Les jeux auront-ils été faits, après la prise des villes de Goma et de Bukavu par le M23 (Le Mouvement du 23 mars) et ses alliés de l’armée rwandaise ? Ces deux villes sont respectivement les capitales de la province du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Villes martyres, où sont quasiment passées toutes les rébellions congolaises d’envergure.
[par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France, publié le 20/02/2025]

Quelle est l’étape suivante, après ces victoires militaires retentissantes – somme toutes sanglantes – remportées par les insurgés ? Sera-ce encore la continuation de la guerre ou arrive-t-il le moment de fumer le calumet de la paix ?
Avant 1996, toutes les rébellions furent écrasées par Kinshasa. Partie du Burundi, en 1965, la rébellion conduite par Pierre Mulele échoua dans la province de l’Equateur, presque aux portes de la capitale. Il n’y eut pas de dialogue. De même, en 1978, Mobutu Sese Seko vainquit, à Kolwezi, les « rebelles dits katangais » en provenance d’Angola. En vérité, la victoire est à attribuer à l’intervention des éléments français aéroportés de la Légion étrangère. Il n’y eut pas de dialogue… Normal. Quand il y a un vainqueur, avec qui dialoguer !
Autres temps, autres mœurs, dit-on. Depuis 1996, les gouvernements de Kinshasa n’étant plus en capacité de vaincre militairement des rébellions armées, le concept de « dialogue » s’est alors forgé. Et il y en a eu, à la pelle. Seulement voilà : ces rébellions, en dépit de tout, renaissent toujours de leurs cendres. À la différence d’un phénix, elles réapparaissent sous d’autres dénominations, avec des nouveaux visages. Pour donner le change. Alors qu’en réalité, c’était la même gente. Le M23, en activité depuis plus d’une décennie, ainsi que l’Alliance pour le fleuve Congo de Corneille Nangaa, la benjamine, en sont leurs derniers avatars.
A la croisée des chemins
Mais, qui sont-ils ces anti-gouvernementaux aux caractéristiques de phénix ? Et quel est le secret de leur résilience, pour en arriver, avec cette force, à la situation actuelle ?
En gros, il s’agit d’une histoire complexe concernant les Tutsis rwandais établis, en majorité, au Nord-Kivu. Il y a aussi ceux établis sur les plateaux du Sud-Kivu, dénommés « Banyamulenge ». La pomme de la discorde repose sur l’attitude ambivalente des gouvernements congolais dans la réponse à leur demande de nationalité. Tirée à hue et à dia, depuis près de trois décennies, la question patine. Avec pour effet, le langage des armes.
Le Rwanda de Kagame s’en est mêlé pour deux motivations : la « persécution des Tutsis congolais », ainsi que la présence au Congo des rebelles rwandais de FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda). D’où l’implication de Kigali (capitale du Rwanda) dans ce conflit, jusqu’à chiffonner son statut « d’appui », pour endosser celui d’allié actif sur le champ de bataille. C’est ce qui explique, par ailleurs, la notion de vie dure attribuée au M23.
Enfin, est-ce seulement pour cela que l’armée rwandaise se bat-elle aux côtés des rebelles congolais, trois décennies durant ?
La réponse est connue de tous. D’abord, il y a l’esprit irrédentiste sur le Kivu, exprimé souvent ouvertement par les autorités rwandaises, considéré comme une partie du territoire rwandais. Ensuite, il y a aussi l’œil pirate de Kigali sur les richesses fabuleuses du sol dont regorge cette partie du Congo. Notamment, cobalt, coltan, or détritique, etc. De fait, plusieurs rapports émanant aussi bien des ONG que de l’ONU établissent que le Rwanda fait main basse, à pleine main, sur ce patrimoine congolais. Et ce, depuis trente ans.
Aujourd’hui, après la prise de Goma et de Bukavu, dans le contexte où la rébellion a conquis un territoire évalué à dix fois plus grand que la superficie du Rwanda – avec des milliers de morts et des millions des déplacés de guerre, à la clé – ne se trouve-t-on pas à la croisée des chemins ? Où les deux belligérants sont dépouillés pour poursuivre la guerre : le M23 et le Rwanda paralysés par la force de la pression internationale ; la RD Congo en manque d’armée structurée et de leadership politique.
Fin de mandat à respecter : 2028
Reste à chercher des voies et moyens permettant la tenue d’un dialogue sincère entre les belligérants. Faudra-t-il penser à y intéresser des témoins, des personnalités politiques de haut rang, en vue d’accorder suffisamment de crédit à l’acte posé ?
Pour le Rwanda, l’acquisition de la nationalité en faveur des Tutsis rwandais n’est pas une question inextricable. Partout, au monde, en la matière, il y a un processus à suivre et des étapes à franchir. Quitte à y trouver un modus vivendi…élégant, entre les deux pays. Quant à la présence des FDLR en RD Congo, elle mérite un examen approfondi et une solution concrète à partager entre le Congo et le Rwanda. Une fois pour toute. Kinshasa doit expulser ces rebelles rwandais, ou ce qu’il reste.
Dans ce problème, l’alliance M23 et l’AFC de Nangaa pèsent lourd dans la balance. Elle en est même la poutre maîtresse. Au dialogue que préconisent les Eglises Catholique et Protestante d’en extraire le meilleur, en équilibre dans « la part » à accorder à toutes les parties.
Pour nous, précipiter le départ de Tshisekedi avant sa fin deuxième mandat, en 2028, n’aura aucun apport positif à la problématique. Bien au contraire. L’essentiel, c’est de dépoussiérer urgemment les rouages de la bonne gouvernance gangrénés, à travers une espèce de gouvernement de transition et d’union nationale. D’une manière ou d’autre, avec un Tshisekedi « régnant sans gouverner ».
La formule est possible. Cela permettra d’organiser les prochaines élections dans des conditions apaisées et transparentes. C’est tout ce dont le peuple congolais a besoin.
À lire également : Iran. La loi controversée sur le hijab obligatoire suspendue sous la pression sociale