Interview d’Abnousse Shalmani – Marraine de la promo 2018 de la Maison des journalistes

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Interview d’Abnousse Shalmani – Marraine de la promo 2018 de la Maison des journalistes

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Abnousse Shalmani, journaliste et romancière, auteur du roman « Les exilés meurent aussi d’amour » paru en 2018 (Ed. Grasset), a accepté d’être la marraine de la promotion 2018 de la Maison des journalistes. Y résident 16 journalistes réfugiés pour avoir exercé leur métier qui connaissent l’exil en France depuis quelques mois. En tant que marraine, Abnousse Shalmani répond à toutes nos questions autour de l’exil et du journalisme.  

Vous avez accepté de devenir la marraine de la promotion 2018 de la Maison des journalistes. Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce choix ?

Je suis sensible à tous les sujets qui concernent l’exil. Cela fait 34 ans que je vis en France sans jamais être retournée en Iran. Pourtant, j’ai encore des sensations de là-bas et de mon arrivée à Paris. Bien que ce mot soit galvaudé, je pense qu’il existe un devoir de solidarité.

L’exil pour raison politique tel que le connaissent les journalistes de la MDJ ne s’est jamais arrêté et ne s’arrêtera jamais, car c’est un combat pour la liberté. C’est donc pour moi un honneur que de participer en tant que marraine à cet événement.

Lorsqu’un Etat restreint la liberté, cela commence toujours par les journalistes et les caricaturistes.

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Or, un exilé a besoin d’un accueil quand le pays d’accueil le peut, mais ce n’est pas tout. Il faut ensuite qu’il s’intègre en acceptant ce nouveau quotidien, puis trouver un travail, vivre sa vie. C’est ce qu’offre la Maison des journalistes à ses résidents. L’accompagnement social est essentiel.

En plus, nous sommes journalistes. En observant cette France anti-médias qui devient haineuse et violente, aider ces journalistes qui ont tout perdu pour la liberté d’informer fait honneur à cette profession. C’est peut-être un pont possible entre la colère envers les journalistes et le respect de ces femmes et de ces hommes qui se sont battus pour leurs droits et sont devenus exilés.

« Si l’an I de l’exil est celui des découvertes et des rencontres. Les années qui suivront seront celles de la désillusion mais aussi de la reconstruction de l’identité. » Voilà ce que vous exprimiez dans une interview, pouvez-vous préciser votre pensée ?

L’exil n’est pas figé, c’est organique. Notre pays d’origine nous a virés et nous ne devenons pas des victimes (je déteste ce mot), mais des enfants de l’Histoire. Cette nouvelle vie dépend d’événements qui nous ont dépassés. Contrairement aux victimes, les enfants grandissent, se défendent, se vengent, ils peuvent même écrire des romans… (sourire).

Alors on se construit ici, on s’approprie la langue, la culture… Mais on garde notre visage, notre nom, et toujours un peu du pays d’origine. Malgré 34 ans ici et le fait que je pense en français, rêve en français, fais l’amour en français, l’Iran n’est jamais loin. Mais je m’approprie le fait d’être française, je veux en être. Et vint alors la deuxième phase : tout ce que j’ai d’iranien, le français est passé dessus. Quoique je fasse, je ne suis plus iranienne et pas tout à fait française.

Pourtant je n’arrive pas à saisir ce que c’est qu’être français. Je ne me sens pas non plus française entièrement. Ce sentiment est écrasé entre sourire et espoir.

Donc, qui suis-je ? Je suis une exilée, une métèque. L’idée de frontières ne m’intéresse pas, je préfère les valeurs de la France, les Droits de l’Homme, le siècle des Lumières…

Je ne suis pas seulement métèque, je suis une métèque française, c’est ce qui me définit en tant qu’exilée. Et puis en étant métèque avant tout, on ne pourra jamais me virer de mon pays ! Cette identité est comme un pays, comme une douce nostalgie.

L’exil heureux est-il possible ?

Bien sûr que l’exil heureux est possible. Il faut déjà constater ce que l’on a en étant ici. Je ne serais devenue ni écrivain, ni femme indépendante, ni qui je suis si j’avais vécu ces 40 dernières années sous la tyrannie d’une République Islamique.

En tyrannie, on étouffe, on a une vie extérieure officielle et une vie intérieure cachée. C’est schizophrène. Cette liberté inaliénable n’a pas de prix et quand tu l’as, tu es heureux, ou plutôt tu te dois de construire ton bonheur. Ou alors tu restes dans ta position de victime.

Je le répète, en tant que métèque ou exilée, je ne suis pas une victime, je suis une enfant de l’Histoire. Je construis mon présent et mon avenir dans un pays libre.

En somme, la vie suit son cours…

On continue d’aimer, de rire, d’espérer, de vivre… J’aurais voulu appeler mon roman « Les exilés sont des salauds comme les autres ».

Cela semble évident mais pas pour tout le monde : l’exilé qui était un sale type là-bas, l’est toujours ici. Ça ne change rien. Les présenter de manière caricaturée en tant que victime et personne gentille, c’est aussi bête que les présenter comme étant tous des violeurs et des assassins.

Dans ce marasme d’idée préconçue, si je dis que je suis exilée, les gens penchent la tête de côté et me plaignent. Mais je sais qui je suis et je n’ai pas envie que l’on me renvoie à mon malheur. Un malheur partagé. Il y a toujours eu des exilés et cela va continuer.

