La journaliste congolaise Grâce Mambu Kangundu signe un livre intitulé Franck Ngyke Kangundu, Le Destin tragique d’un chevalier de la liberté retraçant l’assassinat de son père, rédacteur en chef de la rubrique politique de La Référence Plus, ainsi que sa mère survenu en 2005. Dix neuf ans après cet événement, la journaliste relate le drame auquel elle a assisté, sa reconstruction, mais également le parcours de son père.
Dans la nuit du 2 au 3 novembre 2005, Franck Ngyke Kangundu quitte tardivement la rédaction de La Référence Plus, quotidien congolais. En chemin, il récupère son épouse. Une fois arrivés à leur résidence de Kinshasa, ils sont sauvagement assassinés dans la cour de leur domicile sous les yeux de leurs cinq enfants. 19 ans après ce tragique événement, Grâce Mambu Kangundu a embrassé une carrière au sein journaliste de l’agence de presse congolaise. Elle et sa famille sont toujours en quête de vérité sur le motif et les commanditaires de ces meurtres. Vêtue d’un ensemble de wax aux motifs végétaux, sa voix se tord à l’évocation de ses parents. Elle martèle » je suis en quête de vérité « comme pour ponctuer chacune de ses phrases par un mantra, un cri de guerre.
Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
J’ai toujours voulu l’écrire. Durant 19 ans, nous n’avions jamais évoqué cette histoire, personne n’avait entendu notre témoignage, celui des enfants des victimes. À travers ce livre, je souhaite purger notre souffrance. Cette affaire n’a depuis jamais évolué et continue de nous inquiéter. Les meurtriers de mes parents ont été arrêtés, mais les commanditaires n’ont jamais été retrouvés. C’est donc avec beaucoup de douleur et de larmes que j’ai voulu relater ces faits pour tenter de faire évoluer cette affaire non élucidée.
Quelles répercussions psychologiques subissez-vous depuis cet événement ?
La deuxième partie de mon livre est consacrée aux traumatismes psychologiques apparus à la suite de ces événements. Imaginez vous. Nous sommes dans la maison et face à nous dans la cour, nos parents sont exécutés. Les assassins vous regardent et vous disent : “Regardez la manière dont nous tuons vos parents. Nous viendrons également vous tuer.” Par chance, ils ne sont jamais rentrés.
Après cela, nous avons quitté notre toit familial, nous nous sommes dispersé. Je ne mène plus une vie comme vous. À partir de 18 h je suis chez moi, je revis constamment la scène. Je ne dors plus non plus comme tout le monde, chaque nuit, je vois mon père me dire : “Ne m’oubliez pas.” Nous avons été blessés et cette blessure n’a jamais été réparée. Ce livre représente à mes yeux ainsi qu’à ceux de mes frères et sœurs un plaidoyer pour chercher la réparation judiciaire et morale.
Qu’attendez-vous de la parution de cet ouvrage ?
Premièrement, nous attendons du gouvernement congolais qu’il accepte notre plaidoyer pour la reconnaissance de la mort non seulement de nos parents, mais de tous les journalistes tués en République Démocratique du Congo. Le 3 mai 2023, on célébrait la journée mondiale de la liberté de la presse en RDC. Une phrase prononcée par le chef de l’Etat congolais m’avait interpellé : “Pendant mon mandat, aucun crime d’un journaliste ne restera impuni.” À la sortie, j’avais pris le courage de l’interpeller, le président avait alors promis de nous recevoir ce qu’il n’a jamais fait.
Notre souci est que justice soit faite. La justice qui peut soulager aujourd’hui les familles des victimes est la reconnaissance des journalistes assassinés au rang des martyrs de la liberté de la presse. On demande notamment la construction d’une stèle à Kinshasa en mémoire de tous les journalistes assassinés car selon les rapports du JED¹, certains corps n’ont jamais été retrouvés. Enfin, nous demandons une réparation morale, dans ma fratrie, trois de mes frères ont dû interrompre nos études. Nous ne vivons plus normalement depuis ce drame. Nous demandons à l’Etat Congolais de nous prendre en charge sur le plan psychologique.
Comment ont réagi vos frères et votre sœur à l’annonce de l’écriture du livre ?
Ils étaient particulièrement émus. Nous sommes impuissants face à ce drame, mais cet ouvrage est nos larmes transformées en écrits. Nous voulons que ce livre soit connu de tous le monde. Nous avons enduré cette souffrance tout en la cachant. 19 ans, c’était trop long, le seul moyen pour moi était de prendre mon stylo.
C’était très important de raconter notre version, ce que nous avons vu, car la version relatée dans les médias n’était pas exacte. C’est le début de mon combat, de mon plaidoyer. Je cherche un appui pour obtenir gain de cause. C’est vrai, cela soulage je me sens à moitié libre, c’était une histoire étouffée, mais le deuil n’est toujours pas terminé.
Dans quelles conditions avez-vous rédigé ce livre ?
J’ai mis plus de quatre ans à rédiger ce livre car soudainement je me mettais à pleurer ou parfois la peur m’envahissait, mais à chaque fois, j’entendais mon père me dire “Continue de m’honorer.” Pour moi, c’est le début de mon combat, ce livre est un plaidoyer, j’aimerais qu’il soit lu par un maximum de personnes.
Votre famille a-t-elle tenté d’enquêter sur ce fait divers ?
Non car jusque-là, ma famille se sentait totalement impuissante et trop affectée. Pour autant ce fait divers est une première en République Démocratique du Congo. Auparavant il n’y avait jamais eu de procès suite au meurtre d’un journaliste. Celui-ci s’est tenu grâce à JED ainsi qu’ à l’appui de Reporter Sans Frontière.
- Journaliste En Danger est une ONG congolaise publiant des rapports annuels sur l’état de la liberté de la presse en République Démocratique du Congo.
La République Démocratique du Congo occupe la 123e place du classement 2024 de la liberté de la presse selon Reporter Sans Frontière. En 2019, le nouveau président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilambo promettait de » promouvoir la presse et les médias pour en faire véritablement un 4e pouvoir « . Cependant, selon un rapport de JED, depuis l’investiture de celui-ci : 3 journalistes ont été tués, 2 sont portés disparus, au moins 160 ont été interpellés, arrêtés ou détenus et 130 ont été menacés, battus ou agressés physiquement.
La liberté de la presse est particulièrement mise à mal par le conflit sévissant dans l’Est du pays et opposant les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et l’armée du M23 (Mouvement du 23-Mars). Le M23 fait notamment pression sur de nombreuses radios locales. D’après Reporter Sans Frontière, une vingtaine d’entre-elles auraient été vandalisées, fermées ou censurées par le groupe armé.
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