Depuis 2014, le pays nordique est l’une des cibles privilégiées des campagnes de désinformation massives russes, dans le cadre de l’invasion de la Crimée. Des campagnes de désinformation qui s’accompagnent d’actions concrètes sur le terrain, complexifiant d’autant plus la lutte. Mais comment la Finlande combat-elle ces nouvelles menaces ?
Si les bombes pleuvent sur Kiev, leurs retombées atteignent jusqu’à Helsinki. Depuis 1970 et du fait de sa délicate position géographique, la Finlande se démène pour contrer l’influence russe. Très vite, le pays a réalisé qu’il fallait armer sa population des bons outils pour déjouer les opérations de désinformation, notamment à l’école.
Pionnière dans le domaine, The Finnish Newspaper Association accompagne les professeurs depuis plus de 50 ans dans l’éducation aux médias (EMI). « Nous organisons plusieurs campagnes nationales chaque année (notamment la Semaine de l’information, une collaboration entre les écoles et les journaux, au début de l’année, et une campagne pour la Journée internationale de l’alphabétisation au début du semestre d’automne) et menons des recherches sur l’utilisation quotidienne des médias par les jeunes. »
Ils sont également pourvoyeurs de matériel pour les professeurs, comprenant des manuels d’analyse de l’actualité climatique, des jeux de société ludiques, des conseils de formation ou encore des cartes thématiques. Leurs programmes et financements ont rencontré un tel succès qu’ils ont étendu leurs compétences aux tranches les plus âgées de la société.
Des programmes adaptés aux enfants comme aux plus grands
Susanna Ahonen, chargée de projets dans l’association, nous détaille que « la guerre en Ukraine nous a beaucoup impacté. En janvier 2022, mon équipe et moi-même travaillions sur une intelligence artificielle, et avons créé une série de podcasts sur la manière dont les IA impactent le travail des journalistes. Nous étions censés approfondir le sujet mais nous avons dû laisser tomber notre projet le 24 février 2022, jour de l’invasion de l’Ukraine. Nous nous sommes focalisés sur les campagnes de désinformation, et avons promu le journalisme pour en faire la matière principale de l’EMI. »
« Nous n’avons pas vraiment de programmes pour les Finnois adultes, notre objectif principal visant les enfants et les adolescents », a-t-elle ajouté au micro de la MDJ. « Nous offrons cependant des guides et du matériel d’EMI aux étrangers vivant en Finlande, et nous collaborons avec les professeurs de finnois pour apprendre la langue aux expatriés. Dans les écoles, nous travaillons avec les enseignants d’histoire et de finnois pour l’EMI. »
Pour contrer les attaques, le « pays du Soleil de minuit » se concentre sur les collèges et lycées, où les élèves apprennent à vérifier des informations durant des ateliers. Les parents peuvent parfois y être conviés. Les jeunes Finlandais découvrent durant ces heures dédiées à quel point il peut être aisé de manipuler une photo ou une info, afin qu’ils puissent prendre du recul et analyser d’eux-mêmes le contenu en ligne.
L’éducation aux médias sans restriction d’âge
Les professeurs finlandais sont également encouragés à discuter pendant les heures de cours avec leurs élèves si ces derniers ont des questions au sujet de telle information ou rumeur. Ils n’hésitent pas à échanger avec des élèves de maternelle pour mieux les préparer à faire la différence entre info et intox. Une éducation complète incluant aussi une formation sur les statistiques et leur manipulation. Très vite, les écoliers apprennent à se fier aux chiffres plutôt qu’aux beaux discours.
Toutes les couches civiles de la société sont impliquées : parents, professeurs, ONG européennes, n’ont de cesse de proposer des activités. Mieux, la “formation continue” se poursuit au-delà de l’école : « l’éducation aux médias fait partie des activités des bibliothèques, de plusieurs ONG, des organisations de médias et du secteur privé. Beaucoup d’activités liées à l’éducation au cinéma, aux jeux et à l’art sont également réalisées » dans le cadre de cette formation, explique l’ONG The Finnish Society sur son site.
