Iran. La loi controversée sur le hijab obligatoire suspendue sous la pression sociale

Le régime iranien a récemment annoncé la suspension de la nouvelle loi sur le hijab obligatoire, une décision qui illustre les tensions croissantes au sein du pays. Initialement conçue pour renforcer le contrôle social, cette mesure a suscité une vive opposition, forçant le Conseil suprême de sécurité nationale à intervenir. 

[par Massoumeh Raouf]

© capture d’écran

Une suspension ordonnée sous pression

Le 14 décembre 2024, le secrétariat du Conseil suprême de sécurité nationale a officiellement demandé au Parlement de suspendre la promulgation de la loi. Alireza Salimi, membre du présidium du Parlement, a confirmé cette décision en déclarant : « Le secrétariat a envoyé une lettre au Parlement, demandant au gouvernement de présenter un nouveau projet de loi pour lever les ambiguïtés de la loi sur le hijab et la chasteté. » (Agence IRNA, 14 décembre 2024)

Shahram Dabiri, adjoint aux affaires parlementaires de Masoud Pezechkian, président du régime, a également confirmé cette demande, précisant : « Nous préparons un projet de loi amendé qui sera soumis au Parlement pour de nouvelles délibérations. » (Mehr News Agency, 14 décembre 2024)

Akbar Ranjbarzadeh, un autre membre influent du Parlement, a ajouté :  « Je sais que le Conseil suprême de sécurité nationale est intervenu et a interrompu le processus. En tant que plus haute autorité en matière de sécurité nationale, il a décidé de prendre cette mesure, et nous suivons tous les cadres juridiques du pays. » (Khabar Online, 14 décembre 2024)

Cependant, certains députés, tels qu’Amir Hossein Bankipour, l’un des rédacteurs de la loi, ont exprimé leur opposition catégorique à cette suspension. Selon lui : « Une fois que le Conseil des gardiens a approuvé une loi, le gouvernement n’a pas le droit de la modifier ou de la retirer. Ce n’est qu’après son application que des amendements peuvent être proposés. Les actions actuelles du gouvernement pour stopper la loi représentent un précédent dangereux qui sape à la fois l’état de droit et l’autorité du Parlement. » (Fararu, 15 décembre 2024)

Une loi répressive au cœur de tensions sociales

Adoptée en septembre 2024 après deux ans de débats, la loi sur le hijab obligatoire prévoit des sanctions sévères : des amendes pouvant atteindre 330 millions de tomans (environ 4 285 dollars), des peines allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement, et même la peine de mort dans les cas jugés comme de la « corruption sur terre ». Cette loi s’applique également aux filles dès l’âge de 9 ans. 

Elle encourage par ailleurs les citoyens, y compris les réfugiés étrangers comme les Afghans, à dénoncer les femmes ne respectant pas les règles. Les propriétaires d’entreprises et les chauffeurs de taxi risquent également de lourdes amendes s’ils n’imposent pas ces règles à leurs clientes.  

Ces mesures visent à réprimer les femmes qui refusent de porter le hijab, un geste devenu un symbole de résistance depuis la mort de Jina Mahsa Amini.

Le 13 septembre 2022, Jina Mahsa Amini, une jeune femme kurde de 22 ans, est tombée dans le coma après avoir été violemment battue par la « patrouille d’orientation ». Sa mort, trois jours plus tard, a déclenché un soulèvement massif qui a secoué l’Iran pendant six mois, causant la mort de plus de 750 manifestants et entraînant l’arrestation de 30 000 personnes. Depuis, de nombreuses femmes iraniennes défient ouvertement les lois sur le hijab, qualifiant ces règles de « tachées de sang ».

Hijab
© capture écran BBC News

Le rôle des femmes selon Ali Khamenei   

Le 17 décembre 2024, le guide suprême Ali Khamenei a tenu un discours télévisé devant un groupe de femmes, évitant toute mention directe de la suspension de la loi. Il a toutefois insisté sur ce qu’il considère comme le rôle primordial des femmes dans la société : « Le rôle le plus important d’une femme au sein de la famille est la procréation et la maternité. »  

Ces propos ont suscité une vive indignation parmi les femmes iraniennes, en première ligne des manifestations contre le régime.  

Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne, a répondu aux déclarations de Khamenei en affirmant : « Les femmes sont la force motrice du changement en Iran. De la rue aux prisons en passant par les unités de résistance, elles mènent le combat pour la liberté et l’égalité. Elles ne se reposeront pas tant que cet objectif sacré n’est pas atteint. »

Un régime en crise face à une société en éveil  

La suspension de la loi intervient dans un contexte de crises multiples pour le régime, affaibli par des revers géopolitiques en Syrie et au Liban, ainsi que par une économie en difficulté.  

Bien que provisoire, cette suspension marque un recul significatif pour les autorités, qui tentent désespérément de contenir une société de plus en plus révoltée. Cependant, cette tentative d’apaisement semble vouée à l’échec face à une opposition qui ne cesse de croître, notamment contre la politique du voile obligatoire, devenue un symbole de la répression du régime.

Les divisions internes, combinées aux pressions internationales, continuent de fragiliser le pouvoir en place. Ces dynamiques laissent présager non seulement un avenir incertain, mais aussi une chute potentielle du régime des mollahs, à l’image de celle de Bachar al-Assad.

[par Massoumeh Raouf]

À lire également : L’impact psychologique de la chute de Bachar al-Assad sur l’Iran et son peuple

Massoumeh RAOUF

Massoumeh Raouf est iranienne, ancienne prisonnière politique du régime des mollahs.

En 1988, son frère de 16 ans est exécuté lors du massacre des 30.000 prisonniers politiques iraniens. Pour lui rendre hommage, Massoumeh Raouf a écrit la bande-dessinée "Un petit prince au pays des mollahs".

Engagée dans la «Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988», Massoumeh Raouf se bat aujourd'hui pour faire traduire en justice les auteurs de ce «crime contre l'humanité resté impuni».

Comme pour tous les journalistes réfugiés politiques, l'Oeil de la Maison des journalistes garantit une Tribune Libre de liberté d'expression.

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