Carnet d’exil : Husna Asef Zada, journaliste afghane

Husna Asef Zada est une jeune journaliste originaire d’Afghanistan. Arrivée à la Maison des Journalistes depuis peu, elle raconte à travers cet épisode de Carnet d’exil, ses premiers jours à Paris. Une ville qui n’a cessé de raisonner dans son imaginaire et ses aspirations.

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Dès son arrivée à Paris, Husna voulait découvrir la Tour Eiffel © Husna Asef Zada

Paris Night

Le rêve d’une mère de visiter Paris

Je me souviens très bien il y a 17 ans, ma mère me parlait d’un parfum au nom “Paris Night”. À cette époque, ce parfum était le plus connu. Je pouvais voir dans ses yeux la joie avec laquelle elle me décrivait la capitale française. Depuis cette ville est devenue un rêve jusqu’à ce qu’il devienne réalité. Je ne saurais pas mettre des mots sur mes émotions, je peux seulement dire que Paris incarne la nouvelle vie qu’elle m’a donnée.

The Incident of the Eiffel Tower

J’ignore comment les autres pays perçoivent Paris, mais en Afghanistan, nous la voyons comme le cœur de l’Europe et l’épouse du monde. Alors que je venais d’apprendre à lire et à écrire, je me souviens être passée devant une librairie. Directement, mes yeux sont tombés sur un livre avec une couverture représentant la Tour Eiffel. Intitulé Incident at the Eiffel Tower (Incident à la Tour Eiffel), j’étais impatiente de lire cet ouvrage de Steve Stevenson. Il fait parti des meilleurs livres que j’ai pu lire dans mon enfance. Il relatait l’histoire d’Agatha, une jeune fille qui adorait écrire des histoires. Je m’imaginais être son amie ou même devenir Agatha. Mais je n’imaginais pas – avec quelques différences près – que mon destin ressemblerait au sien.

01.06.2017 : Mercredi noir en Afghanistan

Il était 13 h à Kaboul quand des élèves rentraient chez eux, certains se rendaient à l’école quand d’autres travailleurs franchissaient la porte de leurs bureaux lorsqu’un terrible son secouait le sol. Tout le monde s’est alors dispersé, essayant de trouver l’origine de ce bruit. Une bombe cachée sous une ambulance venait d’exploser à l’intersection de Sadarat, un quartier rempli de bureaux d’ambassades, de logements et de consulats.

L’explosion fut si intense que plusieurs bâtiments de petites hauteurs ont été détruits ainsi que des dizaines de véhicules. 103 personnes ont péri durant l’explosion et 235 ont été blessées. La plupart des victimes étaient des civils, parmi eux de nombreux étudiants. Les talibans ont revendiqué l’attaque, laissant ensuite des centaines de familles endeuillées par la perte de leurs enfants.

La France est le premier Etat à avoir exprimé sa solidarité à l’égard des proches des victimes en éteignant les lumières de la Tour Eiffel.

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Les lumières de Tour Eiffel s’éteignent en hommage aux victimes de l’attaque survenue à Kaboul le 1er juin 2016  © capture d’écran

Le rêve inachevé de Paris

13 octobre 2022

Marzia Mohammadi, une jeune Afghane de 18 ans étudiait au centre d’éducation Dasht-e-Barchi à l’ouest de Kaboul. Elle aussi rêver à travers les rues parisiennes, mais ce rêve n’a pu voir le jour. Elle a été tuée durant une attaque perpétrée par les Talibans. Vers 7 h, le téléphone de Bostan Ali, le père de Marzia sonne. Il est informé de l’explosion alors qu’il se rendait avec un ami à une cérémonie coranique, il s’empresse d’enfourcher une moto.

Sur place, ils croisent des mères en pleurs, des pères suppliants et des enfants gémissants. L’allée est bouchée par les ambulances occupées à ramasser les feuilles ensanglantées tombant unes à unes des pins. On conseille alors à Bostan et à son ami de rechercher Marzia dans les hôpitaux. Ils font un premier arrêt à Sehat Watan, l’établissement le plus proche. Les blessés se trouvaient au premier étage quand les morts étaient transférés en bas.

Bostan avait beau chercher sa fille parmi les blessés, il se résolut à descendre aux étages inférieurs. Il descendit les marches une à une, les jambes tremblantes. Une odeur de fumée et de poudre à canon émanait de la pièce. Un visage rosé lui semble familier. Oui, il s’agissait bien de Marzia. Une heure auparavant, elle le quittait le sourire aux lèvres. Mais à présent, son corps ressemble à tous les autres : « Son corps n’a pas cessé de saigner jusqu’à la fin » disait son père.

Merci à la France

Beaucoup d’Afghanes partagent des idéaux qui ne se transformeront jamais en réalité. Je suis véritablement reconnaissante que la France m’ait donné la chance de débuter une nouvelle vie. J’écris ce texte avec des larmes et beaucoup de douleur, car lorsque vous lisez ce texte, des centaines de milliers d’Afghans aspirent à une meilleure vie. Les Afghanes ne meurent pas une fois, ni deux fois, mais à petit feu. Certaines sont lapidées quand d’autres sont vendues à 16 ans à des hommes de 40 ans. Mon pays est plongé dans les ténèbres. Mon cœur saigne pour les femmes de mon pays.

Woman, life, freedom.

Husna Asef Zada

Traduction : Marie Courtes

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