Jusqu’en 2002, la condition posée par l’Iran pour accepter une intervention américaine en Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein a été d’accorder le pouvoir aux chiites qui lui sont loyaux.
La division entre le VEVAK et les Gardiens de la révolution en Irak
Le négociateur iranien était représenté par le Ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale (VEVAK – VEVAC). L’opposition irakienne en Iran était soumise au contrôle du VEVAK, tout comme l’opposition iranienne en Irak était soumise au contrôle du département du Renseignement. Feu l’ayatollah Mohammed Baqir al-Hakim, résidant en Iran, a pris part à la Conférence de l’opposition à Londres en 2002, en sa qualité de président du Conseil suprême islamique en Irak et de l’Organisation Badr, son aile militaire, et a déclaré son soutien à Washington et à ses alliés pour renverser le régime de Saddam. Par la suite, un conflit irano-américain est né au sujet de la nouvelle administration à mettre en place en Irak. L’administration américaine ne voulait pas donner le pouvoir au Conseil suprême islamique. La raison était que Washington pensait que le Conseil et ses forces militaires étaient sous la coupe du VEVAK.
L’administration du Président Bush fils, après la chute de Saddam Hussein, a ainsi été contrainte de tergiverser durant deux ans et demi afin de rechercher une alternative qui puisse satisfaire les deux parties, jusqu’à ce qu’elles s’accordent à remettre l’autorité élue, toute prête, au parti islamique Dawa, en dépit de la suprématie du Conseil suprême islamique irakien qui avait remporté les suffrages lors de la première élection le 30 janvier 2005, avec la liste 555.
Cette période coïncide avec une démarche iranienne parallèle de la Force al-Qods affiliée aux IRGC et dirigée alors par Qassem Soleimani pour mener à bien la mission de défense du projet du VEVAK, voulant faire de l’Irak un point central pour l’équilibre et la négociation entre les Iraniens d’un côté et les Américains et leurs alliés occidentaux de l’autre, considérant l’Irak comme un terrain fertile pour leur influence et en possédant plus de connaissances qu’au sujet de n’importe quelle région.
Depuis, la vision du VEVAK est en contradiction avec celle de son rival, les Gardiens de la révolution, selon laquelle la Chine et la Russie sont les seuls alliés et amis de la République islamique et le rôle de l’Iran étant de surveiller attentivement les mouvements des États-Unis dans la région et de garder les frontières orientales et occidentales de l’Asie.
Pour le VEVAK, la Russie et la Chine sont deux pays idéologiquement et politiquement hostiles à l’Islam et aux principes fondamentaux de la révolution tandis que les IRGC s’obstinent à vouloir consolider ces relations et à protéger l’Asie de l’expansion américaine et européenne par fidélité aux directives du Guide de la révolution, l’Ayatollah Khomeini, et de son successeur l’Ayatollah Ali Khamenei.
Ce dernier avait mis en garde il y a un an contre les plans de ceux qu’il appelle les « chiites anglais » qui auraient trompé de nombreux loyalistes à la République islamique, pointant un doigt accusateur contre les Marajis à Najaf, contre des dirigeants politiques chiites irakiens et ceux qui les soutiennent parmi les Iraniens, c’est à dire des dirigeants au sein du VEVAK ou encore des « réformistes », qui bénéficiaient auparavant de la protection de hauts dirigeants iraniens tels que Hachemi Rafsandjani (ancien président iranien mort en 2017), Ali Hossein Montazeri (haut dignitaire chiite iranien mort en 2009) ou encore Mohammad Khatami, opposants à l’autorité du Velayat-e faqih.
Après 2003, il y a eu une montée en puissance significative du mouvement réformiste détenant le pouvoir sous la direction du président Mohammad Khatami. Période correspondant à une forte baisse de la popularité du mouvement conservateur fondamentaliste fidèle aux Gardiens de la révolution, indicateur s’expliquant par la reprise de l’économie à travers les grandes entreprises iraniennes investissant en Irak – à la suite du plan élaboré par le VEVAK – et par la volonté de renforcer un courant politique chiite fidèle à son autorité.
À partir de là, les Gardiens de la Révolution et son courant politique – opposé à l’origine au renversement du régime de Saddam Hussein par les Américains – ont commencé à s’inquiéter à l’idée de perdre le contrôle de la République islamique.
La Force al-Qods, associée aux Gardiens de la Révolution et dirigée par feu Qassem Soleimani, s’est vue confier la tâche de contrer le projet du VEVAK en Irak et a commencé à soutenir la création de nouveaux groupes chiites opposés à l’autorité de Bagdad perçue comme « chiite – à la solde du VEVAK – américaine ». Ainsi, la mise en place de l’Armée du Mahdi, l’aile militaire du mouvement sadriste dirigé par Moqtada al-Sadr, leur a permis d’en profiter pour changer la donne.
