Yurii est un jeune journaliste de 26 ans, qui a grandi en Sibérie et s’est consacré au journalisme d’investigation en Russie depuis quelques années. Il a commencé dans un journal de la ville Yekaterinburg (Sibérie occidentale) en 2016, s’intéressant en premier lieu aux affaires de prisonniers politiques de Russie, issus de différents domaines : journalistes, critiques du pouvoir ou simples citoyens, Yurii avait à cœur à médiatiser leurs situations.
Malgré son jeune âge et l’absence de diplôme de journalisme, il a très rapidement appris les ficelles du métier et s’est concentré sur ses enquêtes politiques. Yurii a toujours voulu parler et dévoiler les persécutions politiques que les Russes subissent. Selon lui, « il faut bien quelqu’un pour en parler » et ce, malgré une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Aujourd’hui hébergé à la Maison des journalistes, il se confie sur la censure russe et son parcours.
Enquêter pour la justice
Après Yekaterinburg, Moscou : le jeune homme est devenu journaliste pour le Grani.ru en fin 2016, un site d’informations généralistes en ligne depuis 2000. Fruit d’une collaboration franco-russe, le site auparavant basé à Moscou a été interdit sur le sol russe en 2012 mais continue de fonctionner et de produire des articles indépendants depuis l’étranger.
Yurii écrivait alors quotidiennement pour Grani.ru sur des scandales ou affaires politiques russes, biélorusses et ukrainiennes. S’il n’est pas très bavard, il explique qu’il n’avait point peur des répercussions fédérales malgré le danger. « Je voulais parler de notre vie de tous les jours et si possible, la changer et obtenir plus de justice dans notre pays. »
La censure ne lui faisait pas peur car il s’était armé contre elle. « Le système de censure en Russie est assez complexe, mais je le contournais facilement en ligne… » admet Yurii avec un petit sourire. « Mais en règle générale, les sites d’informations peuvent être rapidement bloqués par une simple décision d’un juge ou d’un procureur s’ils parlent des manifestations. Quant aux réseaux sociaux, ils sont totalement contrôlés par le gouvernement. »
Des exercices militaires russes pour préparer la guerre en Ukraine
Des techniques subsistent pour contrer le Kremlin. « Avec un bon VPN, vous pouvez plus aisément passer les mailles du filet. Il y avait toujours des personnes concernées par la guerre en Ukraine ou nos propres problèmes de société en Russie pour venir me parler. Je me souviens par exemple de la femme d’un prisonnier politique qui m’avait fourni un nombre conséquent d’informations sur les conditions de détention dans la prison de son mari, afin que cela soit rendu public. » Aujourd’hui hélas, Yurii n’a plus « aucun contact » avec ses collègues, pour des raisons qu’il ne tient pas à détailler.
La vie de Yurii bascule la même année, alors qu’il n’était âgé que de 20 ans. La guerre de Crimée avait débuté en 2014 et continuait de faire rage deux ans plus tard, un sujet particulièrement sensible pour le jeune journaliste. L’une de ses connaissances le contacte alors depuis la région de Pskov, lui écrivant qu’il avait observé des hommes de l’armée russe se soumettre à des exercices militaires.
Situé aux frontières de la Lettonie, l’Estonie et la Biélorussie, Pskov est un oblast russe à l’extrême-est du pays. Son contact s’interroge sur la cause des exercices dans la région, pensant que les soldats se rendraient par la suite en Ukraine.
Yurii a alors flairé la bonne information et ne perd pas une seconde pour enquêter. Après la publication de son enquête, un membre du Kremlin l’a contacté pour le menacer. Il a ensuite divulgué les informations personnelles de Yurii sur Internet, l’accusant d’avoir colporté et diffusé des fausses informations sur l’armée russe. S’ensuivit une campagne de harcèlement contre sa personne, comprenant agressions physiques, menaces de mort et d’emprisonnement. Yurii était victime de doxxing, des cyberattaques ayant pour but d’exposer vos données les plus vulnérables, l’empêchant de se réfugier chez lui après la fuite de son adresse.
Un procès expéditif et des menaces de mort
Le jeune homme comprend alors que sa vie est en danger et décide de fuir la Russie la même année, pour se réfugier en Ukraine. Passer la frontière n’a pas présenté de difficultés majeures, ne faisant pas encore l’objet d’un mandat d’arrêt.
Le jeune journaliste précise à plusieurs reprises qu’il demeure un citoyen engagé qui a à cœur de dévoiler la vérité. Il a passé deux ans dans la capitale ukrainienne en poursuivant ses investigations et en demandant l’asile à Kiev. Mais en 2018, après avoir participé à une manifestation contre la guerre, une enquête a été ouverte par le Kremlin.
Un procès s’est tenu par contumace dans la capitale russe, toujours pour divulgation de fausses informations. Sa demande d’asile a été rejetée par Kiev à la même période, sans qu’il n’obtienne la moindre justification. Il lui était désormais impossible de retourner en Russie après avoir été reconnu coupable à son procès, un mandat d’arrêt étant dorénavant actif à son encontre.
La Géorgie ne lui a pas accordé l’asile non plus et Yurii s’est alors tourné vers la France. « La France est un pays démocratique où la liberté de la presse est très forte, je me suis dit que votre pays pourrait m’aider. Je ne savais plus vers qui me tourner », explique-t-il d’un ton impassible.
Yurii compte bien continuer son travail de journaliste en France, mais n’est pas fermé à l’idée d’apprendre un nouveau métier. La Maison des journalistes représente pour lui une halte salvatrice, le temps de reprendre pied et de se protéger de la répression russe.
Maud Baheng Daizey