Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France
Le sens du mot « démocratie » est galvaudé, en RD Congo. Et à qui mieux mieux. Tiré dans tous les côtés, selon les intérêts des uns et des autres. Un jour, on a entendu Mobutu dire, très sérieux : « Moi aussi, je suis un démocrate ». Alors que sa dictature était au zénith : tout ayant été mis sous le contrôle du MPR, parti unique.
Le président Tshisekedi vient de lui emboîter le pas, le 25 juin, dans la province du Kasaï-Oriental, son fief. Il y était invité pour participer à la célébration du jubilé d’argent de l’évêque de Mbuji-Mayi, chef-lieu de cette province. Il en a profité pour répondre à la critique de la Conférence épiscopale nationale du Congo « CENCO », formulée sur la situation générale chaotique du pays. Dans sa défense, et après avoir déversé sa bile sur l’Eglise catholique, le chef de l’Etat a conclu, pince-sans-rire : « Démocrate, je suis, démocrate, je resterai… ».
Dans quel sens le fut Mobutu, dans quel sens l’est le dirigeant actuel de la RD Congo ? On ne peut pas se proclamer démocrate dans la tricherie, la corruption, le vol, le mensonge, la répression du peuple pour ses droits, etc. Au-delà de son sens classique, la démocratie est une vertu, entourée d’une constellation de qualités. Quand on y échappe, on est tout simplement « dictateur ».
Quid ? A l’issue de sa 60e Assemblée plénière ordinaire, le 23 juin, à Lubumbashi, province du Haut-Katanga, la CENCO dresse un sévère réquisitoire du régime en place. Dans son rapport, elle épingle la mauvaise gouvernance, sur fond de tribalisme béat ; les comportements dictatoriaux, dont les arrestations arbitraires, l’instrumentalisation de la justice et autres méfaits ; l’insécurité récurrente dans l’est du pays, dont une partie est occupée militairement ; la misère extrême du peuple ; le climat tendu, etc. Ajoutons qu’au plan économique, les choses vont également mal, quand la monnaie se déprécie de 1,1 %, en moyenne hebdomadaire, depuis le début de cette année.
Un langage de guerre
En conclusion, l’Eglise catholique, par le biais de la CENCO, appelle à la responsabilité de tout le monde. Au régime en place, de faire en sorte que les élections prévues, en décembre prochain, soient crédibles et au peuple de « se réveiller de son sommeil », afin de ne plus se laisser berner par ses fossoyeurs.
Pour le régime, c’est une provocation gratuite, puisque l’Eglise a quitté l’Evangile, son rôle, pour se mêler de la politique. Et le président de la République de se rependre en invective. Il voit, de prime abord, dans la démarche de cette institution « une grave dérive, qui risquerait de diviser le pays ». Puis, se posant en garant de la République, il avertit : « Je ne reculerai pas devant les menaces, les intimidations de tout genre ; je m’attaquerai sans hésitations, sans remords, à tout ce qui mettrait en danger la stabilité de notre pays ».
C’est un langage de guerre, et l’allusion clairement faite à l’égard de l’Eglise catholique. Personne n’est assez dupe pour ne pas le comprendre.
Rien d’étonnant. De Mobutu à Kabila fils, en passant par Kabila père, l’Eglise romaine au Congo a toujours été accusée d’immixtion dans les affaires de l’Etat. En réalité, sa faute a été et reste celle de vouloir rappeler aux dirigeants politiques les vertus de la démocratie. Pour le bonheur du peuple et le progrès du pays. En fait, « l’Eglise est société », comme les Cathos aiment le dire. Dans les Actes des Apôtres, l’évangéliste Luc le souligne, en indiquant à Théophile, un disciple, que le premier geste de Jésus était social. Il le dit en ces termes : « Théophile, j’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé à ‘faire’ et à enseigner, dès le commencement ». (Act. 1 -1).
« Faire avant d’enseigner ». Il est donc du devoir de l’Eglise de faire, autrement dit, de se mêler de la politique, quand celle-ci se fourvoie, au mépris absolu des intérêts du peuple, de la société. Quand on remonte l’histoire, on constate que le haro de l’Eglise romaine au Congo, en direction des gouvernants irresponsables est une constance. Conduisant, parfois, à un bras de fer sanglant : des chrétiens contestataires, sont impitoyablement tués, par les forces de sécurité. Mobutu et Kabila l’ont fait, ils n’ont pas vaincu. Et le « vae victus », le chant latin à la fois de victoire et de moquerie, c’est au peuple qu’il revient.
Caractéristiques des dictateurs
Or, c’est comme si cette leçon de l’Histoire n’a pas été comprise, puisque la mise en garde « indirecte » du chef de l’Etat à l’égard de l’Eglise n’annonce pas moins l’éventualité d’une nouvelle confrontation. Le ciel gris, empreint de mensonges et de toutes sortes de prétentions, couvre ces jours-ci la RD Congo. Il ne diffère pas de celui qui fut à l’origine des orages du temps de Mobutu et de Kabila. De ces prétentions, Tshisekedi s’en est appropriée une que nous entendons sortir souvent de la bouche de tous les dictateurs : « Je n’ai aucune leçon à recevoir, en matière de démocratie ».
Propos frasque, contredisant le célèbre « Ce que je sais, c’est que je ne sais rien », de Socrate, ne manque pas d’étonner. En cela, Tshisekedi s’oppose également à Kant, cet autre grand philosophe, sur le principe de « hétéronomie ». Celle-ci est l’ensemble des lois ou règles bénéfiques que nous recevons de l’extérieur, d’autrui, face aux désirs illimités de l’homme. C’est le contraire de « l’autonomie », qui, elle, laisse tout faire. La Grèce antique a aussi exploité ce thème, à travers le « complexe de Thétis ».
Dans notre contexte, ce propos est intéressant. En effet, il nous renseigne quand une personne est persuadée d’être suffisamment érudite, pour se passer des leçons d’autrui, il y a lieu de douter de ce qu’elle connaît réellement. C’est d’ailleurs là l’une des caractéristiques des dictateurs avérés. Ils pensent avoir raison en tout.
Vu ce qui précède, le bras de fer entre le président Tshisekedi et l’Eglise catholique est inévitable. L’un est déterminé à garder le pouvoir, à travers un deuxième mandat, à tout prix, tandis que l’autre (Eglise), en sentinelle, veuille au grain. En plus de pointer que le processus électoral est « mal engagé », elle a appelé le peuple à ouvrir l’œil… et le bon. Et le peuple connaît la voix du berger…
S’il y a bagarre, l’enjeu, comme on le voit bien, c’est la « démocratie ». Et, d’ores et déjà, on peut se prononcer sur le statut des belligérants. Qui est démocrate et qui ne l’est pas !