Imaginons un instant qu’il n’y est pas eu d’exilés en France. Dans ce gargarisme d’art moderne, que serait la France aujourd’hui ? Soutine par exemple, né en Biélorussie, exilé, grand artiste de l’École de Paris. Quand je suis triste, je vais voir ses tableaux.

Quel est votre rapport à l’information ?

Tous les exilés qui arrivent suivent avec intérêt les actualités de leur pays d’origine via les sources d’information à disposition. C’est d’ailleurs l’un des seuls rapports que je conserve avec l’Iran, je me nourris de ça. Ensuite, s’intéresser aux médias devient une habitude. C’est aussi une manière de comprendre le pays d’accueil.

Aujourd’hui encore, je lis des journaux tous les matins. Surtout les pages culture, internationales et politique intérieure. J’essaie de comprendre le monde, d’en suivre les évolutions. Ainsi, étant une enfant de l’Histoire, je vois parfois l’histoire bégayer, cyclique, sans fin…

En ce moment, je suis triste pour le Yémen. Un pays où des gens vivaient plus ou moins bien se fait attaquer par deux pays belligérants qui veulent se prouver je ne sais quoi… Sans rentrer dans les détails, des gens sont contraints de fuir devenant de nouveaux exilés. De nouveaux métèques. Comme quoi, la frontière n’a qu’une valeur très relative. Il suffit d’être armé et que les organisations internationales regardent ailleurs pour que le concept de frontières et d’entre-soi volent en éclats.

L’histoire bégaie aussi en Europe. L’Italie et son neo-fascisme, c’est terrifiant. Je ne peux pas détourner les yeux.

Les médias se sont diversifiés : presse écrite, radio, télévision, les chaines en continu… Et vous évoquez principalement la presse écrite.

J’ai beaucoup de mal avec les chaînes d’informations en continu. C’est hypnotisant. Avec la lecture, nous pouvons prendre une distance, notre cerveau fonctionne. Idem avec la radio. La télévision, c’est être prisonnier de l’image. J’ai l’impression que ces chaînes flattent nos cerveaux grégaires et paresseux.

De plus, leur dépendance à l’image crée un journalisme qui n’agit pas sur le monde, qui attend. Faire le pied de grue pendant des heures devant l’Elysée, c’est ce qu’on demande à des journalistes. Je n’aime pas cette vision du journalisme. Il doit au contraire être acteur, aller à la rencontre, à la recherche…

Et puis il y a tellement de violence à la télévision. En janvier 2015, lors de l’attentat de Charlie, j’ai dû éteindre ma télévision. Depuis tout petit, je vis des attentats. Un de plus ou un de moins… Mais s’en prendre à des caricaturistes ! C’est le début de la fin. Ces régimes plus ou moins démocratiques devenus des dictatures, cela commence toujours par s’en prendre aux journalistes et aux caricaturistes.

Or, qui nous protège de ces dangers ? Qui est en première ligne ? Ce sont aussi les CRS. Et cette image du boxeur qui fait la une d’un journal en s’en prenant à un CRS, cela me désole.  

Lors du mouvement des gilets jaunes, plusieurs journalistes et médias ont été attaqués, non seulement de manière insultante, mais aussi violente…

Il y a un truc qui ne va pas dans la presse mais rien ne justifie d’attaquer des journalistes. Cette montée des violences touche les journalistes, mais le problème est plus général. L’homophobie, l’antisémitisme et tout ce que l’extrême droite a en horreur, se fait de plus en plus attaquer.

Cela me rappelle l’une des citations de Frantz Fanon dans son livre « Peau noire, masques blancs » qui dit ceci : « quand on s’attaque à un juif, on s’attaque aussi à toi ».  Quand on commence à s’attaquer à qui tu es : riche ou pauvre, homme ou femme, selon les orientations politiques, sexuelles ou autres, c’est aussi toi qu’on s’attaque, c’est aussi à la République et à la démocratie…

Face à cette réalité, il y a des idéologies farfelues : tu peux être pauvre et être le dernier des salauds ou être riche et quelqu’un de très bien. Face à la parole haineuse dans la rue, on doit ouvrir les portes qu’ils essaient de fermer, c’est vital. Or, les journalistes sont pris dans ce cycle de haine.  

Au-delà de la haine de la rue et avec le refus absolu de se victimiser, regardons aussi nos responsabilités. Les chaînes d’informations sont pourries ? Alors, pourquoi les regarder ! C’est ainsi qu’elles se nourrissent. C’est notre responsabilité si le journaliste attend en pied de grue plutôt que d’enquêter. Nous sommes tous responsables.

Je me permets de faire une comparaison : les vêtements vendus 2 euros plutôt que 10 euros.  Si tu achètes, tu sais que c’est fait à l’autre bout du monde dans des conditions obscures et ramené par conteneurs. Non seulement tu exploites, tu pollues mais en plus la cousine qui travaillait à l’usine, elle n’a plus de travail. Nous sommes tous responsables. Pour l’information aussi.

C’est pour toutes ces raisons que le journaliste exilé qui a vécu la guerre, la prison, la torture se bat encore aujourd’hui pour informer. Et aussi pour vivre sa nouvelle vie en France malgré les blessures de l’exil… Cette femme, cet homme, ce journaliste, représente le pont entre la haine envers les médias et la nécéssite de comprendre le monde.  Oui, je suis fière d’être la marraine de cette promotion 2018 de la Maison des journalistes.

La cérémonie aura lieu le 5 février, suivez-nous en direct sur les réseaux sociaux !

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