En Iran, la « Révolution Jina » pour combattre toutes les oppressions

Adnan Hassanpour a été emprisonné pendant 10 ans en Iran, de 2007 à 2016. Travaillant pour un hebdomadaire kurde, le journaliste avait été accusé et reconnu coupable d’espionnage et de « propagande séparatiste. » Condamné à mort en 2007, un juge avait converti la peine de mort en 31 ans de prison, qu’Adnan n’achèvera jamais. Il a passé les sept premières années d’incarcération dans la ville kurde de Sanandaj (ou Siné), puis deux ans dans la prison de Marivan, et enfin un an dans la région du Balochistan au Zāhedān.

La région se trouve au sud du pays, dont la capitale régionale est actuellement en pleine révolution.  Ne manquant pas de courage, Adnan Hassanpour a continué de résister dans les multiples prisons qui l’ont accueilli. Considéré comme le « doyen » des journalistes prisonniers en Iran, il a notamment écrit une lettre pour dénoncer les sévices que les Kurdes subissent en prison et dans la vie quotidienne, déclenchant l’ire du gouvernement et du président Hassan Rohani. 

Adnan a alors été envoyé encore plus loin dans le Balochistan, pour le punir et le priver de ses proches. Sa lettre sur les mauvais traitements et le harcèlement subis par les Kurdes avait été transmise aux médias, qui en avaient fait les gros titres pendant plusieurs semaines. 

Toujours recherché à l’heure actuelle, Adnan Hassanpour s’était à nouveau attiré les foudres du régime en 2019 pour s’être exprimé sur trois plateaux télévisés :  BBC Perse, Iran international et Radio Farda. Il y expliquait que de sérieuses manifestations rythmaient le quotidien du pays à l’époque, jusqu’en novembre 2019, où le prix du gaz avait ralenti la bonne tenue des manifestations.

Il avait cité Reuters et avait assuré que le gouvernement avait tué 1.500 personnes dans les rues, lors de ces grandes manifestations qui n’avaient pas été ébruitées sur Internet. Il a fini par se réfugier au Kurdistan irakien avant de rejoindre la France en septembre 2022. Trois amis avaient été accompagnés de la même manière par la Maison des journalistes quelques années plutôt, ce pourquoi il est venu s’y réfugier lorsque le régime iranien l’a poussé à l’exil.

Journaliste kurde iranien, Adnan est hébergé à la MDJ depuis deux mois. Face à la révolution qui fait trembler le pouvoir iranien depuis bientôt trois mois, il nous a accordé un entretien pour revenir sur les origines de ces protestations historiques. 

Plus de 1 500 morts lors des manifestations de 2019

Adnan n’hésite pas à parler de « révolution » et non de « manifestations », jugeant que « ces protestations sont révolutionnaires, ce qui déplaît au gouvernement. » En effet, « les journalistes ont provoqué les manifestations. Deux femmes journalistes perses avaient diffusé la nouvelle de la mort de Masha/Jina Amini au grand public, ce qui leur vaut l’emprisonnement à l’heure actuelle. Si le public a pris la main, ce sont les médias qui ont déclenché les manifestations et ravivé la colère du peuple envers le régime. » 

Les journalistes et autres acteurs des médias restent pleinement engagés, également pour eux-mêmes en portant leurs propres revendications à côté de celles du peuple. Être un journaliste en Iran rapporte peu ou prou, sans compter le niveau de dangerosité : « les journalistes kurdes ne gagnent pas d’argent, ils sont totalement bénévoles. Il n’existe aucun organisme, journal ou média kurde pour les financer. » 

Quant aux journaux perses, leur situation financière est à peine meilleure. « Le journalisme n’est pas un métier valorisé en Iran », martèle Adnan Hassanpour. « Beaucoup de journaux et d’émissions télévisées ont été fermés par le gouvernement à cause des manifestations, et moult journalistes ont perdu leur travail. Pour preuve, la clôture du quotidien Jahan-é Sanat (« le Monde de l’industrie« ) basé à Téhéran le 21 novembre 2022, condamnant 40 journalistes au chômage. »

Ce journal économique critiquait la situation financière du pays et n’a pas échappé à la censure. Les deux Iraniennes qui ont fait éclater l’affaire Mahsa (ou Jima de son prénom kurde) Amini, se prénomment Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi et travaillent à Téhéran. Elles sont aujourd’hui détenues à la prison d’Evine, soupçonnées par le régime d’avoir « des liens étroits avec la CIA. » Elles risquent la peine de mort pour avoir simplement fait leur travail.

Le pire reste à vivre pour les médias et journaux kurdes, qui n’ont aucun moyen de se défendre sans argent. Si une dizaine de médias de cette communauté minoritaire existaient dans le pays avant la mort de Mahsa Amini, ils ne sont plus que deux aujourd’hui, à l’influence très limitée.

