J’ai beau n’être qu’un panda né en exil, un mangeur de bambou que des gens viennent voir à Beauval, je n’en suis pas moins capable de comprendre ce qui se passe. Et je peux maintenant vous le dire : le zoo, ce n’est pas qu’ici. C’est aussi dehors !
Oui : dehors. Par-delà les grilles du parc animalier où je réside. Mon petit monde, aussi contraint soit-il, n’en est pas moins organisé et pacifié. Parfois plus qu’ailleurs.
Vous me direz que ce n’est tout de même pas l’idéal et que je serais sûrement plus à ma place dans les forêts d’Asie. Certes… mais là-bas tout le monde n’est pas forcément bien intentionné. D’ailleurs, mes parents ont débarqué ici en exilés. Ce n’est pas un hasard. Bien accueillis puis ayant obtenu un bon travail (cela arrive) ils se sont suffisamment détendus pour se reproduire enfin. Du coup : me voici, me voilà. J’en viens à me féliciter de me trouver du bon côté de la barrière. Dehors « l’homme, cet animal social » (comme disait curieusement – et à peu près – le dénommé Aristote, un brave grec d’antan dont m’a causé le soigneur) passe son temps à se compliquer la tâche. Social, peut-être, mais assez peu sociable.
L’animal humain s’agite bien plus qu’un panda
Vous le savez déjà : l’animal humain s’angoisse lorsqu’il se trouve seul, étripe ses semblables lorsqu’il en croise ou tente encore de les dominer par tous les moyens. Mais si : voyez la sarabande sanglante dans laquelle il se complaît avec jubilation, jour après jour.
Il pourrait pourtant vivre tranquillement, zen, en harmonie avec l’Univers (avec un grand «U»). Héééé bien non : il préfère tomber dans le trou noir, creuser sinistrement sa tombe à coups de petits «u» (comme «ulcère») plutôt que d’escalader, d’un gai et vigoureux mollet, les pentes prometteuses du mont Bonheur, au son d’un chant montagnard entraînant qui embaumerait le cœur du vaillant marcheur (un fantasme bucolique comme on les apprécie chez les pandas !)
L’animal humain me distrait et me désole
A le regarder, je me distrais et me désole aussi. L’animal humain, dans sa folie perpétuelle, s’agite bien plus qu’un panda dans son espace clos. Je sais ce que je dis. J’ai fini par distinguer chez lui des manières et des coutumes absurdes, sans compter qu’il passe à côté de l’essentiel. Par exemple : il ne consomme du bambou que très, très rarement…. Et encore : des pousses, seulement.
La Planète Bleue où il prétend montrer ses biceps n’est en réalité qu’un zoo géant fait de grandes terres et d’océans infinis qu’il use parce qu’il en abuse (j’aime bien ce genre propos de bistrot définitif et radical : ça me défoule, non mais). Et ledit zoo, les amis, je l’examine de loin en attendant d’y pénétrer.
L’animal humain soumis à mes caprices
Tant pis pour lui, l’animal humain. Quand il en aura fini, je serai peut-être grand-père. Notre heure sera venue. Ce sera notre tour, à nous les bêtes, pandas et autres semblables poilus. «La planète des singes» ce n’est pas qu’un roman du Français Pierre Boulle ayant inspiré le septième art US. Ce ne sera peut-être plus de la science-fiction, tout ça, un jour … c’est là une possibilité que j’attends parfois avec intérêt : passer triomphalement, sur un char romain tiré par des hommes, la porte du Grand Zoo dans le but de le visiter et d’en prendre le contrôle. Enfin, enfin, enfin : LE Pouvoir !
…Tiens, tiens, tiens… tiens : serais-je en train de basculer du mauvais côté de la Force et de muter en animal humain ?
L’exilé est une valeur ajoutée
Attendez. On me dit, à l’instant, que ce ne serait pas une idée judicieuse… Bon, d’accord. Panda je suis, panda je reste. A ma place d’exilé je préfère, au bout du compte, apporter ma contribution plutôt que de prendre ma part à la destruction. Cohabitons, ce sera plus simple. Ayant vécu ce que les pandas ont vécu, je peux éventuellement vous dire comment faire. La balle est dans votre camp. C’est aussi cela la valeur ajoutée de l’exilé, nom d’un bambou !
Yuan Meng
(Traduction de Denis PERRIN)