Depuis la tentative de coup d’État ratée contre Recep Tayyip Erdogan en juillet 2016, les journalistes sont muselés, bâillonnés en Turquie. Ce dimanche 14 mai 2023 se déroulaient les élections présidentielles turques, opposant principalement le président actuel Recep Tayyip Erdogan à Kemal Kiliçdaroglu. Erdogan est en tête, mais un second tour se profile. Depuis 20 ans, c’est la première fois qu’un candidat de l’opposition a de sérieuses chances de remporter les élections face au président Erdogan, arrivé au pouvoir en 2003. Mais les médias sont utilisés à des fins de propagande pour qu’Erdogan conserve son titre.
Par Andréa Petitjean
La liberté de la presse s’est considérablement dégradée en Turquie ces dernières années. Si elle est un pays signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, la Turquie est le quatrième pays qui emprisonne le plus de journalistes au monde. La Turquie occupe la 165è place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières (RSF).
Entre expulsions, poursuites judiciaires, enquêtes pénales, manœuvres d’intimidation et de harcèlement, ou encore suppressions de cartes de presse, les journalistes doivent redoubler de prudence. Depuis l’élection du président Recep Tayyip Erdogan en 2014, 200 journalistes ont été jugés pour offense au chef de l’Etat et 73 ont été condamnés. 90 % des médias sont sous le contrôle du gouvernement. 16 chaînes de télévision ont été supprimées du satellite Türksat. 180 organes de presse ont fermé. Plus de 120 journalistes sont maintenus en détention. En Turquie, le président Erdogan utilise Internet comme outil de censure et de propagande.
Une campagne présidentielle marquée par la propagande
Ce 14 mai 2023 ont eu lieu les élections présidentielles et législatives turques. Alors que 90% des bulletins avaient été dépouillés dimanche soir, le chef de l’Etat recueillait 49,86% des voix contre 44,38% pour Kemal Kiliçdaroglu. La Turquie se dirige donc vers un second tour. Mais cette campagne présidentielle aura été marquée par la propagande mise en place par le gouvernement d’Erdogan, qui n’a cessé de stigmatiser et criminaliser l’alliance d’opposition.
Ceux qui ne votent pas pour lui sont soupçonnés d’appartenir à des groupes putschistes ou terroristes. La télévision publique s’est transformée en véritable organe de propagande au service du gouvernement. Erdogan a 60 fois plus de temps de parole sur la télévision publique que son rival. D’ailleurs, les chaînes publiques avaient refusé de diffuser le premier spot de campagne de Kemal Kiliçdaroglu, contraint de s’adresser quotidiennement au peuple à travers des vidéos publiées sur son compte Twitter.
Les médias et les journalistes, premières cibles du gouvernement d’Erdogan
En février 2020, l’affaire de la journaliste, militante et écrivaine turque Asli Erdogan avait fait grand bruit sur la scène internationale. Elle avait déjà été accusée d’appartenir à un groupe terroriste en 2016, année au cours de laquelle elle avait passé cent trente-six jours en prison. En 2020, les autorités turques l’avaient de nouveau accusée de propagande pro-kurde, d’« appartenance à un groupe terroriste », et de mettre en péril la stabilité du pays suite à sa collaboration avec un journal prokurde, risquant jusqu’à 9 ans de prison. Son procès avait repris après trois ans de suspension et de reports, avant que la journaliste ne soit finalement acquittée, une fois encore.
En août 2021, plusieurs chaînes de télévision avait été condamnées par le Conseil supérieur de la radio-télévision de Turquie (RTUK), dont la chaîne Fox TV (l’un des principaux réseaux de télévision en clair diffusant en Turquie). La chaîne a été sanctionnée après que l’un de ses journalistes ai qualifié de « cauchemar » les violents incendies qui ont récemment ravagé 35 provinces du pays.
En février 2023, à la suite du séisme meurtrier qui a frappé la Turquie, faisant plus de 50 000 morts, l’Etat d’urgence avait été déclaré, imposant de nouvelles restrictions à la presse. Plusieurs journalistes avaient été interpellés à la suite d’articles critiquant la gestion du désastre. Guillaume Perrier, journaliste du « Point » envoyé en Turquie pour couvrir le séisme, a été expulsé du sol turc après son arrestation a l’aéroport d’Istanbul.
Les chaînes Halk TV, Tele 1 et Fox TV ont été condamnées à des amendes et à des suspensions pendant cinq jours de de leurs programmes quotidiens suite à leurs commentaires sur le manque de réaction du gouvernement dans la gestion des dégâts provoqués par le séisme.
Le réseau social Twitter avait quant à lui été suspendu pendant quelques jours afin de limiter les critiques négatives à l’encontre du gouvernement.
En octobre 2022, nouveau coup de grâce pour la liberté de la presse en Turquie. Le président Erdogan a fait voter une loi qui condamne jusqu’à trois ans de prison toute personne diffusant des informations « trompeuses » et portant atteinte à « l’unité de l’Etat », ou « divulguant des secrets d’Etat ». L’article 15 prévoit l’annulation de la carte de presse pour les journalistes qui agiront « contre les règles morales de la presse ». La loi exige également la levée de l’anonymat d’un internaute en cas de poursuites. Les fournisseurs d’accès à Internet ou les plates-formes sociales seront sanctionnés s’ils refusent de livrer à la justice le nom de leurs utilisateurs.
RSF a adressé 15 recommandations aux candidats aux élections turques, visant à protéger le droit à l’information, la liberté de la presse et prévenir les abus relatifs aux arrestations et emprisonnements de journalistes.
Dans un communiqué, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a quant à lui exigé la libération immédiate de tous les journalistes emprisonnés en Turquie et la fin des poursuites contre les journalistes couvrant les questions kurdes.