Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance.
En Europe comme en France, acteurs de la presse et politiciens se réunissent et tentent de redonner « le goût de l’information » au public.
Dernière rencontre en date, les Assises du journalisme à Tours du 27 mars au 1er avril, où journalistes et représentants de la Commission européenne ont pu faire part de leur avancée dans le domaine.
Six jours de réflexion et de partage entre les journalistes, associations d’éducation aux médias et citoyens, cette 16ème édition s’est consacrée à la préservation de l’indépendance des médias et la protection des journalistes.
Media Freedom Act, texte européen « novateur »
Aux Assises de Tours, la porte-parole de la Commission européenne en France Adina Revol, s’est attardée sur ce nouveau règlement. Elle a vanté un « texte novateur » dans la lutte contre la désinformation et la protection des médias.
À l’heure de la concentration des médias et des menaces envers les journalistes sont de plus en plus nombreuses, comment l’Europe compte-t-elle préserver l’indépendance de sa presse ?
Le 16 septembre 2022, la Commission européenne esquisse une réponse et adopte le « Media Freedom Act (MFA) » pour protéger le pluralisme sur le continent. Sans détour, la porte-parole a assuré que le MFA « faisait partie du plan d’action pour la démocratie européenne » initié en 2020.
Des dispositions ont donc été mises en place afin de lutter contre les ingérences politiques et de garantir un « financement stable » des médias publics.
La transparence des rédactions est également mise à l’honneur, grâce à une série de mesures « visant à protéger l’indépendance des rédacteurs et à divulguer les conflits d’intérêts. »
Les Etats-membres ont désormais l’obligation de prévoir des fonds pour les médias publics, s’exposant autrement à des sanctions.
La porte-parole en a profité pour informer le public des récentes propositions faites par la Commission européenne pour lutter contre les logiciels-espions, qui une fois consolidées et acceptées, feront partie intégrante du règlement.
Des avancées européennes positivement accueillies, mais encore fragiles selon Cécile Dubois, co-présidente du Syndicat de la Presse Indépendante d’Informations en Ligne.
Elle a tenu à saluer un règlement européen particulièrement attendu, protégeant d’autant plus la presse « des régimes libéraux ».
Elle a également félicité la Commission d’avoir inscrit dans son règlement les droits fondamentaux des éditeurs et journalistes, une première dans le droit européen mais qui devront s’accompagner de mesures plus impactantes.
Rien dans le texte ne protège les journalistes et lanceurs d’alerte des menaces civiles et privées, qui conduisent parfois à leur mort pour tuer leurs investigations.
De nombreux ateliers, débats publics, diffusions de documentaires et expositions ont ponctué ces journées d’information. Participante active des Assises, la Maison des Journalistes a eu le plaisir de se joindre le 30 mars à une rencontre avec les élèves du club journal du lycée Jean Monnet de Joué, à Tours. L’occasion pour évoquer l’essence et les travaux fournis par l’œil de la MDJ, autrefois l’œil de l’exilé, et plateforme dédiée aux journalistes du monde entier. Albéric de Gouville, président de la MDJ, Alhussein Sano, journaliste guinéen réfugié et Samad Ait Aicha, journaliste marocain, étaient présents pour répondre aux questions des étudiants. Ils ont tous deux parlé de leur vie et de leur travail au Maroc et en Guinée Conakry, n’omettant pas les poursuites judiciaires et les menaces qu’ils ont subi. Touchés, les élèves ont longuement applaudi les deux journalistes après une série de questions. |
Des assassinats de plus en plus nombreux
En 2022, 86 journalistes ont été tués, soit un tous les quatre jours et la moitié en-dehors de leur vie professionnelle. Pourtant, tous ont perdu la vie pour avoir couvert un sujet sensible.
Un reflet bien triste de l’état de l’indépendance de la presse dans le monde, menacée de toutes parts. Mais alors, comment protéger les professionnels des médias et leur travail ?
Les Assises ont donné la parole à Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories, et sa journaliste Cécile Andrzejewski pour détailler les missions de Forbidden, un consortium constitué de journalistes du monde entier.
L’objectif ? Terminer les enquêtes des journalistes massacrés, afin que leur travail ne disparaisse pas en même temps qu’eux. Ils ont dévoilé de grands scandales tels que l’affaire Pegasus en 2021 et Story Killers en 2022. L’affaire avait exposé des entreprises d’influence perturbant les périodes électorales de multiples pays.
Le projet a été initié en 2017, suite à la mort de la journaliste maltaise Daphné Caruana, assassinée la même année. Journaliste d’investigation, Daphné Caruana enquêtait sur une affaire de corruption avant que l’on ne piège sa voiture avec une bombe.
« Je voulais rendre les tueries de journalistes contre-productives »
Sa mort avait suscité l’émotion et l’indignation internationale, poussant les journalistes à se rassembler et collaborer avec des ONG et associations. En six ans, de nombreuses enquêtes ont permis de dévoiler des secrets étatiques et internationaux.
Selon Laurent Richard, « les journalistes sont toujours tués à cause de sujets sociétaux majeurs : corruption, environnement ou encore abus de pouvoir », sujets trop importants pour s’éteindre avec leur auteur.
Grâce à sa « safebox network », un coffre-fort numérique, les journalistes d’investigation peuvent désormais télécharger et stocker leurs données d’enquête n’importe où dans le monde. Une fois déposées dans le coffre, elles ne deviennent accessibles qu’aux journalistes du consortium.
De cette façon, les menaces et pressions que subissent les journalistes finissent par être inutiles. À travers Forbidden Stories, Laurent Richard tenait à « rendre les tueries de journalistes contre-productive en enquêtant après le disparu. »
Il a toutefois assuré que Forbidden « n’est pas une assurance-vie, nous n’offrons pas de protection physique » aux journalistes lanceurs d’alerte.
Mais comment s’assurer que la « safebox network » ne sera pas compromise ou victime d’une cyberattaque ? Pour la MDJ, Laurent Richard a détaillé que le système « était sécurisé par SecureDrop (plateforme développée par les équipes d’Edward Snowden), et n’est accessible qu’en passant par Tor. »
Ils sont également conseillés par des experts en cybersécurité. « Avec l’affaire Pegasus, nous sommes entraînés » à ce genre de problématique. « Nos journalistes sont déjà menacés, alors nous travaillons avec les solutions les plus sûres aujourd’hui. »
Une façon efficace et durable de préserver la liberté et l’indépendance de la presse à travers le monde.
Problématique de plus en plus alarmante à laquelle la Commission européenne tente aujourd’hui de répondre avec le règlement « Media Freedom Act », contenant des dispositions prometteuses. D’autres mesures (telle l’éducation aux médias) demeurent néanmoins incontournables pour relever ce défi.
Maud Baheng Daizey