Par Jean- Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France
« De père et de mère » est une expression forgée par le génie moqueur du peuple congolais. Elle est à l’origine d’une proposition de loi visant à exclure de la présidentielle toute personne dont un des parents n’est pas Congolais. Autrement dit, il faut être Congolais « de père et de mère » pour pouvoir prétendre à ce droit.
Si elle était adoptée par le parlement, cette loi aurait eu le don de barrer la route aux hautes fonctions (président de la République, par exemple) à quelques candidats se trouvant dans cette situation. Son ombre, en dépit de tout, ne continue pas moins de roder autour des institutions judiciaires.
Pourtant, tout le monde savait, à peu de frais, de quoi cela retournait. Le candidat Tshisekedi – il l’était déjà avant la lettre -, avait peur d’affronter certaines personnes, hommes de carrure affirmée. L’un d’entre eux avait fait avec panache carrière de gouverneur… Et un autre, célèbre scientifique reconnu mondialement, dont tout annonçait l’irruption fracassante sur la scène politique.
En voilà tout le sous-bassement de cette notion malheureuse de « de père et de mère ». A bien des égards, elle semble être la réplique de la notion « d’ivoirité ». Laquelle a profondément divisé les Ivoiriens, jusqu’à les avoir poussés à des massacres fratricides innommables.
Le massacre de Goma
On se souviendra du cas du Liberia et de la vengeance sanglante des « Natifs », exercée par Samuel Doe, en 1980, contre les « Congo », immigrés afro-américains. Ces derniers ayant détenu le pouvoir sans partage pendant plusieurs décennies. Il y a à évoquer également, dans ce cadre, l’apartheid en Afrique du Sud…
Pourrie, l’atmosphère politique pré-électorale en RD Congo semble, à tout le moins, épouser ces contours de sang. En vue de se préparer une victoire électorale, sur un boulevard, le président Tshisekedi s’avise à éliminer sur son chemin tout concurrent potentiel. Que les uns cherchent à écarter les autres, par des subterfuges à caractère discriminatoire, n’a jamais été un facteur de paix.
Cela étant, il y a fort à craindre que la démarche empêtrée par le régime congolais ne débouche sur une catastrophe. La situation, à plusieurs points de vue, étant déjà suffisamment fragile. Si la RD Congo a traversé bien des crises, elle n’a jamais connu de moments aussi pires qu’actuellement.
Or, la théorie de diviser pour régner, mettant en avant le caractère d’origine de gens, est ce qu’il y a de plus lucratif, en Afrique, quand un régime est à la recherche de pérennité. En vue d’atteindre cet objectif, le président Tshisekedi ne lâchera rien. Le massacre de plus de cinquante personnes, à Goma, dans l’est du pays, des manifestants qui protestaient contre la présence des Casques bleus au Congo, en est une preuve irréfutable.
Trois candidats se trouvent dans le viseur du président congolais, dans le cadre de cette élimination fantaisiste. Trois cas comme inscrits dans le marbre. Il s’agit de l’ancien gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi ; de l’ex-premier ministre, Augustin Matata Ponyo et du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018. Chacun, ou réunis pour la cause électoraliste, étant en mesure de donner des sueurs froides au régime en place.
Le premier est accusé d’être métis, donc, de père non Congolais. L’alibi ne peut être plus clair. Le deuxième a des démêlés avec la justice pour détournement supposé des fonds publics. L’affaire a été déjà jugée sans conséquence[MB1] , mais elle a été remise à examen, dès lors que l’intéressé s’est déclaré candidat à la présidentielle. Foulant au pied le principe du droit préconisant qu’une affaire jugée ne peut l’être, une seconde fois : « Non bis in idem ». Enfin, le troisième, le plus visé, est accusé d’être un Burundais… « de père et de mère ».
Promesse d’étincelles
Le Dr Mukwege – puisqu’il s’agit de lui -, un Burundais, c’est le bouquet ! Désigné lauréat prix Nobel de la paix, en 2018, tous les Congolais l’ont porté aux nues. Devenu président de la République, quelques temps après, Tshisekedi en personne lui a publiquement jeté des fleurs, précisant que « c’est un Congolais valeureux ». Le voici aujourd’hui devenu un rebut sur lequel on crache, mais aussi quelqu’un à qui on attribue toutes les nationalités du monde : pour un temps, le Dr Mukwege est un Burundais ; pour un autre, il est un Ougandais ; et, peut-être, très prochainement, il sera qualifié de « Belge à peau noire » dans la bergerie. Bon pour le gibet.
Quant à Katumbi, l’œil du cyclone cherche encore à le braquer avec précision. Alors que le dossier des candidatures se trouve au niveau de la Cour constitutionnelle pour un avis de validation définitif, au plus tard le 18 novembre, il se chuchote que la candidature de l’intéressé fait l’objet d’intenses délibérations sécrètes pour un rejet. Avertis, ses partisans en parlent déjà avec virulence sur les réseaux sociaux, promettant des étincelles, au cas où la candidature de leur champion était invalidée.
Matata Ponyo, lui, a préféré prendre la poudre d’escampette, avant que les portes de Makala (prison centrale de Kinshasa) ne se referment sur lui.
Le climat est donc de tous les dangers. Aussi, la Cour constitutionnelle se doit-elle de dire le droit, à ce sujet, au lieu de faire le jeu du régime. Le scrutin devra être ouvert à tous les prétendants, en conformité avec les prescrits de la Constitution en la matière.
Ils sont 24 à concourir. Ce n’est pas excessif. Qu’on laisse, pour une fois, seules les urnes exprimer le choix du peuple. En attente, depuis des décennies, de voir établie « la personne qu’il faut à la place qu’il faut ». Selon le peuple. Et non selon le désir d’un individu, ou un groupe d’individus, comme c’était le cas en 2018.
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