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Peut-on s’informer sur la situation en Syrie ?
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Témoignage d’Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne pour Libération
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Responsable de la rubrique Syrie à Libération, d’origine syrienne, Hala Kodmani est bien placée pour décrire l’évolution de la profession journalistique dans ce pays. Née à Damas en 1956, elle quitte la Syrie à l’âge d’un an et y revient à six reprises en tant que journaliste entre 2011 et 2015.
Elle est également l’auteur de deux romans, dont Seule à Raqqa, où elle décrit la vie d’une femme en lutte pour la liberté entre le régime dictatorial d’Assad et celui de Daech.
« S’informer sur la situation en Syrie n’est certainement pas facile« , commence-t-elle lors de l’interview pour la Maison des journalistes.
« En ce qui me concerne, j’ai la chance d’avoir un accès direct aux sources, étant d’origine syrienne et parlant parfaitement l’arabe. Depuis la révolution, j’ai beaucoup de contacts en Syrie, je peux donc recueillir les témoignages de gens qui habitent là-bas et qui me racontent ce qu’il se passe au quotidien sur le terrain. Malheureusement, depuis 2015 il est devenu impossible de s’y rendre directement à cause de la fermeture des frontières”.
Lorsqu’on s’informe, la naïveté, c’est le pire ennemi !
Comment construire une conscience de ce qu’on lit ? Pour une personne lambda souhaitant se renseigner sur la Syrie, les choses se compliquent. Lorsqu’on n’est pas d’origine syrienne et qu’on ne parle même pas l’arabe, l’accès direct aux sources reste exclu.
Cependant, explique Kodmani, s’informer n’est pas impossible : « Il suffit de ne pas être naïf, avoir une connaissance de base non seulement du conflit, mais aussi et surtout des différents médias sur lesquels on s’informe et de leur orientation politique.
Grâce à internet et aux réseaux sociaux, nous avons également accès à des témoignages numériques, tels que des vidéos et des images illustrant la condition des civils pendant les moments de siège. Il existe certainement des médias plus sérieux que d’autres. C’est-à-dire des médias qui vérifient les informations avant de les divulguer.
En principe, nous pouvons leur faire confiance, mais il faut toujours savoir s’orienter et être vigilant. La naïveté est certainement le pire ennemi ».
Les risques de la désinformation
Bien sûr, parmi les médias les plus douteux, il y a ceux qui sont ouvertement alignés sur des positions officielles, comme Russia Today. « Cependant, Russia Today me fait moins peur que d’autres, car son appartenance à une certaine ligne politique est déclarée” poursuit Hala Kodmani.
On sait ce qu’on trouve sur Russia Today avant même de le lire : il s’agit de la chaîne d’information officielle du Kremlin. Ce qui me fait le plus peur, c’est que les informations diffusées par d’autres médias (je pense par exemple à Sputnik) sont reprises par les gens et largement diffusées sur les réseaux sociaux. Et cela, sans avoir été vérifiées au préalable : elles font ainsi le tour du web sans que les gens sachent qu’il s’agit d’informations divulguées par un média de propagande. De cette manière, on crée une chaîne de désinformation qui est très difficile à contrer.
Les journaux et sites web d’informations donnent quotidiennement des informations sur la situation en Syrie. Cependant, il n’est pas toujours facile de distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux. En fait, la question syrienne met en lumière le problème omniprésent de la désinformation, puisque les journalistes sur le terrain sont rares et que les informations qui nous parviennent sont différentes et souvent opposées.
Les casques blancs discrédités injustement par la propagande
« Il y a beaucoup de fausses informations qui circulent sur la situation en Syrie », déclare Hala Kodmani.
« Celle qui me dérange le plus concerne la campagne de diffamation menée par les médias russes contre les casques blancs (Syrian Civil Defense). Ce sont des volontaires portent secours pendant les bombardements et les sièges, contribuent au sauvetage des civils et transportent les blessés à l’hôpital.
Les médias russes se sont lancés dans une véritable campagne de dénigrement contre ces personnes, les accusant de couverture de terrorisme. J’ai été en Syrie six fois entre 2011 et 2015 et j’ai vu ces personnes au travail, leurs actions sont souvent héroïques et je trouve profondément injuste qu’elles soient ainsi diffamées« .
De l’activisme au journalisme
En Syrie, le manque de professionnels sur place a créé une nouvelles forme de journalisme militant.Il y a très peu de journalistes professionnels en Syrie. Aujourd’hui, il est impossible de rejoindre le pays à cause de la fermeture de la frontière avec la Turquie.
Ce vide professionnel a été comblé par des locaux, souvent de très jeunes Syriens qui, confrontés à la guerre en tant que civils, décident de commencer à la documenter et à la raconter. Ainsi naît une nouvelle forme de journalisme enracinée dans le militantisme.
La formation professionnelle est courte et souvent inexistante, on se procure une caméra et un ordinateur et on devient soudain reporter de guerre ; Là où il n’y a plus de reporters de guerre.
Mais quelle est la ligne qui sépare l’activisme du journalisme ? Est-ce que cette frontière existe quand on parle de la Syrie ?
« C’est en effet une frontière très difficile à tracer. La plupart des journalistes syriens ont commencé en tant que militants, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sont pas devenus professionnels par la suite. C’est comme ça dans beaucoup de cas. On peut avoir un credo politique, mais le laisser de côté dans l’exercice de sa profession. Dans un conflit de telle ampleur, il est très difficile de rester objectif. Mais de nombreux journalistes l’ont fait, en réalisant des reportages fidèles à la réalité des faits. On peut leur faire confiance”.
Les dictatures n’ont pas de couleur
Dans son livre Seule à Raqqa, Hala Kodmani raconte l’expérience d’une jeune femme contrainte de faire face aux défis de la vie quotidienne sous le régime Assad d’un côté et de Daech de l’autre.
« Il y a deux facteurs à prendre en compte : tout d’abord, le livre montre que vivre sous une dictature revient au même, que ce soit une dictature autoritaire comme celle d’Assad ou islamique comme celle de Daech« .
Les dictatures n’ont pas de couleur, qu’il s’agisse des régimes de droite, de gauche ou religieux : la liberté est toujours niée, ainsi que les autres droits humains fondamentaux.
« Ensuite, il y a la condition particulière de la femme, qui est ambivalente. Bien que la répression des femmes sous Daech est presque totale (par exemple en termes de code vestimentaire), elles jouent un rôle fondamental dans le conflit syrien. En fait, beaucoup d’entre elles sont engagées et le fait que l’attention soit moins centrée sur elles leur permet de jouer un rôle clandestin, par exemple en transmettant des informations sensibles et du matériel médical« .
Découvrez notre interview vidéo d’Hala Kodmani sur l’évolution du journalisme
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