L’autre jour, en flânant dans Paris, je suis tombé sur un SDF absorbé par la lecture d’un livre. Oui, cela se remarque, à Paris, la culture s’est démocratisée, elle n’est plus l’apanage des seuls clercs. Elle irrigue jusqu’aux petites gens, parmi les plus démunies et les plus délaissées.
La posture du SDF qui lit, buste incliné, presque couché sur un banc public, suggérait qu’il tenait entre les mains un de ces bouquins à l’eau de rose, un Harlequin, peut-être. J’engage la conversation avec lui. Eh bien, je n’en reviens pas lorsqu’il me montra la première de couverture : Les lois fondamentales de la stupidité humaine, de l’auteur italien Carlo Maria Cipolla.
C’est un opuscule publié en 2011 dont je n’ai jamais entendu parler. Je suis allé très rapidement le chercher en librairie. On en parcourt les pages avec avidité. Ça diffère du principe de Peter qui s’applique au monde du travail. Principe selon lequel tout employé est appelé à s’élever à son niveau d’incompétence. En revanche, le texte de Cipolla est une démonstration que l’humanité est dominée par les stupides et les non stupides.
La thèse est illustrée par des schémas représentant l’axe des abscisses et des ordonnées. Ça permet une replongée dans les cours de mathématiques qu’on a eus jadis au collège. Le genre humain stupide se répartirait en stupides proprement dits, en crétins et en bandits. Ce qui me rassure c’est que la stupidité représente dans chaque société humaine la même proportion d’individus.
Qu’on vive dans un pays industriel ou dans un pays sous-développé, on retrouve le même pourcentage de gens stupides. On y apprend donc que le nombre de stupides est proportionnel à celui de la population. On y apprend aussi que la stupidité touche, en fait, les deux sexes avec toujours le même pourcentage quoique les hommes stupides sont légèrement plus nombreux que les femmes stupides. Ceci du fait de la démographie qui est à l’avantage des premiers.
Si on devait créer une nouvelle science que je me propose d’appeler la “stupidité appliquée”, il est aisé d’y dégager la loi suivante : le succès de la démocratie euro-américaine tient au fait qu’elle parvient – avec plus ou moins de bonheur – à neutraliser la composante stupide de sa population.
Les électeurs avertis mènent campagne contre les acteurs susceptibles de nuire à l’intérêt général. En un mot, ce sont les gens normaux, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni stupides, ni crétins, ni bandits, qui empêchent les êtres stupides de sévir.
Sous d’autres cieux, l’organisation d’élections truquées, comme en savent faire les régimes policiers, empêche la matière grise de remonter vers le haut. C’est, du reste, souvent sous l’angle de la stupidité que le Hirak algérien (le mouvement de protestation qui agite l’Algérie depuis février 2019) dénonce la nomenklatura militaire qui détient les rênes du pouvoir politique, économique et financier.
Cette nomenklatura semble avoir trouvé goût, depuis Bouteflika, à introniser des présidents potiches “proches du cercueil” pour reprendre les termes d’un hirakiste de la Place de la République, l’agora parisienne où chaque dimanche les Algériens de la diaspora se donnent rendez-vous pour apporter leur soutien au soulèvement algérien.
L’on s’y était beaucoup amusés ce week-end à commenter la récente désignation à la tête du Sénat d’un apparatchik de 91 ans. La rumeur dit qu’il souffre de la maladie d’Alzheimer. Cela promet, car c’est la garantie que l’actuel chef de l’État, qui ne s’est pas encore remis de sa maladie, est susceptible d’être remplacé par plus malade que lui.
Journaliste algérien établi en France