En salle depuis le 6 décembre 2023, “Frémont” relate le parcours drôle et solitaire de Donya, Afghane réfugiée aux Etats-Unis depuis la prise de pouvoir des talibans. Filmé en noir et blanc par le réalisateur Babak Jalali, “Frémont” porte fièrement la parole des exilés, avec humour et nostalgie. Il a accepté de répondre aux questions de la Maison des journalistes, partenaire du film.
Agée de 20 ans, Donya est une réfugiée afghane qui travaille désormais dans une usine de cookies porte-bonheur à San Francisco. Traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a été contrainte à quitter Kaboul suite à la prise du pouvoir par les talibans à l’été 2021. Dans le film, elle tente de lutter contre son insomnie et sa solitude dans sa nouvelle vie, avant de faire la rencontre d’un médecin qui l’accompagne dans son ouverture au monde. Sa vie bascule lorsqu’elle se voit confier la rédaction des messages de prédictions, teintés de philosophie, dans son entreprise. Durant 91 minutes, Babak Jalali invite le spectateur à suivre le voyage introspectif de Donya, en délivrant une réflexion attachante sur les relations humaines et l’exil. Le film a été récompensé par le Prix du jury au festival du film américain de Deauville, véritable consécration pour Babak Jalali.
L’œil de l’exilée
Un film réaliste, interprété par des acteurs (et surtout, par une actrice) dont la vie fait largement écho au scénario. Anaita Wali Zada, l’actrice principale, est une journaliste connue à Kaboul dans la vie réelle, au même titre que sa sœur. C’est par ailleurs du fait de son métier et d’être une femme qui travaille qu’Anaita est devenue une cible des talibans, la poussant à la fuite l’été 2021. Réfugiée aux Etats-Unis depuis, elle joue pour la première fois de sa vie dans “Frémont.” Proche sur de multiples points avec son personnage Donya, Anaita Wali Zada tenait à éveiller les consciences sur la situation afghane, et a trouvé en “Frémont” et Donya le parfait moyen de le faire. Grâce à son personnage, le spectateur découvre à travers l’œil de l’exilée une vie et une réflexion aux antipodes des siennes.
Pour le réalisateur Babak Jalali, il relevait de l’évidence de filmer son œuvre. Il a eu l’idée du scénario en 2017, avec Carolina Cavalli, réalisatrice italienne et scénariste du film. À l’origine, il devait être tourné en juin 2020, avant même que les talibans ne reprennent le pouvoir, mais l’épidémie de coronavirus a eu raison de leur planning. Rencontre.
L’Œil : pourquoi avoir décidé de réaliser un film sur une jeune Afghane qui a fui les talibans ? L’idée vous est-elle venue lors de leur reprise du pouvoir en 2021 ?
Babak Jalali : Le film n’est pas nécessairement l’histoire d’une jeune Afghane qui a fui les talibans. Il s’agit plutôt d’une jeune afghane qui recommence sa vie dans un nouvel endroit. J’ai toujours été gêné par la représentation des femmes afghanes dans les médias et le cinéma. Elles ont toujours été dépeintes comme un groupe opprimé sans pouvoir d’action. Elles sont toujours à la maison, ne travaillent jamais, n’ont jamais de rêves ou d’aspirations. Mais les femmes afghanes que j’ai rencontrées et connues au cours de ma vie ont toujours été farouchement indépendantes. Elles avaient des désirs et des souhaits. Elles ont eu des rêves. J’ai donc voulu montrer une jeune femme afghane qui, au fond, n’est pas très différente d’une jeune femme de n’importe quel autre pays en ce qui concerne ses désirs fondamentaux.
Qu’est-ce qui vous motive et inspire à parler des femmes et de l’oppression qu’elles peuvent subir ?
Ma motivation n’est jamais liée à l’oppression dont les femmes peuvent souffrir. C’est le courage et la force qu’elles possèdent qui m’inspirent. Oui, mes sources d’inspiration sont les femmes que j’ai connues. Je suis le petit-fils de femmes iraniennes, le fils d’une mère iranienne et le frère d’une femme iranienne. Et j’ai été témoin de la persévérance d’innombrables autres femmes qui se sont opposées à l’autorité et au statu quo et les ont remis en question. Je suis toujours admiratif du courage dont elles font preuve.
Avez-vous inclus des éléments de votre propre vie dans le film et pourquoi ?
Je dirais qu’indirectement, j’ai toujours inclus des éléments de ma propre vie dans les films que j’ai réalisés. Il s’agit rarement de scènes tirées directement de ma vie, mais elles sont le résultat de choses que j’ai vécues ou que j’ai entendues de première main de la part de ceux qui les ont vécues.
Que représente pour vous le prix du jury de Deauville ?
C’était merveilleux de recevoir le prix du jury de Deauville, surtout parce que cela signifiait que certaines personnes avaient été touchées par le film. Le festival attire un très grand nombre de spectateurs et c’était très émouvant de pouvoir le montrer devant eux. J’espère que ce prix contribuera à inciter davantage de spectateurs français à voir le film dans les salles de cinéma pendant sa sortie.
Le film “Frémont” de Babak Jalali est actuellement en salle dans toute la France. Avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Hilda Schmelling.
Crédits photo : Babak Jalali.
Maud Baheng Daizey