RD Congo : à l’heure de la révolte populaire?

Lundi 26 août. Le gouvernement que vient de nous offrir la coalition FCC-CACH, après sept mois de discussions qu’on savait d’ailleurs byzantines, est tout, sauf un gouvernement de «changement». Un beau mélange de genres et d’«équilibres budgétivores», loin des intérêts du peuple. Lisez le document et tirez objectivement la conclusion.

C’est, pour beaucoup, un supplément de mépris et de provocations. On en est ainsi arrivé au point de penser et de dire comme Jean-Jacques Rousseau, subodorant les effluves de la Révolution française: «Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions».

Entre chimère et hold-up électoral, « l’élection en RD Congo est une honte »

Qui a dit qu’un soulèvement populaire ne se préparait pas? Pourtant, il ne tombe pas du ciel. Il se crée, en réaction aux actes politiques machiavéliques. Puis, un jour, comme une bombe à retardement, il éclate. Il en a été ainsi pour la plupart des révoltes urbaines. D’une manière ou d’une autre, celles-ci se tissent… en sourdine.

Mais, on ne peut pas parler de la vacuité de ce gouvernement, sans rappeler ses origines, ses racines pourries. Il est le couronnement d’un rare mensonge politique, qui remonte aux résultats d’élections générales de décembre dernier, dont tout était faux. Truqué et tronqué. Car, ce n’était pas Félix Tshisekedi qui a gagné la présidentielle. Ce n’était pas non plus le FCC qui l’a remporté au niveau des législatives. On a montré et proclamé plutôt une chimère.

Si, pour l’Eglise catholique qui y a déployé quarante-mille observateurs, le vainqueur se nommait Fayulu, avec près de 62 % des suffrages exprimés, le FCC, par hypothèse, ne pouvait prétendre gagner les législatives, avec près de 70 % des voix. Il y a là un sophisme, car cela ne pouvait être possible dans le même temps et, avec les mêmes électeurs. Retenons, tout simplement, pour clore ce chapitre d’hold-up électoral, la petite phrase lumineuse du milliardaire soudanais Mo Ibrahim: «L’élection en RD Congo est une honte» (Jeune Afrique, n° 3054, du 21 au 27 juillet).

Ainsi donc, dès le départ, on a transigé avec le faux. On a flirté avec la théorie du «moindre mal».

Voici, par ailleurs, ce que dit à ce propos le philosophe Hannah Arendt :


«Politiquement, la faiblesse de l’argument du moindre mal a toujours été que ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu’ils ont choisi le mal.»  


C’est en cela que réside le fond du problème actuel.

Par conséquent, l’Onu, l’Union africaine (UA) et les grandes nations de la démocratie occidentales, en ayant finalement accepté, à rebrousse-poil, la «nomination» de Tshisekedi par Kabila, ont clairement choisi le mal.

Y compris l’Eglise catholique du Congo, qui a renié l’Evangile dont un des enseignements est basé sur la vérité (Jean 8 : 32). La sagesse populaire en fait constamment référence, comme c’est le cas dans cette fameuse chanson en lingala de l’OK-Jazz, intitulée «Mabele, traduire ‘la terre’». Dans ce morceau lyrique, l’auteur exalte la victoire éternelle de la vérité : «Aucun fusil au monde ne peut ‘tuer’ la vérité», crie-t-il.

Un ours mal léché

A partir de là, on ne pouvait espérer récolter que ce que les «faux partenaires» ont semé. Le monstre que vient d’accoucher le FCC-CACH ne peut surprendre personne. C’est un enfant illégitime, un ours mal léché. Illégitime, au regard de sa «conception incestueuse», liée à un accord caché, malsain, dont personne ne connaît à ce jour la teneur; ours mal léché, à cause de son gigantisme obtus, qui, dans la répartition des postes ministériels, accorde au FCC tout ce qui constitue le substrat d’un Etat. Laissant l’accessoire à  son allié le CACH, qui d’ailleurs s’en accommode, puisque, c’est à l’aune de moins de 20 % réunis que Tshisekedi et son comparse Kamerhe ont obtenus à la présidentielle.