Ils diffusent leurs informations sur les réseaux sociaux, de la même manière que la population se partage les vidéos des manifestations. « Des télévisions kurdes sont également installées au Kurdistan et en Europe pour échapper au régime. De plus, deux télévisions perses (BBC perse et Iran International), opposantes au régime, publient des informations sur les manifestations et les kurdes. Les médias kurdes ne survivent que sur les réseaux ou loin de Téhéran, loin de la prison. Les vidéos sont tournées et partagées par les citoyens et alimentent directement les manifestations. » 

L’empreinte indélébile des Kurdes 

Mais qui dirige ou motive les protestations ? Adnan Hassanpour est catégorique, « toute révolution en Iran débute avec les Kurdes et se diffuse ensuite à l’échelle nationale. »  Pour preuve, le slogan des mobilisations actuelles « Femmes Vie Liberté », initié par la communauté kurde. « Ce slogan est issu des combattantes kurdes en Syrie contre Daesh, et a aujourd’hui été réapproprié par toute la Nation – surtout les jeunes – qu’on soit Kurde ou Perse », explique Adnan.

Si les deux journalistes ayant exposé l’affaire de la mort de Masha Amini sont Iraniennes, ce sont bien les femmes Kurdes qui ont battu le pavé les premières. Elles ont par la suite entraîné toute la population et inquiètent aujourd’hui le régime. « Toutes ces manifestations prouvent le courage du peuple. Malgré la loi islamique, les femmes ne portent plus le voile et la population chante « mort au dictateur », signe du trop-plein d’un peuple exténué.

Photo de Craig Melville

Le gouvernement ne presse plus autant les Iraniennes à porter leur voile aujourd’hui, l’on peut dire qu’il a été surpris de la colère du peuple. « Les Iraniens sont descendus par milliers dans la rue et ce chiffre n’est pas à prendre avec légèreté. » Adnan conserve une part franche d’optimisme en lui, assuré que « les manifestations d’aujourd’hui sont plus importantes que celles d’hier ou d’il y a quatre ans. » 

Pour preuve, l’abolition de la police des mœurs ce dimanche 4 décembre. Elle avait été mise en place en 2006 pour faire respecter les codes vestimentaires du pays et s’en prenait aux femmes qui ne cachaient pas assez leurs cheveux à ses yeux. Ordonnée par le procureur général du pays, Adnan reste sceptique quant à l’application réelle de l’abolition. « Malheureusement, les informations publiées sur l’abolition de la police morale ne sont pas encore très fiables, car différents responsables iraniens ont fait des déclarations contradictoires à ce sujet », a-t-il déploré. « Nous pensons qu’ils veulent apaiser la société afin d’empêcher la poursuite des protestations. À mon avis, même si la police de la morale disparaît, les manifestations vont non seulement augmenter mais aussi s’étendre, car les gens seront sûrs qu’ils ont la capacité de faire reculer le gouvernement. Ce que les gens crient dans les rues, c’est la destruction du régime et, apparemment, ils ne veulent pas se contenter de réformes limitées. Pour moi, les réformes possibles ne seront prises au sérieux par le peuple que si elles incluent clairement la révision de la Constitution et la suppression du poste de Guide suprême (Khamenei). »

Fait intéressant, dénote Adnan après réflexion, la nature-même de ces nouvelles émeutes. Si la population avait auparavant pour but « la destruction du gouvernement », elle a aujourd’hui placé « l’axe féminin au centre de ses revendications. Elle cherche à détruire toute forme de retard traditionnel et conservateurs anti-femmes, anti-liberté et contre la justice et la rhétorique. Désormais, le people est contre toute forme de répression et discrimination. C’est cela, la révolution Jina. »

Une révolution qui attend encore le reste du monde

Il conserve par ailleurs de bonnes relations avec des journalistes et écrivains sur place mais depuis le début des heurts, d’importants problèmes d’électricité et d’Internet les empêchent de communiquer. Les premières coupures ont été remarquées à l’aube de la révolution, pour tenter en vain de la tuer dans l’œuf. Depuis, Adnan ne peut plus recevoir de vidéos de ses confrères et consœurs et ces derniers luttent pour les diffuser quand ils le peuvent. 

Grâce à l’Organisation Kurde des Droits de l’Homme (Kurdistan Human Right Network) en place depuis des années en Iran, la liste d’écrivains et journalistes iraniens arrêtés, disparus ou morts continue d’être régulièrement mise à jour. Certains intellectuels ont été menacés d’une condamnation à mort pour avoir aidé les manifestants. Cette organisation a également travaillé en partenariat avec la Maison des Journalistes il y a de cela neuf ans, afin d’accueillir des journalistes iraniens et kurdes. 

Mais que peut-on faire en tant que simples citoyens occidentaux ? « Il faudrait que les gouvernements arrêtent les relations politiques avec le régime iranien et apportent un soutien démocratique à la population. »

« Mais en tant que simple citoyen, vous pouvez toujours porter notre voix dans les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui constitue un soutien très conséquent pour nous, il s’agit en grande partie de sensibilisation de la communauté internationale. Les civils peuvent aussi faire pression sur leur propre gouvernement pour qu’il mette un terme aux relations politiques avec l’Iran et pousser le pays à écouter son peuple. »

Maud Baheng Daizey 

Articles recommandés