aux Africains noirs ».
Véritable veillée d’armes
Ainsi, évoquer la question liée à la « propriété des terres », en Afrique du Sud, équivaut-il à y voir un « casus belli » entre Blancs et Noirs. Car, comme au Zimbabwe, pour des raisons historiques, la loi foncière fut édictée par le colonisateur. Dans un esprit largement ethnocentrique : 20 % des Blancs (soit environ 4,6 millions de personnes) se sont partagés 80 % des terres contre 75 % des Noirs (soit quelque 45 millions d’individus).
Mais le drame est qu’échaudée par l’épisode sanglant du Zimbabwe, où le fermier blanc fut à la fois dépossédé et massacré, la communauté blanche sud-africaine s’est avisée de s’organiser militairement. Pour « défendre son patrimoine contre toute injustice », annonce-t-elle. Dans cette vision, elle va jusqu’à envisager l’indépendance d’une « enclave entièrement blanche ». Sans autre forme de procès.
On en est, à ce propos, à une véritable veillée d’armes dans le pays de Mandela. Il y règne une sorte de psychose, autant chez les Blancs que chez les Noirs, qui fait craindre « l’éclatement d’une grande tragédie », selon l’Ong Watch. A charge donc pour le Parlement de forger un savant équilibre, propre à « ménager la chèvre et le chou ». Y parviendra-t-il dans ce marécage post-apartheid, où rampent à ses rives récriminations et rancunes tenaces des uns contre les autres ?
A cet égard, la composition du paysage politique, après les élections présidentielles et législatives, l’année prochaine, sera déterminante. Mais, quoi qu’il en soit, le piège à éviter reste celui de privilégier des positions radicales : les fermiers blancs dépossédés devront avoir droit à une indemnisation juste. Sans tergiversations. Tout comme les Noirs méritants devront être soumis à cultiver, à la fois, et la terre, et « l’excellence ».