Quid? Voici un gouvernement qui comprend soixante-cinq ministres, quarante-deux pour le FCC et 23 pour le CACH! Du fait même de sa taille, il y a à déplorer l’hybris (la démesure) que les Romains considéraient comme un crime. On a rarement vu au monde une telle absurdité politique, sinon dans les Etats faillis, où le peuple ne compte pas. Au fait, le FCC s’empare de tous les ministères régaliens stratégiques: Défense, Fiances, Mines et Justice.

A cet égard, il ne jette dans l’escarcelle de son allié que deux postes régaliens. Dont l’un, celui du ministère de l’Intérieur, déjà vidé de sa substance, étant donné que tous les gouverneurs de province sont du FCC, ainsi que celui des affaires Etrangères, qui n’est en réalité qu’un ministère de représentation.

Il en est de même pour le reste de tous les maroquins classiques. Le CACH n’hérite que de «morceaux à problème», tels que les ministères de l’éducation et de la santé publique, tandis que le ministère du Portefeuille, autre levier de taille, puisqu’il s’occupe de la gestion des entreprises de l’Etat, va engraisser les dividendes du FCC.

C’est peu dire qu’un gouvernement aussi bancal ait non seulement la chance de bien fonctionner, mais aussi celle de bénéficier de l’onction du peuple. Ce peuple qui, pour sa majorité, s’est dévêtu peu à peu de  son illettrisme pour ne pas manquer de comprendre le fond des enjeux politiques du moment. Arque-bouté sur ses millions de bacheliers ainsi que sur ses ceux, très nombreux également, qui ont vu les lumières académiques, il est aujourd’hui vent debout contre ce régime qui l’a asservi. C’est une armée redoutable en réserve au sein de laquelle bouillonne la révolte. Il se tient en embuscade, en attendant que sonne l’hallali.

La coulée de larve

Les signes ne manquent pas pour l’illustrer. Au grand dam des sceptiques. Le premier fait à épingler est que la peur s’est évanouie, sous l’effet de l’acte même d’avoir rejeté vigoureusement le régime Kabila au niveau des urnes.

Jamais les manœuvres du «raïs» n’ont été autant mises à nu, au point de le dépouiller de tout aura, en tant que chef. Cette fois-ci, il a dégringolé de l’Olympe pour rejoindre tous les humains sur terre, où il est couvert du mépris frontal. Touchée au vif, Olive, la première dame, est descendue dans l’arène pour défendre son mari de «raïs». A travers les réseaux sociaux ! Imaginez Brigitte Macron, épouse du président français, faire un jour de même. C’est que la peur a changé de camp. Sans le faire apparaître, les membres du FFC sont dans l’angoisse.

Le deuxième élément, corollaire du premier jalon posé sur le chemin de la victoire, est que la jeunesse est prête à en découdre. En effet, c’est pour la première fois que les Congolais ont publiquement réclamé des armes pour combattre la dictature. Quand on a entendu la foule formuler cette demande, à cor et à cri, au cours d’un meeting de Fayulu à Kisangani, beaucoup croyaient rêver. Une première ! Autres temps, autres mœurs, dirait-on, sinon, une clameur aux accents autant «subversifs» aurait conduit plusieurs personnes à la peine capitale. Sans doute, ce bon exercice de la démocratie est-il à mettre à l’actif de Tshisekedi. Même si cela reste à nuancer. Depuis, cette revendication a fait tache d’huile. A l’intérieur du pays comme au niveau de la diaspora congolaise.


«C’est seulement par le risque de sa vie qu’on conserve la liberté» (Hegel)


Enfin, l’implosion, qui plane sur toutes ces plates-formes de circonstance, est déjà à l’ordre du jour. Y compris sur Lamuka. Nous allons assister, bientôt, à leur éclatement aussi brillant que bruyant. Les fissures qui y apparaissent promettent la coulée de larve. Pas étonnant. Telle est inévitablement la destinée de toute alliance contre-nature: éphémère, météorique.

