Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron n’a de cesse de bouleverser les codes médiatiques présidentiels. Nouveau changement rue Saint Honoré: la salle de presse déménagera au courant de l’été. Jusqu’ici habitués à évoluer dans la cour du Palais de l’Elysée, les journalistes accrédités vont voir leur quotidien désormais modifié. Evolution d’une stratégie de communication ou mise à distance dans le rapport de confiance, les avis divergent concernant cette volonté de déménager la salle de presse.
Changement de lieu, changement de pratique
Cette décision du gouvernement prendra effet à l’été 2018. Un éloignement géographique moindre qui, pourtant, agite la sphère journalistique. Denis Perrin, journaliste-stagiaire dans les années 1970-1980 au Progrès de Lyon et à Paris Normandie (puis plus longuement dans la presse spécialisée et dédiée aux industries du Tourisme), se souvient: “Quand on voulait une info on allait directement voir les ministres. Il n’y avait aucun problème de sécurité. » Sous Valéry Giscard d’Estaing à partir de 1974, les méthodes se sont détendues et la chape de plomb s’efface au profit d’une proximité entre journalistes et politiques: »Moi qui débutais avec une carte de presse de stagiaire je rentrais comme je voulais, on me croyait sur parole. Il y avait un lien de confiance entre journaliste et politique”. Jusqu’à l’arrivée à Matignon de Laurent Fabius sous la présidence de François Mitterrand. “Là c’est devenu plus ‘macroniste’ avec une volonté de centraliser le pouvoir. Le développement des technologies n’a pas aidé le contact direct et a créé des écrans entre les gens avec une reprise de l’information dominée par des moyens de communication qui enferment”.
C’est donc la pratique du métier qui s’en trouverait modifiée. Pour l’Association de la presse présidentielle, ce déménagement représente une “entrave” au travail des médias. Sous couvert de confort (bureaux pour travailler, places supplémentaires…), les journalistes s’accordent pour dire qu’il s’agit de minimiser la proximité entre presse et pouvoir.
Et finalement, une fleur faite aux chaînes d’information?
“Pour nous, les médias traditionnels, ça ne change pas grand chose. En revanche, c’est bénéfique pour les grandes chaînes d’info en continu qui ont désormais un confort pour les duplex par exemple” témoigne un journaliste politique du Figaro qui s’était, lui aussi, déjà penché sur le sujet.
“Le choix du Pouvoir d’exclure physiquement la presse de la cour de l’Elysée n’a, en réalité, qu’une importance relative du point de vue journalistique… Il est néanmoins indéniable que ceci possède un sens politique révélateur d’une volonté de maîtriser la communication officielle… ce qui n’empêchera pas les (bons) journalistes de contourner l’obstacle en se créant des sources complémentaires afin de compenser les effets de cette situation nouvelle” continue Denis Perrin.
Grondement dans les rédactions
Les journalistes sont globalement en désaccord avec ce projet. Si rien n’est encore acté, ils espèrent pouvoir obtenir une marge de négociations et ainsi éviter un « bridage » prochain.
L’évolution, aux dires des journalistes habitués à une place d’agenciers, ne facilite pas l’obtention d’information. Marie-Bénédicte Allaire, journaliste politique longtemps accréditée par l’agence Reuters, raconte. « On avait un rapport privilégié et le fait d’avoir vue sur la cour était important dans le sens où on voyait des choses qu’on aurait laissé échapper autrement. C’est un lien qui va sans doute se perdre. C’était très rudimentaire mais il y avait un deal, un accord d’échange ».
Les journalistes qui suivent l’Elysée reçoivent une récompense symbolique, “une sorte d’orgueil (…) cette partie qu’ils retirent de leur travail, si on les en éloigne, ils sont dépités et perdent le côtoiement du pouvoir” estime le sociologue Jacques Le Bohec, (professeur à l’Université Lyon 2).
De communication en symbole
“Il ne faut pas voir de symbole là où il n’y en a pas” assure Benjamin Griveaux, porte-parole de la majorité lors d’un compte-rendu du Conseil des ministres. A ce propos, le sociologue Arnaud Mercier nous explique: “Du point de vue de l’exécutif ce n’est pas symbolique, il s’agit de récupérer des locaux. Mais les journalistes peuvent l’interpréter comme tel car le symbole est justement de l’ordre de l’interprétatif. C’est à ce moment là que l’exécutif doit être vigilant”.
L’éloignement de celui que l’on nomme le 4ème pouvoir interroge cependant. La mise à distance géographique serait-elle liée à une volonté particulière du pouvoir en place? “Je ne crois pas qu’on puisse parler d’une volonté absolue de mise à distance” poursuit Arnaud Mercier, “Mais ça traduit le fait qu’on considère qu’il n’y a pas besoin d’être aussi proches. Dès lors, sacrifier l’espace presse n’est pas un problème.”
Plus incisif, Jacques Le Bohec imagine une absence de contre-pouvoir. “Les hommes politiques se sentent de plus en plus protégés d’une sanction de l’opinion publique et pensent qu’ils ont de moins en moins de compte à rendre. Ils se passent donc d’une forme traditionnelle de surveillance de la presse”.
Pour citer à nouveau Denis Perrin, “ce n’est pas parce que l’on est enfermé dans une salle de presse que l’on sait ce qui se passe à l’Elysée”.