Ma fille Céline, quand tu grandiras et deviendras mère, j’aimerais que tu sois comme ces grandes mères dont les bras ne sont pas seulement un refuge chaleureux pour leurs enfants, mais aussi un rempart qui les protège contre l’injustice, une épée qui combat pour eux. Quand tu seras mère, sois comme Laila Soueif.
[par Sayed Sobhy, publié le 20/03/2025]

En Égypte, où la répression est devenue systématique, où les prisons sont devenues des tombeaux pour les vivants, où parler de justice est devenu un luxe inaccessible et où le régime gouverne d’une main de fer, la docteure Laila Soueif s’est retrouvée face à un système qui considère toute voix dissidente comme une menace à écraser. Son fils, le blogueur et militant politique Alaa Abdel-Fattah, est toujours détenu arbitrairement dans les prisons égyptiennes. Bien que sa peine ait pris fin en septembre 2024, après avoir été accusé de « diffusion de fausses informations » sur la torture dans les prisons égyptiennes, les autorités continuent de le retenir sans aucun fondement juridique, suscitant l’inquiétude des organisations de défense des droits humains.
Mais Laila n’est pas une mère ordinaire. C’est une femme forgée par les luttes, que ni le temps ni la répression n’ont réussi à briser. Peut-être n’a-t-elle pas choisi ce chemin, mais il l’a choisie. Depuis qu’elle était étudiante en sciences à l’université du Caire dans les années 1970, elle faisait face aux forces de sécurité pour défendre la liberté d’expression de ses camarades. Elle n’a jamais quitté les rues, elle n’a jamais été ailleurs qu’au cœur du combat. Jeune, elle portait le rêve du changement. Vieille, elle porte le fardeau des générations qui lui succèdent. Mais ce qui est le plus douloureux, c’est la tragédie de son fils, comme si le destin voulait mettre sa patience à l’épreuve.
Ce n’était pas la première fois qu’elle se tenait devant les murs de la prison, attendant une lettre d’Alaa. Elle a passé d’innombrables nuits à frapper aux portes, à s’asseoir sur les trottoirs malgré le froid glacial, à écrire aux organisations de défense des droits humains, à porter des repas qu’on lui refusait d’apporter, à dormir devant la prison pour être vue, pour que sa voix parvienne ne serait-ce qu’aux gardiens, habitués à sa présence, mais qui ne lui répondaient que par le silence.
Au lieu de pleurer derrière des portes closes, Laila Soueif a choisi la résistance. Pas avec des armes, ni des slogans creux, mais avec son propre corps fragile. En février 2025, elle a entamé une grève de la faim, risquant sa vie pour la liberté de son fils. Aujourd’hui, elle est en danger de mort à chaque instant.
Elle approche des 160 jours sans nourriture, et à chaque instant, le danger grandit. La grève consume, sa santé, met sa vie en péril, mais elle ne recule pas. Elle ne pense pas à elle-même, ne craint ni la maladie ni la mort. Quelle valeur a sa vie si son fils reste enfermé entre quatre murs ? Elle sacrifie tout : son corps, sa santé, sa vie sans hésitation ni calcul.
À une époque où les sacrifices se font rares, Laila nous offre une leçon brutale, mais elle ne la donne pas avec des mots. Elle l’écrit avec son corps affaibli, avec sa faim, avec ses jours qui s’effacent sans qu’elle s’en soucie. Car ce qui compte plus que sa vie, c’est que son fils revoit la lumière du jour.
Laila Soueif est le modèle d’une mère qui ne marchande pas les droits de ses enfants, même face à un régime oppressif qui ne tolère aucune opposition. Son combat ne se limite pas à la cause d’Alaa. Elle est devenue une voix pour tous les prisonniers, et une mère portant la parole de toutes les mères.
Une femme que ni l’État ni la répression n’ont pu briser, car elle sait depuis toujours que la liberté ne se donne pas, elle s’arrache. Même si le prix à payer est la faim, la maladie ou la mort.
C’est pourquoi, ma belle petite fille, quand tu seras mère, j’aimerais que tu sois comme Laila Soueif : une mère qui ne craint pas la répression, qui ne transige pas sur les droits de ses enfants, même si elle doit affronter tout un État, le cœur battant toujours, malgré la douleur.
Les mères ne sont pas vaincues
Ma chère Céline, la maternité n’est pas seulement tendresse… C’est une lutte invincible. Les mères ne prennent pas les armes pour protéger leurs enfants. Elles n’ont que leur voix, mais cette voix peut ébranler le monde et ne jamais se taire, même quand tout le monde s’épuise.
Il y a tant de femmes comme Soueif à travers le monde. Malgré la diversité des pays et des régimes oppressifs, il y a toujours une mère forte, et digne, debout pour protéger son enfant.
Leur point commun ? Une détermination inébranlable à défendre la vérité et la justice, à ne jamais céder l’intimidation ou au désespoir.
Quand tu seras mère, sois comme Mama Khadija, cette mère nigériane qui n’a pas cédé face à l’enlèvement et au terrorisme. Quand Boko Haram a kidnappé plus de 270 jeunes filles dans leur école à Chibok, elle aurait pu se résigner et pleurer en silence. Mais Mama Khadija a lancé la campagne “Bring Back Our Girls”, l’une des plus audacieuses initiatives pour les droits humains. Grâce à elle, de nombreuses filles ont été libérées, bien que certaines soient toujours portées disparues. Ne cède jamais, même si ton ennemi est le terrorisme lui-même. Fais entendre ta voix à la terre entière et allume un brasier contre l’injustice.
Quand tu seras mère, sois comme Lydia Sánchez, cette mère argentine qui a défié l’État. En 2017, son fils, le militant Santiago Maldonado a été enlevé après une manifestation contre la répression des peuples autochtones en Argentine. Elle a refusé les versions officielles du gouvernement et a exposé la complicité des forces de l’ordre. Elle a prouvé que la police était responsable. Elle a mené une immense campagne pour la vérité et, même après la découverte du corps de son fils, elle a refusé que le crime reste impuni. Elle a fait pression sur les médias et les politiciens, forçant le gouvernement argentin à rendre des comptes. Ne crois pas tout ce qu’on te dit, ne te contente pas des récits officiels, et ne laisse personne décider à ta place de ce qui est juste ou non. Lydia Sanchez n’a pas accepté que son fils soit une victime silencieuse, elle a fait de sa voix une force pus puissante que l’État lui-même.
Ma belle petite fille, quand tu seras mère, j’aimerais que tu sois une mère invincible, une mère que le pouvoir ne peut briser, que la terreur ne peut effrayer. J’aimerais que tu sois une mère dont le monde saura que l’affronter est plus redoutable que d’affronter un gouvernement ou un groupe extrémiste. La maternité n’est pas seulement tendre, c’est un combat indomptable. Ma chérie, soit une mère qui ne plie jamais.
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