Pour le FCC, «l’affaire Bahati» [l’homme qui a claqué la porte de cette plate-forme] n’est pas anodine. Elle constitue un signe annonciateur de démantèlement prochain de la forteresse. Certes, Bahati l’a fait, sans aller jusqu’au bout. Intimidé et menacé qu’il était, par la suite. Mais l’avantage est que cet exemple reste pour renseigner qu’au sein du FCC alternent cajolerie et cynisme. Que c’est un monde des brutes quand leurs intérêts sont mis à mal. Sans doute, d’autres membres du FCC l’imiteront-ils quand ils se seront rendu compte que «c’est seulement par le risque de sa vie qu’on conserve la liberté» (Hegel).

Ceux-là le feront avec beaucoup plus de détermination. «On ne reste esclave que quand on veut le rester», affirme Frantz Fanon. Et, aucun homme normal ne peut aspirer à l’esclavage… puisque le FCC est un «enclave  d’esclaves psychologiques».

Quant au CACH, on sait que la mésentente sur la répartition des maroquins est l’arbre qui cache la forêt. Il y a, en son sein, beaucoup d’empoignades feutrées, qui ont déjà suffisamment miné la base de l’édifice, construit à la hâte à Nairobi (Kenya). Citons, à titre d’exemple, la colère biblique des partisans de Tshisekedi  vis-à-vis de Kamerhe, son directeur de cabinet et allié, qu’ils accusent d’usurpation en prenant souvent des postures de nature à éclipser le chef de l’Etat. D’aucuns demandent son écartement. Ce n’est rien de moins que l’indication claire d’une obsolescence programmée de la baraque.

Reste Lamuka. Instituée déjà comme parti politique, la plate-forme est en sursis, malgré l’unité de façade qu’elle présente. On ne peut imaginer, un seul instant, que les trois caïmans que sont Bemba, Katumbi et Fayulu, maîtres des marécages si éloignés les uns des autres, puissent accepter de vivre sur un même rivage, sous l’autorité de l’un entre eux. Alors que chacun a l’ambition affichée d’être appelé «Monsieur le président de la République».

Chassez le shah

Ainsi, de fil en aiguille, nous voici à l’approche de «l’état de crise». D’un soulèvement populaire. Si la Révolution française avait des origines d’ordre social, économique et politique, elle ne se matérialisa pas moins à travers une grave crise sur l’augmentation du prix du pain entre 1787 et 1789 (+ 75 %). Avec un pic de colère du peuple par la prise de la Bastille, en 1789.  C’est presque dans les mêmes conditions que le Palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, en Russie, fut pris d’assaut, en 1917.

Sous nos yeux, se déroulent en Algérie et au Soudan des événements similaires. Ils se sont vite mués en orage, qui a emporté deux dictateurs endurcis: Bouteflika et Al-Bachir. A l’origine, plus ouvertement liés à l’augmentation du prix du pain au Soudan, alors qu’en Algérie le phénomène se cachait plus ou moins derrière le refus du peuple de voir l’ex-président Bouteflika rempiler pour un cinquième mandat.

Enfin, en France -encore une fois-, les manifestations brutales des Gilets jaunes n’en sont qu’un autre versant lumineux, puisqu’il s’est agi de ceux qui n’arrivaient pas à nouer les deux bouts du mois.

Qu’en sera-t-il de la République Démocratique du Congo, sinon une violente révolte, où les trois quarts de la population vivent avec moins d’un dollar par jour, depuis plusieurs décennies?

Où dans l’Ituri profond (nord-est), on en est à manger des beignets à base d’argile?

Comment ne pas voir d’épais nuages s’amonceler sous le soleil congolais, sur cette République des faméliques?

