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Témoignage d’un journaliste syrien en exil :
“Je dois me reconstruire, mais je dois toujours lutter pour la Syrie.”
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A seulement vingt-quatre ans, le photojournaliste syrien, Abdulmonam Eassa, a témoigné et documenté la destruction de sa ville natale Hamouria, à quelques kilomètres de la capitale et le massacre de son peuple.
Au lieu de devenir aigri ou nerveux face à un monde injuste et violent, Abdulmonam dégage une tranquillité totale, avec un regard doux et un sourire charmant.
“Je dois me reconstruire, mais je dois toujours lutter pour la Syrie.”
Ses études ont été indéfiniment interrompues à cause du siège de la Ghouta orientale, la région qui ceinture Damas et qui inclut Hamouria. Cette fermeture fut imposée par le gouvernement Syrien lorsque des groupes rebelles ont envahi sa ville, il avait seulement dix huit ans quand sa vie a été bouleversée.
Avec une mobilité restreinte, Abdulmonam et ses amis ont utilisé ce temps mort afin d’informer le monde externe de leur réalité. Ils se sont lancés dans un voyage imprévu de photojournalisme, en capturant la violence qui les entourait.
Maintenant, six ans après, ils sont dispersés aux quatres coins du monde, leur destin étant déterminé par les acceptations d’asile.
Pour Abdulmonam, c’est la France qui lui a ouvert ses portes. Il me raconte son parcours, humblement, dans le sous-sol de la MDJ. Il me montre quelques une de ses photographies, qui ont rapidement attiré l’attention internationale grâce aux réseaux sociaux. Travaillant d’abord à son compte, puis en freelance pour des agences locales pendant deux ans, il devient en 2015 photojournaliste indépendant pour l’Agence France Presse, publiant plus de mille photos.
L’importance et l’influence de sa communauté imprègne son discours. Il attribue sa croissance, personnelle et professionnelle, à ceux qui ont vécu la terreur a ses côtés. Pour lui, ses proches sont à remercier pour son succès.
«Je comptais sur mes amis pour améliorer mes compétences. On a tout appris ensemble. On s’inspirait des images sur les réseaux sociaux, mais on s’est formé tout seul, entre nous. J’ai du témoigner en photographiant beaucoup de morts car je savais qu’il était nécessaire de le partager avec le monde entier. Sans formation, j’ai documenté tout ce que je pouvais. En particulier les attaques aériennes qui ont entraîné la mort de centaines d’habitants innocents. »
Pendant deux mois de terreur, de février à mars 2018, Abdulmonam a retransmis les massacres dans la Ghouta orientale sous forme de texte, photo et vidéo. Dans l’espoir d’éliminer les groupes rebelles, les forces gouvernementales syriennes avec le soutien des forces aériennes russes, ont lancé une opération militaire, créant encore plus de destructions avec des centaines de morts civils.
Parmi les destructions, sa maison bombardée, tout comme la majorité des alentours. Au lieu de s’écrouler sous les ruines, le jeune homme est devenu un pilier et s’est dédié à sauver le plus de civils possibles, frappés par les attaques aériennes.
De plus, il n’était jamais distrait par rapport à sa responsabilité: documenter cette réalité pour attirer l’aide internationale.
“Pendant les cinq années du siège, j’étais gravement blessé trois fois pendant que je prenais des photos.”
Après avoir reçu des menaces d’un officier de police, pour être l’un des seuls journalistes à documenter les raids aériens, il compris que c’était le moment opportun pour fuir. En même temps, un accord entre les forces du gouvernement syrien et la faction rebelle a forcé le déplacement de tous les habitants de la Ghouta orientale vers le nord du pays.
Abdulmonam tenta donc de franchir la frontière turque puisqu’il se situait à sa proximité.
Ces premières neuf tentatives furent infructueuses. Avec la détermination qui ne l’a jamais quitté, malgré tous les obstacles, à la dixième traversée, c’est un succès !
En racontant ces moments, une sensation d’excitation et une légère nervosité traversent son corps, comme s’il le revivait.
Après son arrivée à Istanbul en mai 2018, malgré un certain soulagement, il est en situation illégale. Mal à l’aise et limiter professionnellement, il sait qu’il ne peut pas rester.
Il dépose de nombreuses demandes d’asile, et après quelques mois il reçoit la grande nouvelle: la France sera son nouveau pays. Rempli de gratitude et prêt à commencer une nouvelle vie, il arrive à Paris le 1er octobre 2018. Enthousiaste à l’idée de s’intégrer, il suit assidument des cours de français tous les jours de la semaine à l’Association Pierre Claver, une école conçue pour guider et intégrer les réfugiés.
Il ne semble pas avoir peur, bien qu’être loin de tout ce qui est familier effraie la grande majorité.
« Maintenant, je veux aider de loin. Je concentrerai ma couverture médiatique sur les Syriens en Europe, pour raconter leurs histoires. »
Avec la même positivité, il démontre du réconfort à l’idée que son passé n’est pas complètement perdu. « Je suis presque sûr que notre travail, celui de mes amis et moi, changera quelque chose en Syrie. Mais ca prend du temps. »
Son souvenir:
« Mon plus grand souvenir se situe devant ma maison. Je suis la avec beaucoup de personnes qui comptent pour moi: mes amis, ma famille et mes voisins. Bien que cette mémoire soit ternie, car elle implique beaucoup de destruction et de douleur, elle est très belle. Je connais tout le monde dans mon quartier depuis mes premiers souvenirs. On s’est donné ce que l’on pouvait, même s’il ne restait plus grand chose. Au milieu de la destruction, il y avait toujours un sentiment de communauté. »
Le keffiyeh:
« En 2011, la première fois que les forces militaires sont entrées dans notre ville, ils ont tué 8 personnes: trois d’entre elles étaient mes cousins et deux étaient mes voisins (père et fils). Trente minutes avant l’arrivée des soldats, j’étais devant chez moi, avec mon keffiyeh enroulé autour de mon visage. A ce moment là, j’avais décidé de donner mon écharpe à mon cousin, juste avant qu’ils n’arrivent. J’ai reussi à me réfugier chez mon voisin mais j’ai entendu les bruits. Je les ai entendu les tuer. Quand je suis sorti, j’ai retrouvé mon keffiyeh sur un cadavre.
Avant de quitter la Syrie, j’ai acheté une autre écharpe, exactement comme celle que j’avais passé à mon cousin. Normalement on l’utilise pour se protéger dans les zones de conflit, pour ne pas respirer la poussière après les bombardements. Aujourd’hui, je le porte pour des raison esthétiques. Mais surtout, parce que cela me rappelle ma famille, mon pays et ceux qui luttent contre le gouvernement et les forces militaires. Ce n’est pas juste une écharpe, c’est une déclaration politique, un symbole de notre cause.
J’ai presque tout laissé en Syrie. Les seuls objets que j’ai emporté avec moi jusqu’ici sont mon ordinateur, mon disque dur, mon appareil photo et les habits déjà sur mon corps. J’avais le keffiyeh sur moi, donc elle est maintenant aussi en France. »
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