Hybrid CoE, fer de lance de la lutte contre les menaces hybrides
Créé en 2017, le Centre européen d’excellence pour la lutte contre les cyber-attaques est un des points centraux du combat européen. Hybrid CoE a par ailleurs son siège dans la capitale finnoise Helsinki, où le projet a vu le jour il y a plusieurs années. Depuis 2017, l’institution s’est développée au point d’accueillir désormais 33 pays de l’OTAN et de l’Union européenne, dont la France.
Tous s’y retrouvent pour mettre en place et échanger des méthodes d’apprentissage et des techniques contre les attaques hybrides, telles les cyber-attaques et campagnes de désinformation. Ces méthodes peuvent être utilisées autant par les citoyens que par les agents des Etats-membres. Leur ennemi ? Les attaques hybrides : elles peuvent être à la fois militaires et civiles (joindre une attaque physique avec une campagne massive de désinformation par exemple). En 2023, l’un des objectifs du Centre cible les faiblesses des pays occidentaux face à cette menace.
Markus Kokko, chef du service Communication d’Hybrid CoE, explique que si les pays participant à l’initiative sont tous affiliés à l’UE ou à l’OTAN, Hybrid CoE n’a « aucune connexion officielle avec ces deux organisations. Nos activités couvrent de nombreux domaines, comme par exemple la protection du processus démocratique de nos pays participants. Notre rôle n’est pas celui d’un acteur opérationnel, nous fournissons seulement des conseils et analyses sur les meilleures pratiques à adopter contre les menaces hybrides. »
Se prémunir d’une déstabilisation extérieure lors d’élections, ou encore savoir faire face à une campagne de désinformation massive, font partie des exercices d’entraînement d’Hybrid CoE. Grâce à ses conseils, nouveaux concepts et outils mis à la disposition des gouvernances, l’institution permet à ces dernières « de renforcer leur législation ainsi que leur administration pour être plus résilientes », précise Markus Kokko pour l’œil de la MDJ.
En somme, « notre mission est de conseiller et renforcer les capacités de défense des pays membres et ce dans plusieurs domaines. La Chine et la Russie tentent de faire du mal aux démocraties tout en échappant aux définitions rigides, et leur développement est en permanente évolution. Elles ne sont pas classifiables, leur phénomène est continu. » Hybrid CoE ne se cantonne pas à la théorie et aux conseils mais organise des exercices d’entraînement, en présence de l’Union européenne et l’OTAN.
Il rappelle que « les opérations des menaces hybrides exercées par les Russes en Ukraine ne sont pas récentes, car cela fait plus de dix ans que le Kremlin tente de gagner en influence en Ukraine. La guerre à grande échelle en Ukraine que nous vivons aujourd’hui est la première où de nouveaux éléments de guerre, tels que les cyber-opérations et les opérations d’information, jouent un rôle de premier plan et visible. »
Une réponse française encore balbutiante
En six ans, quelles leçons la France a-t-elle tiré du savoir de l’Hybrid CoE ? Très peu pour le moment. Selon un rapport de l’Hybrid datant de juillet 2021, la France a bel et bien mis en place l’agence nationale Viginum, sous les recommandations de l’institut. Ayant pour objectif la vigilance et la protection contre les ingérences numériques étrangères, Viginum détient quelques actions à son actif. L’agence est composée d’une quarantaine d’agents « spécialistes en investigation et analyse numériques, en marketing digital, en sciences de la donnée, en sciences politiques et géopolitique » avec pour missions de « protéger le débat public numérique et sécuriser les rendez-vous électoraux ». Lors de l’élection présidentielle de 2022, Viginum assure avoir stoppé 5 ingérences numériques étrangères, comprenant des campagnes de désinformation portant atteinte à la crédibilité des scrutins. Depuis, silence radio sur ses actions. Sollicité par notre journal, Viginum ne nous a jamais répondu.
Maud Baheng Daizey