Pour le peuple, à n’en pas douter, ce gouvernement n’est rien d’autre que la perpétuation du régime Kabila. Métamorphosé. Avec à sa tête un certain Sylvestre Ilunga Ilunkamba, un disciple inaltérable du «raïs». D’où la nécessité de passer par une révolte populaire, pour pouvoir en finir avec le «mal».

En finir avec le mal! Comme ce fut le cas, en Iran, en 1979. Le mal, ce fut le shah (roi) Mohammad Reza Pahlavi: tyran, prédateur, boucher, au même titre que Kabila. Il fut chassé du trône par la puissance de trois mots, en formule publicitaire: «Chassez le shah», contenus dans de simples cassettes audios, envoyées à Téhéran par l’ayatollah Khomeiny (en exil). Si l’empire persan, millénaire, fut emporté par ce moyen de communication à influence limitée, à combien forte raison l’empire, imaginaire, du «raïs» congolais, serait-il la proie facile vis-à-vis de la puissance que porte Internet, à travers les réseaux sociaux?

En écho, Francis Balle dans «Médias et sociétés» n’affirme pas moins que pour le moment ce sont «des médias qui redistribuent les cartes du pouvoir».

Si, hier, il y avait l’ayatollah Khomeiny, pour réveiller ses concitoyens, il y a, aujourd’hui, des milliers «d’ayatollahs Khomeiny-Congolais», à l’extérieur, pour secouer l’esprit du peuple congolais. La Toile en parle jusqu’à plus soif. Et puis, il y a ces exemples vivants et éclatants de révolte que donnent les Soudanais et les Algériens.

Chassez le «raïs» Kabila

Ailleurs, en Europe Occidentale, les lignes bougent: le populisme montre ses crocs et gagne du terrain; en Russie, Poutine ne dort plus sur ses deux oreilles, bouchées par des cris stridents réclamant la démocratie; en Asie, la question sur le Cachemire refait surface et met face à face deux Etats atomiques, à savoir l’Inde et le Pakistan, alors que Hong-Kong (mi-chinois, mi-occidental) proteste avec ses tripes dans les rues, pour défendre ses droits démocratiques, au point d’embarrasser Pékin; quant aux Etats-Unis, ils ont placé à leur tête un pyromane en chef, un certain Trump, qui se croit sortir de la cuisse de Jupiter et, de ce fait, dérange toute la vision classique du monde…

Tout cela, mis bout à bout, sonne le tocsin du bouleversement qu’engendre le «siècle des révolutions» de Jean-Jacques Rousseau, nouvelle version. Le Congolais n’est pas aveugle pour ne pas voir, ni sourd pour ne pas entendre, ni si ignare pour ne pas comprendre que c’est également à son tour d’entrer dans la danse. Il y est d’ailleurs poussé par une sorte de tropisme tentaculaire.

Pour ceux qui doutent encore de cet air du temps sous nos latitudes, prière de prêter l’oreille pour bien écouter, et d’ouvrir l’œil pour bien lire entre les lignes; des centaines de milliers de mots, soutenus par des images de toute sorte, qui sont déversés chaque jour contre le kabilisme, à travers Internet, se résume à cette formule subliminale: « Chassez le «raïs»Kabila ». Unique solution pour mettre fin à la «théorie du moindre mal» dans laquelle ce dernier puise encore ses dernières énergies.

Jean-Jules Lema Landu

Exilé en France depuis 2003, résidant actuellement à Rennes, le journaliste a répondu aux questions des lycéens et évoqué son lourd passé. « Je suis devenu journaliste par accident de parcours et non vraiment par vocation », a -t-il souligné en préambule.
Par la suite, Jean-Jules Lema Landu s'est passionné pour son métier et n'a jamais renoncé à l'exercer, alors que sa vie était en danger : « Dans mon pays, tuer des journalistes, c'est fréquent ! ». Pour sa part, il a été emprisonné 12 fois, dans des conditions inhumaines.

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