Les élections en Italie du 4 mars 2018 ont décrété le plus grand succès de la Lega depuis sa création, à la fin des années 80. Ce parti d’extrême droite, confrère du Front National, a reçu 17 % des votes. Lors des dernières consultations, en 2013, il avait à peine atteint 4 %.
Ce résultat extraordinaire fait de la Lega aujourd’hui le premier parti de la coalition de droite et, en s’appelant pour la première fois dans son histoire sans l’acception « Nord », il s’impose comme parti représentatif de l’Italie entière. Matteo Salvini, son jeune leader, a basé une grande partie de sa campagne électorale sur la question des migrants et sur l’inefficacité des mesures adoptées par l’Europe.
La question migratoire au cœur du débat
Sur le site de la Lega on peut lire les slogans « Stop envahissement », « Esclaves de l’Europe? Non merci! » ou « D’abord les italiens ».
D’ailleurs, la question migratoire a été au centre de la campagne électorale de tous les partis, à gauche comme à droite. Le Mouvement 5 Étoiles, véritable gagnant des élections, a de son côté jugé comme «désastreuses» les politiques en matière d’immigration de l’Italie et de l’Europe. Le 5 mars, en commentant les résultats des élections italiennes, le Président Emmanuel Macron a lui aussi mis en avant « le facteur migration » comme élément déterminant le choix des italiens.
Pendant des mois, on a vu à la télévision italienne les images dramatiques de débarquements de migrants sur les côtes siciliennes. On a également entendu des mots hostiles envers l’Europe et les autres pays de l’Union, accusés de n’être pas assez solidaires envers l’Italie et la Grèce.
Fantasme ou réalité migratoire en Italie ?
Pour écrire cet article, j’ai voulu m’appuyer sur les chiffres réelles de la migration en Italie et en Europe, mais j’avoue que j’ai eu du mal à trouver des données claires et certaines. J’ai lu des chiffres parfois contradictoires et j’ai trouvé assez difficile, voire impossible, d’avoir dans la presse italienne une panoramique de la réelle portée du phénomène dans le Continent. Selon les données périodiques diffusées par le Ministère de l’Intérieur italien, les arrivées de migrants via la mer en Italie sont en baisse progressive depuis 2017 et continuent en 2018.
En Europe, l’Allemagne reste le pays qui accueille le plus grand nombre de migrants, suivi par le Royaume Uni, la France, l’Espagne et enfin l’Italie. Voir le lien vers les statistiques des migrations en Europe. On le sait, il s’agit d’un phénomène très difficile à appréhender. On a des chiffres sur les débarquements via la mer mais assez peu sur les nombres des migrants qui atteignent l’Europe via la terre ou en avion.
L’émotion et la peur plutôt que la réalité et la morale
Certes, le règlement Dublin III et l’institution des hotspots dans les pays qui forment la frontière de l’Europe ont alourdi l’accueil et l’identification des migrants en Italie ou en Grèce. L’Europe, c’est incontestable, n’a pas encore trouvé la voie pour faire face à une situation qu’on ne peut plus accepter d’appeler « critique », car ce mot inclue la notion de transitoire.
Pour ce qui concerne l’Italie, si on lit les données relatives au nombre des étrangers dans la péninsule, on apprend que leur présence est plus au moins stable depuis des décennies. Au-delà des statistiques, de par leur nature relatives et aléatoires, il semblerait que ce qui a vraiment compté dans les élections italiennes est la perception de la réalité plutôt que la réalité elle-même.
Les médias italiens ont-il une responsabilité ?
Les partis populistes, en proposant des recettes vagues ou inapplicables, ont plutôt chevauché la vague émotionnelle produite par les images des débarquements diffusées par la presse, laquelle à son tour ne s’est pas chargée de rendre une vision plus complète de la question. Les épisodes de violence et de racisme qui ont bouleversé l’opinion publique italienne dans les derniers mois (la fusillade de Macerata, l’assassinat d’une jeune fille pour lequel sont poursuivis deux nigériens, l’homicide d’un sénégalais à Florence le jour après les élections) sont nourris par un sentiment vif d’insécurité et de malaise que certains partis n’ont pas manqué d’utiliser comme propagande.
Tout cela dans un pays qui maintient désespéramment un taux du chômage parmi les plus hauts d’Europe et qui vit constamment dans une incertitude politique empêchant tout programme à long terme.
Pour citer un éditorial du journaliste Roberto Saviano, paru dans les pages de « La Repubblica » le 5 mars, voter pour un parti progressiste et européiste demande d’accepter de porter sur ses propres épaules le poids de valeurs et d’obligations morales. Les italiens, ce 4 mars, ont choisi l’égoïsme.