Le 7 mars prochain se tiennent les élections du prochain président du Syndicat des journalistes égyptiens. Parmi les dix candidats, le gouvernement d’Abdel Fattah al-Sissi n’a une nouvelle fois pas manqué de placer le sien : Abdel Mohsen Salama.
[par Sayed Sobhy, publié le 28/02/2025]

À l’approche des élections du Syndicat des Journalistes en Egypte, le régime en place revient à ses méthodes habituelles : imposer un candidat loyal, utiliser les outils sécuritaires et médiatiques pour garantir son contrôle sur le syndicat et exploiter la souffrance des journalistes emprisonnés comme une monnaie d’échange politique bon marché.
L’État, qui a jeté des dizaines de journalistes en prison et excellé dans l’art de museler la presse, ne parle de liberté de la presse que lorsqu’il est temps des élections, lorsqu’il a besoin de vendre des illusions à l’Assemblée générale et de convaincre les journalistes que « le candidat de l’État » est la seule issue au climat de répression qu’il a lui-même instauré.
Lors des dernières élections, l’État a soutenu Khaled Miri, rédacteur en chef du journal Al-Akhbar, l’un des plus grands journaux nationaux affiliés au gouvernement. Il a utilisé ses médias pour le présenter comme un défenseur de la liberté des journalistes, affirmant qu’il cherchait à clore le dossier des détentions provisoires des journalistes. Lors de ses tournées électorales et de son entretien sur la chaîne Extra News, il répétait que son programme reposait sur trois priorités, dont la libération des journalistes emprisonnés.
À l’époque, il avait affirmé que seuls deux journalistes étaient détenus en raison de condamnations judiciaires et dix autres en détention provisoire. Il avait promis de poursuivre ses efforts en tant que président du syndicat après sa victoire, en passant par le « dialogue national », afin de régler définitivement cette question. Il s’était également engagé à modifier l’article 12 de la loi régissant la presse et les médias (loi n° 180 de 2018), qui entrave le travail des journalistes en leur imposant des restrictions sur la prise de photos, sauf dans les lieux jugés confidentiels selon les usages.
Mais la conscience des journalistes a été plus forte que les manœuvres du régime, et Miri a subi une défaite retentissante. Ce fut un moment révélateur de la faiblesse de l’emprise du régime sur le syndicat et une preuve que la volonté des journalistes ne peut pas être achetée par de fausses promesses.
La défaite de Miri face à Khaled El-Balshi, candidat du courant indépendant, a constitué une humiliation politique pour le régime, envoyant un message clair : le syndicat des journalistes n’est pas une simple institution sous tutelle des services de sécurité.
Une exploitation honteuse du dossier des journalistes emprisonnés
Aujourd’hui, la scène se répète, seuls les noms changent. L’État pousse un nouveau candidat, Abdel Mohsen Salama, président du conseil d’administration de l’institution Al-Ahram, face au candidat du courant de l’Independence, Khaled El-Balshi lors des prochaines élections. Comme Miri avant lui, Salama a commencé à faire campagne en évoquant les journalistes emprisonnés, comme si l’État n’était pas lui-même responsable de leur détention en premier lieu.
Lors de la présentation de son programme électoral au média Akhbar Al-Youm, il a déclaré vouloir améliorer la situation des journalistes emprisonnés grâce à un dialogue permanent avec les autorités concernées, affirmant que « la liberté est le cœur du journalisme et que sans elle, le métier ne peut exister ».
Mais évoquer la liberté de la presse et le sort des journalistes emprisonnés uniquement pendant les élections n’est qu’une exploitation cynique de la souffrance des collègues incarcérés. Un régime qui arrête des journalistes, leur impose des restrictions sans précédent et les traque ne peut être sincère dans ses promesses de libération.
Et nous voici aujourd’hui à voir Abdel Mohsen Salama reprendre le même discours éculé, parlant de sa volonté de résoudre la crise des journalistes emprisonnés, dans une tentative de gagner des voix, alors que nos collègues sont toujours torturés derrière les barreaux, simplement pour avoir exercé leur droit d’écrire.
Selon Khaled El-Balshi, 24 journalistes ont été emprisonnés depuis le début de l’année 2025. Parmi eux, 15 sont en détention provisoire depuis plus de deux ans, en violation même des lois égyptiennes. Ces journalistes ne sont pas de simples chiffres dans des rapports officiels, mais des voix courageuses réduites au silence derrière les murs des prisons. Leur seul crime : avoir écrit la vérité dans un pays où la sincérité est une trahison et où la liberté d’expression est considérée comme une menace à la sécurité nationale.
La chute du candidat de l’État : un choc pour le régime
La défaite du candidat du gouvernement lors des précédentes élections n’est pas seulement un échec personnel, mais une chute de l’hégémonie de l’État sur le Syndicat des Journalistes. Ce fut un moment révélateur, une prise de conscience pour le régime : son contrôle n’était pas absolu et la volonté des journalistes était plus forte que toutes les manœuvres sécuritaires et les marchandages politiques.
Le régime pensait pouvoir imposer sa volonté par la force, mais il s’est heurté à un mur de conscience collective qui a refusé de voir le syndicat devenir un simple appendice d’une autorité répressive.
Cette défaite marque une chute symbolique de tout le système répressif. Le régime pensait que l’argent, l’influence et les promesses suffiraient à imposer son candidat. Il n’avait pas anticipé qu’il ferait face à une prise de conscience forgée par de longues années de répression, à des journalistes qui ont compris que la liberté ne concède pas, mais se conquiert.
Au-delà des libérations : une nécessité d’empêcher la répression à la source
Le combat ne s’arrête pas à la libération de quelques prisonniers ou à de nouvelles promesses électorales. Le problème ne se limite pas à sauver ceux qui sont derrière les barreaux aujourd’hui, mais à empêcher le régime de reproduire ce système répressif à l’avenir.
Il ne suffit pas de gracier certains journalistes ici et là ; il faut un véritable mécanisme garantissant que ces crimes ne se répètent plus et que les journalistes ne soient plus traités comme des otages du pouvoir, que ce soit en prison ou sous la menace constante d’un emprisonnement arbitraire.
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