Mais le retrait de Sadr de la poursuite de la guerre pourtant menée deux fois – avec l’aide des Iraniens – à Najaf contre les Américains et contre le gouvernement de Iyad Allaoui, a incité la force al-Qods et les IRGC à établir des groupes spéciaux au sein de l’Armée du Mahdi, conduits par Qais al-Khazali, leader de Asaïb Ahl al-Haq, et par Akram al-Kaabi, le chef de Harakat al-Noujaba aujourd’hui, puis à réactiver les capacités de combat du Hezbollah irakien, qui avait été établi dans les années 90 en Iran, et qui, plus tard, serait amené à faire la guerre en Syrie.
L’activité de la Force Qods ne s’est pas limitée aux chiites, mais a fourni un soutien militaire parallèle au mouvement sunnite lancé depuis Falloujah contre les Américains et dirigé par Harith Al-Dhari. Elle en est même arrivée à soutenir militairement des groupes sunnites qui précédemment s’étaient faits connaître pour leur association avec Al-Qaïda, car l’intérêt commun était de combattre les Américains. Selon des informations de sécurité irakiennes et américaines, à l’époque, les Américains considéraient que les Iraniens s’étaient retournés contre l’accord, ce qui les avait forcés à demander un retour aux consultations avec le VEVAK par l’intermédiaire de Nouri al-Maliki, alors Premier ministre, et du feu Abdel Aziz al-Hakim, leader du Conseil suprême islamique.
Le VEVAK a estimé que les attaques contre les Américains et les intérêts communs par des « groupes spéciaux » ne représentaient pas formellement l’État iranien. Téhéran comme Washington ont alors accepté de les combattre en soutenant le gouvernement al-Maliki. Des affrontements ont eu lieu entre des groupes liés à l’armée du Mahdi et des éléments du parti Dawa, de l’organisation Badr et du Conseil suprême, avec l’incendie de leurs quartiers généraux et l’attaque de leurs maisons. Et il n’y a pas si longtemps, le mois dernier, une station satellite française a publié une interview avec al-Maliki, dans laquelle il disait : « J’ai encerclé ces groupes à Bassora en 2008, les obligeant à fuir en Iran. J’ai informé les Iraniens (il voulait dire aux gardiens de la révolution NDLR ) de les reprendre ». Et il a confirmé dans l’interview que ces factions ne représentent pas formellement l’État iranien.
Après 2010, l’affaire s’est muée en conflit entre le VEVAK et les IRGC, alors que les Gardiens de la révolution faisaient pression sur le gouvernement de Bagdad en entraînant ceux qui fuyaient les batailles avec les Américains entre les frontières irakienne et iranienne. Ils ont ensuite été capables d’attirer de nombreux jeunes du centre et du sud dans leurs camps et ont formé de nombreuses factions avant de les renvoyer en Irak afin de s’impliquer dans le travail d’investissement d’entreprises régionales et internationales – notamment turques, syriennes, chinoises, allemandes et russes – alliées aux Gardiens.
Le discours sur la confrontation américano-iranienne en Irak a pris fin après le retrait de 2011, selon les accords et traités conclus entre le gouvernement de Nouri al-Maliki au cours de son deuxième mandat et avec le consentement du VEVAK.
À la fin de la même année, le VEVAK et les IRGC soutenaient Bachar al-Assad en tant qu’allié stratégique. Les deux parties se sont mises d’accord pour mobiliser toutes les factions armées fidèles irakiennes au sein de la brigade « Abou al-Fadl al-Abbas », ayant pris en charge le sauvetage de Damas de la chute après avoir mené des combats acharnés avec les forces de l’opposition syrienne et le front al-Nosra.
Un nouveau différend a éclaté fin 2012 entre le VEVAK et les Gardiens concernant la Syrie, et cela après les déclarations américaine et européenne concernant leur intention d’intervenir en Syrie. Cela a poussé les services à réviser leurs calculs concernant ce pays, en vue de protéger le front irakien comme ligne de défense principale. Pour leur part, les Gardiens ont refusé de limiter leur présence en Syrie, les aidant à dominer les brigades d’Abou al fadl al-Abbas qu’ils ont pu diviser en plusieurs factions, dont les plus importantes étaient le « Mouvement du Hezbollah », « Al -Nujaba » et « Kataëb Hezbollah ».
Après 2013, le VEVAK a renoncé au dossier irakien, condition posée par les Gardiens de la Révolution pour que les réformateurs, menés par Hassan Rohani, puissent prendre le pouvoir en Iran. Les gardiens ont depuis monopolisé la domination du dossier irakien pour continuer à protéger secrètement le régime de Bachar al-Assad, le Hezbollah au Liban, et le renforcement de toutes ses défenses dans la région, sous prétexte que la menace de l’État islamique atteignait les frontières iraniennes.
Ahmed Hassan, journaliste irakien résident de la MDJ
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